30/08/2019

La dernière place, juste une question d'amour (22ème dimanche du temps)


Que faut-il penser des invitations de Ben Sirac et de Jésus à ne pas chercher la première place ? S’agit-il de remarques de bienséance, d’humilité, voire de bon sens ? S’agit-il d’une stratégie sociale : « Pour vivre bien, vivons cachés » ? Au moins, on est sûr qu’on ne viendra pas nous chercher pour nous engager en politique ou comme bénévole dans une association ou une paroisse !
Ou bien, en ne cherchant pas à occuper la première place, on limite les conflits. De première place, il n’y en a qu’une ! La compétition sera ardue, sanglante même, nous le voyons en permanence. Leçon politique. Chaque pays ne chercherait pas à en vouloir toujours plus, chacun d’entre nous ne chercherait pas à en vouloir toujours plus, à être le premier sur la route, le premier servi, - ou que sais-je ? ‑ notre humanité ne s’en porterait que mieux.
Mais si nous lisons les Ecritures comme un code de morale, sommes-nous disciples de Jésus ? Sommes-nous croyants ? Que l’on s’entende bien. Il ne s’agit pas de mépriser la lecture morale des Ecritures. Et l’enseignement pour le renoncement à la première place ne serait qu’un petit peu plus suivi que la face de la terre en serait changée.
Remarquons que l’invitation de Jésus n’est pas seulement de renoncer à la première place, mais de prendre la dernière. Cette invitation est un portrait de Jésus lui-même. Il se fait le dernier de tous, mourant comme un criminel. Au XVIIe siècle, des Chinois réagissaient ainsi à l’annonce du Messie crucifié : « Ils disent aussi qu’il mourut cloué par de mauvais fonctionnaires sur un échafaudage en forme de caractère dix. Comment peut-on appeler maître du Ciel un barbare supplicié ? »
Il se pourrait que ce soit parce qu’un pareil maître du ciel n’est pas crédible, que nous tirons une leçon morale de l’évangile, et non une mise en route ou une reprise toujours renouvelée de la suite de Jésus. A moins que ce soit pire encore. Nous ne serions pas prêts à suivre Jésus sur ce chemin.
Le choix par Jésus de la dernière place n’est ni misérabilisme, ni fainéantise ou procrastination. Jésus excelle en humanité. A en croire les textes, il sait lire, ce qui en fait le membre d’une élite, puisqu’à son époque, en son pays, les gens comme lui représentent au mieux trois ou quatre pour cent de la population.
Son choix de la dernière place est sans doute religieux, s’il est vrai que se comprendre en alliance avec le Dieu Très-haut a de quoi monter à la tête. Israël le sait qui attribue à Dieu la grandeur et non au peuple misérable qu’il est. « Non pas à nous Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom rapporte la gloire, pour ton amour et pour ta vérité ! » (Ps 115 / 113B, 1).
Le choix de la dernière place est plus radicalement théologique et même théologal. Le choix de la dernière place dit quelque chose sur Dieu, et sur ce que change dans nos vies le reconnaître comme Dieu. Ce qui est dit n’est pas une mention marginale, dont on pourrait se passer. Elle concerne le cœur de Dieu, ce qu’il est en vérité, celui qui se fait dernier pour que l’humanité soit première, vive. Celui qui se fait dernier pour que quiconque, si dernier soit-il, soit encore capable de trouver plus méprisable à aimer.
Le choix de la dernière place, c’est la seule possibilité d’une civilisation de l’amour, non par amour de l’exécrable, je le redis, mais par volonté de renverser l’exécrable en l’humain, de le retourner, de l’élever, de le rendre à son aimable humanité. Le choix de la dernière place est une affaire de salut.
Il se fait par l’abandon de tout, à la suite de Jésus, ou, pour le dire autrement, par le choix de la gratuité. « Pour rien. » Seuls ceux qui aiment peuvent vouloir la dernière place pour que personne n’y soit réduit. C’est juste une question d’amour.

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