16/04/2025

Le premier est dernier (Vendredi saint)

 

 

La mort de Jésus n’est pas plus traumatisante, violente, révoltante ni émouvante que beaucoup. La mort de l’enfant palestinien à Gaza sous les bombes ne l’est-elle pas autant ? Les prisonniers politiques torturés et résistants et leur haute considération de la vérité, les migrants fauchés dans leur espoir d’une vie meilleure, les personnes écrasées jusqu’à mourir par l’humiliation de ceux qui s’enrichissent à organiser la misère. Il n’existe d’ailleurs pas de bonnes ou belles morts ; seulement celles que l’on est bien obligé, résigné, d’accepter. Toutes.

C’est la vie de Jésus qui est vivifiante. Sa mort ‑ il est vrai ce n’est pas donné à tous ‑ ne l’a pas détourné de sa manière de vivre, en a été le sceau, non comme un acte plus décisif que les autres, mais comme la fidélité à tout ce qu’il a vécu. La mort de Jésus n’est pas salvifique par sa violence, son atrocité ou son injustice mais par sa vie.

Au pied de la croix, c’est l’heure. Au pied de la croix, c’est l’heure de retracer, ainsi que les évangiles, le chemin qui s’achève au Golgotha, les rencontres multiples, la volonté de se laisser habiter par autre que soi, le désir d’exister dans la mise en avant au cœur de sa propre vie, de tous les autres, à commencer par tous ceux dont la vie est massacrée. « La passion de Jésus est la conséquence de sa pratique libératrice. » (Jan Sobrino)

La vie de Jésus, c’est l’histoire à hauteur des perdants, les anawins, les pauvres du Seigneur, infréquentables. Sa vie : voir avec le cœur la misère des peuples. Miséricorde. « J’ai vu la misère de mon peuple. » Ainsi, les écrits de Paul, non comme un récit des événements « depuis le commencement, lors du baptême donné par Jean, jusqu’au jour où il fut enlevé d’auprès de nous. » mais comme ce que cela signifie et féconde dans la vie du monde, dans la vie des disciples en vue de la transformation du monde, ferment du Royaume.

Les violences de l’invasion de l’Ukraine et de toutes les guerres et persécutions, les violences du pouvoir des milliardaires et des gouvernants condamnés pour escroquerie partout, etc., donnent a contrario à imaginer ce que pourrait être le monde s’il marchait comme Jésus, lui, a marché, passant en faisant le bien. Ainsi il a vécu son amour du Père.

Ce que l’on appelle l’amour préférentiel pour les pauvres nous saute à la figure alors que nous nous prosternons au pied de la croix. Si non, c’est simagrée, et notre foi contre-témoignage, hypocrisie. Comment pleurer Jésus quand l’on se rit des pauvres, des victimes ?

On crie vers Dieu quand tout va mal ; ce n’est pas que nous n’aurions d’autre solution que le surnaturel magique. Mais dans la vie de Jésus et de ceux qui sont ses disciples ‑ qu’ils le sachent ou non, le confessent ou non ‑ un accueil inconditionnel est offert aux parias. Il n’est personne, pas même le plus défiguré des défigurés qui échappe à la bonté de Jésus.

La vénération de la croix est espérance d’un monde qui prend soin des petits : s’ils sont respectés, tous le seront. Cette espérance est rendue sensée parce ceux qui, à cause de Jésus, même sans n’en rien savoir, accueillent les rejetés comme des frères et sœurs.

C’est le style de Jésus, disparaître derrière les derniers. La vénération de la croix n’est pas dévotion mais politique et conversion. Le premier est dernier et les derniers vivent. Le premier, Dieu, est dernier.

 Christ aux liens, Beaune, Hôtel-Dieu, salle des pauvres, vers 1500

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