01/10/2020

Quand on ne sait plus croire. Thérèse de l'enfant Jésus et de la sainte face

Aux jours si joyeux du temps pascal, Jésus m’a fait sentir qu’il y a des âmes qui n’ont pas la foi, qui par l’abus des grâces perdent ce précieux trésor, source des seules joies pures et véritables. Il permit que mon âme fût envahie par les plus épaisses ténèbres et que la pensée du Ciel si douce pour moi ne soit plus qu’un sujet de combat et de tourment… Cette épreuve ne devait pas durer quelques jours, quelques semaines, elle ne devait s’éteindre qu’à l’heure fixée par le Bon Dieu et… cette heure n’est pas encore venue. Je voudrais pouvoir exprimer ce que je sens, mais hélas !  Je crois que c’est impossible. Il faut avoir voyagé sous ce sombre tunnel pour en comprendre l’obscurité. […]           

Non seulement je croyais d’après ce que j’entendais dire aux personnes plus savantes que moi, mais encore je sentais au fond de mon cœur des aspirations vers une région plus belle. […] Mais tout à coup les brouillards qui m’environnent deviennent plus épais, ils pénètrent dans mon âme et l’enveloppent de telle sorte qu’il ne m’est plus possible de retrouver en elle l’image si douce de ma Patrie, tout a disparu ! Lorsque je veux reposer mon cœur fatigué des ténèbres qui l’entourent, par le souvenir du pays lumineux vers lequel j’aspire, mon tourment redouble ; il me semble que les ténèbres, empruntant la voix des pécheurs, me disent en se moquant de moi : “Tu rêves la lumière, une patrie embaumée des plus suaves parfums, tu rêves la possession éternelle du Créateur de toutes ces merveilles, tu crois sortir un jour des brouillards qui t’environnent ! Avance, avance, réjouis-toi de la mort qui te donnera, non ce que tu espères, mais une nuit plus profonde encore, la nuit du néant.”

Mère bien-aimée, l’image que j’ai voulu vous donner des ténèbres qui obscurcissent mon âme est aussi imparfaite qu’une ébauche comparée au modèle ; cependant je ne veux pas en écrire plus long, je craindrais de blasphémer… j’ai peur même d’en avoir trop dit…

Ah ! Jésus me pardonne si je Lui ai fait de la peine, mais il sait bien que tout en n’ayant pas la jouissance de la foi, je tâche au moins d’en faire les œuvres. Je crois avoir fait plus d’actes de foi depuis un an que pendant toute ma vie. A chaque nouvelle occasion de combat, lorsque mon ennemi vient me provoquer, je me conduis en brave, sachant que cette une lâcheté de se battre en duel, je tourne le dos à mon adversaire sans daigner le regarder en face : mais je cours vers mon Jésus […] Je Lui dit que je suis heureuse de ne pas jouir de ce beau Ciel sur la terre afin qu’Il l’ouvre pour l’éternité aux pauvres incrédules. […]

Ma Mère Bien-aimée, je vous parais peut-être exagérer mon épreuve, en effet si vous jugez d'après les sentiments que j'exprime dans les petites poésies que j'ai composées cette année, je dois vous sembler une âme remplie de consolations et pour laquelle le voile de la foi c'est presque déchiré, et cependant... ce n'est plus un voile pour moi, c'est un mur qui s'élève jusqu'aux cieux et couvre le firmament étoilé... Lorsque je chante le bonheur du Ciel, l'éternelle possession de Dieu, je n'en ressens aucune joie, car je chante simplement ce que JE VEUX CROIRE. Parfois il est vrai, un tout petit rayon de soleil vient illuminer mes ténèbres, alors l'épreuve cesse un instant, mais ensuite le souvenir de ce rayon au lieu de me causer de la joie rend mes ténèbres plus épaisses encore.

 

Thérèse de Lisieux, Manuscrits autobiographiques, Manuscrit C, Juin 1897, Le Livre de vie, Office central de Lisieux, 1957, pp. 245-248.

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