23/09/2021

Vers un « nous » toujours plus grand (Journée du Migrant et du Réfugié 2021)


C’est évident, un Français, en France, est chez lui. Nous autres, gaulois, français de souche, sommes chez nous dans l’Hexagone. Est-ce si simple ? Il y a des français nés à l’étranger, il y a des départements et territoires d’Outre-mer qui ne sont pas l’Hexagone, il y a des descendants d’émigrés, évidemment français, qui ont été ou sont en charge du pays (Sarkozy, Balladur, Giscard, Valls, et nombre de ministres et de maires).

Qu’est-ce que cela veut dire que nous sommes « chez nous », et qu’« eux » viennent chez nous, ne sont pas chez eux ? Qu’est-ce qui fait que l’on est chez soi dans un pays ? Y être né, avoir été formé par la culture du pays, l’origine des parents (et que se passe-t-il quand ils ne partagent pas la même origine ?), habiter dans ce pays depuis un certain temps (mais combien de temps ?), parler la langue ?

Ces questions ne reçoivent pas la même réponse si l’on est dans l’Hexagone ou dans l’empire ou ex-empire colonial. Les rapatriés d’Afrique du Nord, et spécialement d’Algérie, française, savaient bien que ce n’était pas ici « chez eux » et les hexagonaux le leur ont bien fait sentir. Les harkis dont on a parlé cette semaine, non français, se sont battus pour la France comme nombre de soldats des Colonies vingt-cinq ans plus tôt et déjà en 14.

Certains comme un président de l’Assemblée nationale arrivé en France à l’âge 10 ans, italiano-maltais, tentent de définir ce que signifie être français. D’autres défendent une France purgée de toute immigration, catholique bien sûr. Ils peuvent être issus d’une famille juive et berbère. Que signifie être ici chez soi dans ces conditions ? L’évidence d’une réponse pourrait ne servir qu’à soutenir un vaste mensonge, encourager le racisme et le repli sur soi.

Peut-être ceux qui habitent la maison de leurs arrière-grands-parents, exploitant les mêmes terres depuis des siècles, peuvent-ils dire qu’ils sont chez eux. Mais combien sont-ils ? Mais à chaque génération, obligatoirement, la moitié de la famille, les conjoints de chaque descendant, ne sont pas d’ici, mais d’à-côté ou de très loin.

L’Afghanistan est l’histoire d’une succession de guerres et d’alliances, comme la plupart des pays. Dans la années 1800, les Européens, les Britanniques entrent en scène. Il s’agit de s’opposer à Bonaparte. Depuis, les Afghans ne sont plus chez eux. Il y eut en 1979 l’invasion par les soviétiques (la guerre mondiale était proche), puis après 2001 la prise de contrôle par les Etats-Unis. Qui est Afghan aujourd’hui ? Celui qui n’a pas pu fuir ou celui que se retrouve « chez nous » ? La diaspora ou les locaux ? L’Occident peut-il se définir comme démocratie, Etat de droit, et droits de l’homme s’il abandonne ses collaborateurs ?

Cette homélie n’est ni un cours d’histoire de l’Afghanistan, ni une réflexion sur ce que signifie être français. Elle vise à interroger nos évidences, eux-nous, « chez nous ». Elle vise à nous conduire « vers un nous toujours plus grand »

Quand, à Chablis (je prends cet exemple, parce que c’est « chez nous », mais on pourrait en trouver des dizaines semblables dans « notre » diocèse), paroissiens, chrétiens ou non, donnent des cours de français à de jeunes adultes Afghans, ce n’est pas la langue qu’ils enseignent, ou pas seulement ; c’est la fraternité qu’ils tentent de restaurer, d’instaurer. Il n’y a plus eux-nous, mais ce que nous faisons ensemble.

Avec l’évangile, que nous le voulions ou non, le nous de l’humanité est appelé à être exhaustif. Le nous de l’humanité n’a de sens que catholique, universel, selon le tout, avec tous, partout. « Il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. » (Ga 3, 28) C’est « nous » qui grandissons vers ce que nous sommes, vers notre vocation de fils et filles d’un unique Père.

Dire « nous » c’est presque systématiquement les exclure, « eux » ; c’est presque systématiquement dire « nôtre » le monde, le chez nous. Mais si la forêt amazonienne est nôtre comme bien de l’ensemble de l’humanité, n’en va-t-il pas ainsi de chaque terre ? Pourrions-nous inventer et pratiquer un usage catholique de la langue ? Loin de construire des murs, le prophète nous exhorte : « Elargis l’espace de ta tente, déploie sans lésiner les toiles qui t’abritent, allonge tes cordages, renforce tes piquets » (Is 54, 2)

Savez-vous que paroisse signifie précisément « d’à-côté », pas d’ici, voisin, voire de passage. Ce qu’ils sont pour nous, eux, paroissiens, gens de passage ou d’à-côté, c’est ce que nous sommes : des gens d’ailleurs, parce que notre patrie, c’est le Royaume, non un arrière monde, mais une manière catholique d’habiter le monde, de vivre avec tous.

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