17/04/2010

Pour que les hommes aient la vie

Quel est le cœur de la mission de Jésus ? Quel était le but de Jésus, si l’on peut formuler aussi naïvement les choses ? Jésus voulait-il que tous les hommes soient chrétiens ? Question plus naïve encore, mais en feignant la naïveté, nous pourrions parvenir à une plus juste compréhension de la foi.

Que Jésus soit venu annoncer des choses sur Dieu, et non des moindres, comme le fait que Dieu s’offre lui-même par amour comme un Père, c’est une conception bien scolaire de sa mission. Jésus n’est pas un professeur de catéchiste, et les animateurs et animatrices de groupes de catéchèse ne se hasardent que peu à ce genre de pratiques de leur mission. Non qu’il ne faudrait pas dire de choses sur Dieu, non qu’il ne faudrait pas participer à la culture religieuse, mais dans un contexte où nombre d’enfants catéchisés n'ont pour rencontre habituelle avec l’Eglise que la séance de catéchèse, où nombre de familles sont démunies par rapport à l’annonce ou ne s’en pensent pas chargées, la catéchèse ne doit pas seulement être une information sur Jésus ou sur Dieu, même la meilleure, mais une initiation à la vie de foi, une manière d’expérimenter ou de pratiquer la foi. La foi, c’est le fait de s’en remettre à celui qui veut rassembler l’humanité dans une fraternité, qui présente donc Dieu comme Père, qui nous entraine dans l’orientation vers ce Père, ce que l’on appelle prière, qui nous fait connaître tout ce qu’il a appris, parce que ses frères sont aussi ses amis (Jn 1515).

La catéchèse, dans un monde où l’on peut très bien vivre sans Dieu, se doit aussi de dire à quoi sert la foi. D’un certain point de vue, il faut dire, à rien. La foi ne sert à rien parce que la foi n’est pas moyen mais but, parce que la foi est gratuité, parce que l’on ne justifie pas la foi puisque c’est par la foi que l’on est justifié. L’athéisme ou l’indifférence contemporains montrent que l’on peut être hommes et femmes, et très bien, bellement, sans être croyants. Il y a même des croyants qui par leur attitude, parfois criminelle, ne peuvent que détourner de la foi.

Ainsi, la question n’est pas tant de savoir à quoi sert la foi, mais quel est le sens de la mission de Jésus Que voulait-il faire ? La question n’est plus aussi naïve. Nous lisons les évangiles : Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. (Jn 1010)

La vie plus grande, voilà ce à quoi ouvre notre foi, voilà notre mission, celle de l’Eglise, la vie plus grande. Comment se mettre au service de la vie plus grande, la vie en surabondance ? Là encore l’évangile propose une piste : je suis au milieu de vous comme celui qui sert (Lc 2227).

Au service de qui cette offre d’une vie surabondante ? Au service de l’humanité, nous et tous les autres, tous dont nous aussi.

Qui pour ce service ? Les disciples du Seigneur-serviteur, celui qui lave les pieds de ses disciples. Notre Eglise est appelée, convoquée par le Seigneur pour cette mission, la sienne. L’Eglise a reçu pour mission la mission même du Fils, envoyée comme l’envoyé pour que les hommes aient la vie. Evidemment, pour les ministres, la vocation de l’Eglise résonne d’une manière si particulière, si personnelle, puisque ministre signifie serviteur. Les voilà inscrivant par leur vie même, au cœur des communautés, l’obligation du service, du service de la vie. Ils sont au service de la communauté ecclésiale pour qu’elle soit aux pieds de l’humanité, comme celle qui sert, à la suite et pour rendre visible celui qui sert.

Pour décider de l’organisation de l’Eglise, n’est-ce pas cet objectif qu’il faut prendre en compte plutôt que l’organisation territoriale par exemple ? La réflexion sur celle-ci n’est évidemment pas facultative, mais seulement en tant que moyen au service d’un but. Si l’Eglise s’occupe d’elle-même, c’est uniquement pour se mettre en ordre de marche et participer à la mission du Fils, que les hommes aient la vie. On pourra penser que ces propos sont trop généraux pour être opérationnels. Suffiront-ils à faire que les serviteurs, les ministres ne prennent pas le pouvoir dans l’Eglise, ne le confisquent pas ? De toute façon, ils ne sont pas moins inopérants que le discours habituel qui veut faire du pouvoir un service, l’attitude qui vise à laisser à la sainteté de chacun de vivre le pouvoir comme un service.

Si l’on veut s’occuper de l’organisation de l’Eglise, ne doit-on pas commencer par une mise en place d’un dispositif institutionnel qui interdise aux ministres, aux serviteurs, la confiscation du pouvoir, qui interdise aux fidèles laïcs du Christ de se décharger de la responsabilité de la mission de l’Eglise sur un corps de fonctionnaires, ainsi que l’on parle lorsque l’on désigne les ministres de ce nom de clercs ? Il ne s’agit pas de mettre en place des contre-pouvoirs, il s’agit de tout faire pour que la synodalité soit le mode de vie de l’Eglise. On pourrait même imaginer que les ministres sont précisément serviteurs en veillant à la synodalité. Est-ce que l’apostolicité de l’Eglise confessée par le Credo ne signifie pas la collégialité essentielle de l’Eglise ?

Le christianisme peut reculer statsitiquement, ce n’est pas notre affaire. Et d’ailleurs, dans les Ecritures, Dieu n’aime guère les recensements, signes de défi contre sa providence ou de décompte de sa providence qui est pourtant profusion. Quel que soit son nombre, rien ne doit empêcher l’Eglise d’obéir au commandement du Seigneur (Jn 1314-15 et Lc 2219 : la fraction du pain signifie exactement le lavement des pieds) et à sa mission, la vie plus grande, surabondante, pour tous les hommes. Il suffit qu’il reste suffisamment de chrétiens pour œuvrer à cette mission. Si les chrétiens sont sel de la terre (Mt 513), faut-il que tous les hommes soient sel ? Le plat ne sera-t-il pas immangeable ? Le sel n’est pas tout le plat, il n’est pas même son goût, mais ce qui révèle le goût.

Certes, on ne saurait idéaliser notre monde. Il n’a pas que bon goût et y mettre son grain ne signifie plus alors mettre en évidence le goût, le révéler, mais dénoncer les forces de mort. Cette dénonciation n’est pas jugement mais salut selon encore la mission du Fils : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne se perde pas mais ait la vie. Car Dieu a envoyé son fils dans le monde non pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 316-17). Dénoncer comme les prophètes l’injustice et le mal (et non ceux qui l’accusent – ne nous occupons pas de notre défense (Lc 2114), nous avons un défenseur auprès du Père (Jn 1416) ‑), c’est assurément pour l’Eglise être au service de la vie plus grande, surabondante. De ce point de vue, il manque d’hommes et de femmes pour cette dénonciation.

L’Eglise a-t-elle pour mission de convertir, d’évangéliser ou d’œuvrer pour que les hommes aient la vie ? Certes, recevoir le baptême peut assurément être une manière, même la manière privilégiée, de recevoir la vie en abondance, mais il ne faut pas confondre le moyen et la fin, le service et ce en vue de quoi le service est rendu. Le service, celui qui est tenu par l’Eglise, c’est la vie surabondante pour les hommes. Dire les choses ainsi, en réponse à des questions naïves, ne nous permet-il pas de nous recentrer sur l’essentiel ?

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