10/09/2021

Victime, souffrance, salut (24ème dimanche du temps)

Est-ce la souffrance de Jésus qui a acquis le salut ? Il fallait que le Christ souffrît sa passion pour entrer dans sa gloire. La souffrance est-elle salvatrice ? La question se pose à l’écoute des textes d’aujourd’hui (Is 50, 5-9 et Mc 8, 27-35) alors qu’il y a moins de trente ans, était publiée une lettre apostolique « sur le sens chrétien de la souffrance humaine », salvici doloris.

Les rédacteurs avaient-ils lu Nietzsche ? Que Nietzsche ne soit pas parole d’évangile, c’est une évidence. Nous dispenser de sa lucidité risque de nous jeter dans les bras de la stupidité la plus crasse. C’est ainsi que l’on établit une équivalence entre douleur, faute et salut. C’est ce type d’équivalences supposées qui permet par exemple de déterminer la durée de la peine de prison qui doit être infligée en compensation du crime ou du délit ou laisse imaginer que nous souffrons en punition ou rachat d’une action mauvaise.

Si l’incarcération est sensée, c’est pour protéger la société, voire le coupable ; c’est pour permettre au coupable d’être confronté à ce qu’il a fait. Mais quel sens ont dix, quinze, vingt ans de prison ? Est-on mieux à même de changer de vie après cinq ou trente ans de prisons ? La privation de liberté empêche plutôt la réinsertion, ne serait-ce que parce qu’elle désocialise. Elle n’a qu’une véritable justification, celle qui pose une équivalence entre dommage et souffrance. Il faut que le coupable souffre à la hauteur de ce qu’il a fait souffrir.

C’est absurde, autant que la peine de mort. C’est absurde parce que la souffrance du délinquant ne répare rien. Les victimes ou proches des victimes n’auraient pour se payer que leur plaisir à voir souffrir comme elles souffrent. Nous nous payons de voir souffrir. Nous légalisons le droit de faire souffrir, pour notre contentement.

Le but de ma réflexion n’est pas d’exposer ce que serait une politique judiciaire et carcérale, mais de nous interroger, à partir d’un exemple, sur le sens de la souffrance. Sous prétexte de condamner une faute, les victimes et la société sont payées par la souffrance d’autrui. Les voilà bien avancées ! Nous voyons bien que cela ne va pas. Il existe d’autres politiques pénitentiaires dans d’autres pays.

La souffrance du coupable n’est pas sensée. Alors, quand c’est celle de l’innocent... Et s’il en est un qui est innocent, c’est bien Jésus. Il est le juste. La souffrance de Jésus est aussi insensée que toute souffrance, une monstruosité. 

La souffrance de Jésus est d’une part la fidélité à toute sa vie, sa personne, sa foi, ce qu’il croit. Que Jésus fuie devant sa souffrance et tout ce qu’il a prêché et vécu serait nié, contredit. C’est toute la vie de Jésus, et non sa souffrance, toute la vie de Jésus jusque dans la mort, qui fait sens, qui est salut.

La souffrance de Jésus est d’autre part le renversement de la souffrance ‑ non sa disparition, nous le constatons tous les jours ‑ seul chemin pour sortir du mal. En se plaçant au lieu de la victime, en continuant à aimer, sans ressentiment, dans et de la gratuité même de l’amour du Père, il renverse le mal dans le mal. C’est cela le salut, la résurrection.

Pour renverser le mal, il n’y a que l’amour. Loi morale et institutions justes, pour nécessaires qu'elles soient, ne suffisent pas ! Lire l’histoire avec les victimes, fussent-elles coupables, vivre l’histoire là où l’on souffre, et ne chercher nulle compensation, comme si souffrir donnait des droits, nulle vengeance, comme si voir et faire souffrir l’autre réduisait ma souffrance, ne chercher nul sens, comme si parce qu’il y aurait une explication la souffrance serait moindre, n’éprouver nul ressentiment pour que la bonté se déverse en notre monde comme le baume du salut qui descend sur la barbe, la barbe d’Aaron, sur le col de sa tunique. « Comme il est bon pour des frères de vivre ensemble et d’être unis. On dirait un parfum qui descend sur la tête. »

Jésus ouvre le salut au cœur du mal, de la souffrance. Sa souffrance est résistance, opposition au mal, condamnation du mal. Jésus fait opposition au mal de la seule manière possible, en acceptant de passer derrière, premier qui est dernier. Jésus nous engage sur ce chemin… qui fait mal ! « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » Il nous invite à sa suite pour faire par lui toutes choses nouvelles. « Celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera », en fera par celle de Jésus, un salut.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire