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« Il jugera les pauvres avec justice. » (Is 11, 1-10) Est-ce à dire que les autres seront jugés n’importe comment ? N’y en a-t-il pas assez de cette soi-disant discrimination positive, des aides sociales qui coûtent un pognon de dingue, de la politique des assistés ? Il faut encore qu’en justice divine, ils aient un régime d’exception, pour être jugés eux avec justice. Si tout le monde n’est pas jugé de la même manière, c’est qu’il n’y a pas de justice.
Juger les pauvres avec justice signifie-t-il juger les autres avec injustice ? C’est bien le problème. Il y a une justice injuste. Ça existe. Juger les pauvres avec justice est suspect. L’intérêt et l’habitude veulent qu’on les maltraite. De moins en moins ont honte de dire cela, riches décomplexés, agressés de ce que le bien commun devrait primer.
Le niveau économique des personnes incarcérées dans le monde montre que les riches en prison sont l’exception. Les « personnes pauvres » sont « massivement surreprésentées en détention », selon un rapport de 2021 d’Emmaüs France et du Secours catholique, intitulé Au dernier barreau de l’échelle sociale : la prison. Soit on assume un racisme de classe ‑ les pauvres sont plus malhonnêtes, plus violents et hors-la-loi, criminels et délinquants ‑ soit on cherche ailleurs l’explication : et si les pauvres n’étaient pas jugés avec justice.
Isaïe le savait, on l’a toujours su, on le sait encore aujourd’hui. Mais rien n’y fait. Le déficit de la France, ce sont les profiteurs d’aides sociales et non l’évasion fiscale, la sous-taxation des richesses. Des sociologues étudient l’oligarchie ploutocrate, les lois iniques mais légales, l’institutionnalisation des discriminations, les prédateurs au pouvoir, l’argent sans foi ni loi. Les millions de personnes qui recourent aux Restos du cœur, Secours Populaire, Secours Catholique sont-ils des profiteurs ou des spoliés ?
La prophétie du VIIIe siècle avant notre ère résonne comme un évangile, une bonne nouvelle : « il jugera les pauvres avec justice ». Et si les pauvres sont ainsi traités, la justice est effective. Si le paria est traité comme le puissant, alors, tous sont justement considérés.
La prophétie critique tous les pouvoirs, même celui de David, puisque c’est de Jessé qu’il faut repartir. David aussi est un pourri. Le rejeton n’est pas un puissant ni l’homme providentiel. C’est un petit garçon. Son portrait s’efface derrière son œuvre. Pas de culte de la personnalité, dépersonnalisé même, juste une racine.
Que peut bien signifier être gouverné, jugé, protégé, corrigé par une racine ? Ce n’est pas l’œuvre d’un humain, c’est ce qu’il y a de radical en l’humain, de séminal. Ce qui gouverne et rend la justice, c’est l’essence même de l’humanité, l’humanité dans les humains. Qu’y a-t-il de radicalement humain chez les humains ? Ce que l’on appelle ordinairement avec le mot de divin, non pour projeter dans un ciel hypothétique la justice et l’humanité, mais pour faire entendre que l’être de l’humain, débarrassé de ce qui tue, de la mort, est divin.
« Ce qui est divinement divin, c’est l’humain quand il est pur de la mort… Dieu c’est le plus humain de l’homme… Mystérieusement : le visage du Père est le frère, et l’œuvre du frère est maternelle : c’est de donner naissance et nourrir. » (Maurice Bellet)
L’attente de la justice pour les pauvres, la veille de cette justice, l’humanité de l’humain, des humains, pour les humains, c’est l’existence des disciples, l’existence disciplinaire. Il faut de la discipline pour veiller à la justice pour les pauvres, il faut même de la rééducation, disciplinaire. L’avent nous remet en face de la discipline, nous remet face à ce qu’est être disciple de Jésus. Se préparer à la fête de Noël est hérésie, idolâtrie, c’est se détourner du radical. Il y a urgence à abandonner la féérie des marchands de rêve et à choisir l’espérance à laquelle le monde aspire, déjà là quand les pauvres sont jugés avec justice.
Pour finir avec un peu de douceur, parce que le disciplinaire christique n’est pas violence mais bonté, écouter encore la poésie du prophète. « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits auront même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra ; sur le trou de la vipère, l’enfant étendra la main. Il n’y aura plus de mal ni de corruption sur toute ma montagne sainte ; car la connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer. »
James Ensor, Les bons juges, 1891
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