Dans l’une des plus longues nuits de l’année, fêter la naissance d’un enfant. C’est une lumière et un réconfort. La vie continue, fragile, sans paroles, défiant la mort. On dit de l’enfant ou lui-même dit qu’il est lumière et parole. Beaucoup ont des paroles lumineuses. Mais de qui dit-on qu’il est lui-même lumière, parole inouïe ?
Sa parole n’est pas une collection de propos ou d’énoncés ni même sa vie tout entière, son existence, son être. Parole, il est proféré par un autre. Il ne s’appartient pas, il est tout entier de celui qui le prononce et le traverse dans le silence originel de chacun : Vis ! Il est lumière dans la nuit du tohu-bohu, chaos indescriptible, hostile à toute vie. Dans la nuit et le silence, un verbe sans parole retentit et désigne l’originel en lui et en chacun.
Il est la parole d’un autre que l’oreille n’entend pas, les yeux ne voient pas. Sa fragilité native l’accompagne jusqu’au terme parce qu’il est l’indice fragile en l’humain de ce qu’il y a de plus origine : Vis ! Jamais il ne se possède, ne pense se posséder ; toujours, il se reçoit de celui vers qui il est tourné, de qui il est en son être le converti perpétuel.
Il est bien difficile de parler de lui sans raconter le folklore et une identité mythique ; une histoire que tous connaissent plus ou moins ou seulement pas ses conséquences, lointaines et détachées – rues illuminées, cadeaux, repas de fête et, lorsque l’on est écarté de tout cela solitude et désespérance encore. Le folklore, c’est comme on pensait autrefois, mais reproduit aujourd’hui, sans que cela soit la pensée d’aujourd’hui. C’est juste décoratif, parfois identitaire, dangereux. Cela ne détermine pas nos vies sauf à oppresser. L’évangile et l’Israël biblique s’emploient à renverser le dieu national par la fraternité universelle. Emmanuel ne veut pas dire Dieu avec nous tout seuls, mais pour tous.
Il faut éviter la mythologie, celle de la métaphysique comprise, lorsqu’un catéchisme édulcore le dogme et que l’imbécile regarde le doigt et non la lune que montre le sage. « Consubstantiel », « Présence réelle » sont aussi le nom d’idolâtries. L’évangile et l’iconoclasme de l’Israël biblique s’emploient à renverser la mythologie.
Alors, partons de ce que nous célébrons. La naissance d’un petit de l’humanité dont on sait un peu comment il a mené sa vie. Il prétend la proximité du Royaume et c’est ainsi qu’il dispose sa vie. Le Royaume est une manière de dire Dieu sans le nommer, histoire de ne pas faire de Dieu lui-même une idole. C’est chose fort courante.
La proximité du Royaume et même sa présence au milieu de nous – mais il faut se méfier de la présence, c’est encore une affaire qui risque trop l’idolâtrie – c’est l’annonce et la réalité que l’humain, l’humain en l’humain, l’humain quand il n’est pas inhumain, est la vocation, la destinée de tous et chacun. Il organise sa vie pour qu’elle soit humaine. Non pas plus qu’humain, comme s’il fallait ajouter à l’humain quelque chose, la divinité par exemple. Le plus qu’humain est ce qui manque à nos manières inhumaines d’être humains. Et il en manque de l’humanité ! il organise sa vie simplement humaine.
Cet humain totalement humain, c’est cela précisément qu’il appelle Dieu. Irénée de Lyon l’a bien compris. La gloire de Dieu – là encore, une périphrase, la gloire de Dieu, c’est Dieu ! – « la gloire de Dieu c’est l’homme vivant », c’est l’humain tout entier, pas attaqué par la mort. Et réciproquement, mais c’est synonyme, « la vie de l’humain, c’est de voir Dieu ».
On ne peut voir « Dieu » sinon dans la vie de l’humain. Le chercher dans le ciel, dans un arrière-monde, le sacré d’un chant ou d’une liturgie, c’est de l’idolâtrie. Dieu se trouve là où personne ne l’attend, dans l’humain non pas trop humain, inhumain, mais dans l’humain tout entier humain, simplement humain. « Il s’est fait homme. » Et l’on plie le genou non pour adorer, mais pour se mettre à hauteur de nouveau-né ou de paria condamné, là où l’on voit le monde non à partir de soi, mais de la fragilité native jusque dans l’agonie. N’est-ce pas cela prier, rejoindre le monde au niveau de l’humain natif jusque dans la mort, là où Dieu se dit.
Aussi loin que possible de la métaphore morte, du folklore et de la mythologie, ce que nous croyons, inouï, impensable change le monde ou n’est pas. Cet enfant devenu condamné comme un maudit au gibet est une personne en qui chacun est renouvelé en son humanité, qui récapitule toute chose. Imaginez ! Que tous ceux qui fêtent Noël considèrent en tous, y compris eux-mêmes, y compris dans l’humain moribond méprisé, l’humain tout humain et agissent en conséquence. Vous imaginez ? Eh bien, c’est cela Noël, des vies transformées, Dieu dans l’humain, le-Dieu-fait-homme.
Le bon Samaritain, Bourges, 1205-14
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