05/05/2023

La vérité est relative Jn 14,1-12 (5ème dimanche de Pâques)

« Qu’est-ce que la vérité ? » Question de Pilate restée sans réponse, du moins explicitement. Il faudrait bien ouvrir les yeux sur la rencontre entre le fonctionnaire romain et « l’homme » qu’il désigne ensuite. Si la figure du condamné dit « l’homme » que voici, il est à parier que la vérité n’est pas du côté des évidences ni de l’adaequatio rei et intellectus.

La science moderne s’engouffre dans la définition médiévale, même si c’est avec moins d’intrépidité que les Modernes : ce qui est vraisemblable est susceptible d’être un jour falsifié de sorte qu’on se gardera de tenir quelque résultat que ce soit pour définitif.

Cette prudence pourra choquer ceux qui veulent savoir à quoi s’en tenir. Et pourtant, tous, nous faisons très bien avec. Platon, à la recherche de la science véritable, sait que souvent l’expérience est plus opérante et juste. La vérité judiciaire quant à elle clôt une dispute, dans le meilleur des cas en vue de la paix sociale. Les faits ne sont pas toujours fermement établis au point qu’il faille recourir à l’intime conviction. L’historien dans son enquête sait combien sa perspective sur ce qu’il étudie l’empêche, plus encore que les lacunes documentaires. Combien plus lorsque l’on parle de la vérité en philosophie, en art, pour une relation ! Faudra-t-il garder le silence de Jésus devant Pilate ? « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire » dit un de ceux qui s’est usé à chercher les conditions d’une affirmation vraie.

Le brassage des cultures dû à la mondialisation généralise le doute moderne : « Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». L’industrie des fake-news et autres « vérités alternatives », parfois le fait de responsables politiques, relaie de façon exponentielle les ragots d’autrefois. Nous n’échapperons plus au conflit des interprétations dont certains redoutent les conséquences : le relativisme contre lequel s’arment de grands esprits ‑ de mesquins aussi ‑ tant pour défendre la culture occidentale que la foi.

Qu’est-ce d’ailleurs que la vérité pour la foi ? Qu’est-ce que la vérité en théologie ? A la fin du 19ème siècle, l’histoire a ébranlé la prétention du dogme à la vérité. On sait bien que l’orthodoxie ne suffit pas à dire la vérité de la foi, pas davantage une doctrine morale.

« Je ne parlerais pas, même pas pour un croyant, de vérité "absolue", en ce sens qu’est absolu ce qui est détaché, ce qui est privé de toute relation. Or la vérité, selon la foi chrétienne, est l’amour de Dieu pour nous en Jésus-Christ. Donc la vérité est relation ! A tel point que chacun de nous la saisit et l’exprime à partir de lui-même, de son histoire et de sa culture, du contexte dans lequel il vit… Cela ne signifie pas que la vérité soit variable et subjective, bien au contraire. Cela signifie qu’elle se donne à nous, toujours et uniquement, comme un chemin de vie. » (François, L’Eglise que j’espère, p. 89)

Peut-on rêver commentaire plus ajusté de l’évangile de ce jour (Jn 14, 1-12) ? La relativité est caractéristique de la vérité ! Une vérité qui n’est pas pour moi et les autres dans tel contexte précis n’est pas la vérité. Le silence de Jésus devant Pilate pourrait au moins se comprendre comme l’incapacité pour Pilate d’entendre pour lui ce que Jésus vit de la vérité alors qu’il entre dans sa passion. La vérité de Jésus ne peut faire sens pour Pilate, non qu’elle serait subjective ou qu’il n’y aurait pas de vérité, mais la vérité relève d’une pratique, d’une disposition, et en dehors de celles-ci, elle ne fait pas sens.

Dans la pastorale, dans l’annonce de l’évangile, on se trompe à annoncer le kérygme, un message. Même « Dieu t’aime » est insensé. Un Dieu qui meurt par amour, quelle blague, écrit Nietzsche à juste titre. Entendre la vérité relève finalement si peu d’un contenu de savoir, et guère davantage d’une morale. C’est un art de vivre, une façon de chercher avec et pour les autres la vie bonne, une pratique non de l’écoute mais de la docilité à l’esprit de vie.

La vérité fait sens quand elle oriente l’existence. On peut avoir tort dans sa manière d’avoir raison ; on peut avoir tort à dire la vérité, non parce que la vérité serait dangereuse et que « le premier qui dit la vérité, il faudra l’exécuter », mais parce qu’en dehors de la relation, autre que relative, la vérité est un monstre au nom duquel on va jusqu’à tuer.

Si la vérité est chemin et vie, ce n’est pas pour que nous fassions de Jésus l’objectivation de la vérité. La vérité comme idole ; Jésus grimé en idole. La vérité est une pratique de l’existence ‑ vie ‑, incessante conversion de la loi à la foi, modelage patient et discret de ce que nous avons à être dans la suite ‑ chemin ‑ de Jésus­.


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