22/03/2024

Tombeau vide et fraternité. Rameaux et Passion (Mc 14-15)

 

 Patricia Trudeau, Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix, station V, 2013

 

Il ne s’agit pas de commenter la Passion : impossible au cours de la célébration d’offrir une lecture de deux si longs chapitres, qui plus est ceux où culmine l’évangile. Le commentaire de l’évangile, de toute façon, est si peu l’homélie, le cours d’exégèse ou la théologie, mais les vies converties. Que chacun de nous se débrouille et s’évertue à faire de sa vie un commentaire de ce que nous venons d’entendre.

Deux détails ne peuvent que paraître secondaires. Marc et lui seul fait débarquer des personnes pour la première et dernière fois de son texte. On ne sait rien d’eux si ce n’est ce qu’il en dit tellement succinctement qu’on ne peut les identifier. Et tel ne peut pas être le propos. (Il faudrait ajouter Barabbas mais les trois autres évangiles le mentionnent aussi.)

 

Le jeune homme vêtu d’un drap fuit comme les disciples dont on vient de parler au moment de l’arrestation de Jésus. Mais il est jeune homme comme celui qui accueillera les femmes au tombeau. Est-il du côté des traitres ou du côté de l’annonce de l’évangile ? Vous me direz, dans l’histoire jusqu’à nous, ce ne sont jamais que des traitres qui annoncent l’évangile ! Ainsi sont ceux qui, comme cette homme nu, suivent Jésus…

 Il est vêtu non d’un drap, mais d’un fin tissu de lin, mot assez rare utilisé par les trois synoptiques pour désigner le linceul de Jésus. Le jeune homme est couvert sur nu est-il dit littéralement de sorte que l’on répète le même mot au verset suivant, il s’enfuit nu.

Un jeune homme, nu, couvert puis débarrassé d’un linceul, cela ressemble à Jésus, le nouvel Adam qui n’a pas honte de sa nudité, créature nouvelle, premier né d’entre les morts, nouveau-né. Cela ressemble à ceux qui après Jésus reçoivent d’être rendus selon l’image et ressemblance du Créateur. Une affaire de résurrection, de nouvelle création, de salut, de tombeau ouvert parce que vide, inutile désormais.

 

Simon de Cyrène est aussi un inconnu. Il est présenté par ses deux fils qui sont tout aussi inconnus que lui. Là non plus, il ne s’agit pas de les identifier. Simon porte un prénom Juif, mais il vient de Cyrénaïque, est de la Lybie ou ouest de l’Egypte. C’est un Africain. Les Africains ne sont pas nombreux dans l’évangile ! Simon semble s’être installé à Jérusalem comme un immigré et non être présent pour la Pâque, puisqu’il revient des champs. Il ne ressemble pas au type pieux qui devrait se préparer à la fête des pains sans levain.

De ses fils, on ne connaît que les prénoms, un grec et un latin. Simon unit en son sein l’ensemble des nations et des religions du moment, juive et grecque ­‑ païenne ou gentils ­‑ à quoi il ajoute l’armée d’occupation, le peuple qui a pris le leadership sur le bassin méditerranéen. Simon est l’immigré éclectique, pas vraiment scrupuleux en matière d’observance cultuelle, qui se moque de la cohésion ou de l’identité nationale, ethnique, figure d’une humanité à la dimension de la terre habitée, de l’oikuménè.

Et c’est justement sur lui que tombe d’aider Jésus à porter la croix. Combien de fois, ceux qui aident l’humilié sont des gens d’ailleurs, pourtant si proches – ils ont le nom du monde entier. Leur nom est personne, non pas nobody, mais somebody, leur nom est frère*. N’est-ce pas le nom que nous voulons porter alors que nous entrons dans la grande semaine ?

 


*Au moment où je rédige ces lignes je tombe sur celles d’Isabelle Le Bourgeois, Vivre avec l’irréparé, Albin Michel, Paris 2024, p. 51. C’est le début qui me retient, mais je copie un peu plus longuement comme pour répondre par avance aux objections que l’on pourrait légitimement porter. Simon de Cyrène est un modèle de réponse au défi de l’autre.
« En moi au plus profond, une voix me murmure inlassablement qu’il ne faut pas lâcher le défi qu’est l’autre, l’autre tout autre qui se donne à rencontrer sous la forme de quelqu’un que nous n’avons pas choisi. C’est cette fraternité envisagée qui me convoque en la plus belle place de moi-même. J’ose le mot de fraternité, il nous entraîne loin, laissons-lui la place de se déployer […]. Défi de croire en l’humanité de tous et de chacun, surtout de celle qui est la plus inaccessible. La victime a aujourd’hui une place reconnue, plus légitimée pourrait-on dire, et il est essentiel qu’il en soit ainsi. Toutefois n’oublions pas que notre monde n’est pas celui d’Hollywood où les gentils et les méchants ont des places spécifiques et rassurantes. L’humanité est traversée d’ombres et de lumières. La frontière entre les deux est si imparfaite. »

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