02/04/2010

Jésus savait-il qu'il était Dieu ? (Vendredi saint)

Comment Jésus entre-t-il dans sa passion ? Peut-on connaître son état d’esprit ? Une certaine théologie désormais quasiment oubliée de la conscience que Jésus avait d’être Dieu pouvait le voir confiant, assuré de l’assistance ressuscitante du Père ; restait certes, ce qui n’est pas rien, à traverser le supplice et la mort ; mais ce n’était qu’un mauvais moment à passer.

Inversement, des théologies radicalement attachées à l’humanité pleinement assumée par Jésus au point que Jésus ignorait tout de sa divinité, pouvaient décrire un homme affronté au doute radical. Qu’allait-il se passer ? Les ennemis auraient donc réussi ? Tout juste si Jésus ne mourrait pas athée. Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? Le fils va au devant de l’échec. Tout cela pour rien. C’est la mort de Dieu. Même le voile du temple se déchire. Rideau.

On ne peut faire de la citation du psaume un fait historique. Qui, au cœur du supplice peut ainsi réciter son bréviaire ? On ne peut inversement contester toute possibilité de christologie avant la résurrection. Jésus avait une connaissance originale de sa mission, une christologie prépascale. Peut-on y avoir accès ? Peut-on savoir son état d’esprit ?

Jésus connaît le chant du serviteur d’Isaïe que nous avons entendu, les psaumes, notamment le vingt-deuxième avec son cri d’abandon. Il apparaît et s’apparaît sans doute à lui-même, dans la vaine de la prédication prophétique, comme le messager de la bonne nouvelle, à savoir une alliance nouvelle de Dieu avec l’humanité. Puisque la loi de Moïse ne parvient pas à sanctifier le peuple, on ne peut que compter sur Dieu pour que le peuple soit selon le cœur de Dieu, ait la vie en abondance.

La loi est accomplie jusqu’au bout par celui qui en découvre les limites plus que tout autres. Lorsque l’innocent est torturé, lorsque le juste est persécuté, lorsque le pécheur s’empêtre dans sa malice, ne faut-il pas avec Isaïe et les prophètes, avec les psaumes et le meilleur de la foi d’Israël compter sur Dieu seul ? Celui qui crie son abandon est celui qui s’époumone à chanter : tu m’as répondu et je proclame ton nom devant mes frères. C’est déjà l’espérance du prophète : le serviteur souffrant, peuple ou héros, ne sera pas confondu. Sans cette espérance, le monde est insensé et son créateur un scélérat. Sans cette espérance, le bien et le mal, c’est la même chose, reste à se débrouiller à être du bon côté et à essayer d’oublier ceux qui sont du mauvais côté.

Rien n’est gagné lorsque Jésus entre en sa passion, commencée dès les premiers instants de son ministère ainsi que le montrent les évangiles, notamment de Jean et de Marc. Rien n’est assuré, et ce depuis le début, car, comme tout homme, c’est depuis sa naissance que Jésus entre dans sa passion, souffrance et amour fou. C’est bien l’amour qui nous fait vivre dès le début ; c’est aussi la souffrance que nous connaissons dès le début.

Rien n’est gagné, et je ne crois pas que Jésus puisse imaginer une résurrection. Qui est déjà revenu de chez les morts ? On n’a jamais vu cela, il ne l’a jamais vu. Pourrait-il l’imaginer, qui plus est justement pour lui. Rien n’est gagné, tout a l’aspect de la fin et de l’échec, du déchirement, de la douleur de la séparation d’avec ceux que l’on aime, de la responsabilité vis-à-vis de ceux qu’il a mis en route à sa suite. Rien n’est gagné, surtout pas sa compréhension et sa manière de vivre avec Dieu. La mort va engloutir tout cela, et le plus grave, c’est pour Dieu lui-même ; la seule conception acceptable de Dieu, avec la mort de Jésus, va disparaître au fond du tombeau.

Seule demeure sa foi. Je veux dire sa relation avec le Père. Le psaume le soutient ; tu ne peux laisser ton ami connaître la fosse. Le psaume le soutient qui permet encore de parler à Dieu jusqu’au dernier souffle. Jésus mourant ne parle pas de Dieu, il parle à Dieu. Si la mort de Jésus n’est pas vaine c’est parce que Dieu y est engagé et y joue son va-tout. Le Saint, béni soit son nom, ira-t-il à l’impureté en s’approchant du corps moribond pour recueillir le souffle de vie ultime et le rendre à la vie nouvelle ?

Si la mort de Jésus, et la nôtre à sa suite, peuvent n’être pas la fin, ce n’est pas parce que connaissons la réponse, la solution, parce que nous savons que nous échapperons à l’horreur de la fin. Mais dans la mort de Jésus, se révèle le Dieu qui se compromet en sauvant ce qu’il peut de la vie des hommes, en recueillant, comme héritage sacré, ce qu’il rend à la vie, en rappelant son fils et ses frères de la mort pour les mener des ténèbres à son admirable lumière.


Textes du vendredi saint : Is 52, 13 – 52, 12 ; He 4, 14-16. 5, 7-9 ; Jn 18-19

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