L’épître aux Hébreux propose une compréhension de Jésus à partir des rites de l’ancien Israël, lorsque le temple accueillait les sacrifices. Ainsi, essaye-t-on de comprendre Jésus à partir du propre d’une religion, cultes et rites. Ce n’est pas seulement l’ancien Israël qui sert de comparaison, mais toute religion, s’il est vrai qu’en toutes, il y a des sacrifices et des rites, des prêtres ou sacrificateurs et des offrandes.
Pourquoi lire encore l’épître aux Hébreux dans une civilisation non religieuse comme la nôtre ? S’il n’y a plus rites ni cultes aujourd’hui, l’évangile de l’épître aux Hébreux fait-il encore sens ?
Il faudrait être certain qu’il n’y a plus de sacrifices rituels dans nos civilisations modernes. Le dieu voiture n’engloutit-il pas chaque année des milliers de mort dans un arbitraire aussi implacable que le destin des Grecs ? C’est le prix à payer à la route : que l’on consente que certains y meurent ou soient marqués dans leur chair à jamais par les blessures ou le handicap. Le dieu de l’argent a lui aussi son culte. Son temple est une bourse, ses lois celles de l’économie devant lesquelles on ne peut que s’incliner. Se dresser contre est un sacrilège qui plus est absurde. On immole des milliers d’anonymes au nom des lois du marché et de la finance. Il semble d’ailleurs n’y avoir jamais assez de victimes !
Contrairement aux apparences, le sacrifice existe encore ; il explique bien des comportements contemporains. Les faux dieux ne sont pas morts, même dans une société qui se croit sans dieu. La société moderne a tué Dieu mais c’est comme si elle ne le savait pas, continuant à sacrifier. Alors l’épître aux Hébreux pourrait être aussi pertinente que toujours. Elle parle de ce que nous vivons, du culte que nous rendons aux dieux alors même que nous pensons nous en être débarrassés puisque nous ne croyons plus en Dieu.
Que dit l’épître ? Non pas seulement la fin des sacrifices de la première alliance, ni de ceux qu’ils pourraient représenter, les sacrifices des religions. Elle dit aussi la fin des faux dieux et donc des sacrifices qu’on continue à leur offrir, culte du corps, dieu de l’argent, revendication de nos sacro-saints pouvoirs, dévotions aux astres et aux loteries. L’épître en parlant du sacrifice du Christ dit plus encore qu’il nous faut changer notre définition de Dieu, notre conception ou compréhension de Dieu.
A y regarder de près, la mort du Fils n’est pas un sacrifice, au sens des religions ou au sens de la critique de nos civilisations dites développées. Nous l’avons entendu : « Le Christ n’est pas entré dans un sanctuaire […] il est entré dans le ciel même. » Il n’y a plus de sanctuaire, ou alors les cieux, mais justement, le mot n’est pas employé. Certes, le mot sacrifice l’est, mais n’est-ce pas justement pour montrer qu’il s’agit d’autre chose que ce que l’on appelle sacrifice. Et ne pas voir la différence, c’est lire trop vite, c’est passer à côté de la Bonne nouvelle de l’épître, c’est conserver le vieux dieu et ne pas se convertir au Dieu de Jésus Christ.
Le Dieu annoncé par Jésus est tellement éloigné du dieu des religions et de toutes nos idoles contemporaines que nous refusons d’admettre qu’il faut changer nos conceptions de dieu. Paul, dans l’épître aux Romains, dans un contexte de culte nouveau aussi écrit : Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l'intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait.
Il n’y a plus de sacrifice, au sens où nous offririons à Dieu ce qui pourrait lui plaire, ce qui évidemment nous coûterait le plus, puisqu’évidemment, Dieu ne peut que vouloir que l’homme en bave ! Il y a Jésus qui, par sa vie et sa mort, offre à tout homme de pouvoir être fils. Il n’y a plus la toute-puissance divine concurrente de la grandeur ou de l’autonomie de l’homme, mais l’adoption filiale, l’amour d’un Père qui se dépossède de tout pour que nous soyons enrichis de sa propre vie.
Ce retournement, ce changement de dieu, n’est pas un échange d’un dieu moins bien pour un dieu meilleur voire le meilleur. Il est la critique de tous les dieux, y compris ceux que nous n’appelons plus dieux mais auxquels pourtant nous sacrifions, y compris du Dieu chrétien quand il n’est pas converti radicalement au Dieu de Jésus-Christ. Parce que le Christ se retire et entre dans les cieux, il laisse l’homme libre de croire. Il ne s’impose plus à réclamer les sacrifices, arbitraires et implacables. Seul un Dieu qui se vide de lui-même, ainsi que le dit Paul dans l’hymne aux Philippiens, seul un Dieu qui se retire, peut laisser surgir dans l’absolue liberté, y compris celle de croire, la grandeur d’hommes et de femmes dont la dignité humaine n’est pas réduite par la toute-puissance divine.
Le grand inquisiteur de Dostoïevski pense qu’un tel Dieu ne peut que rater, car une telle liberté est trop lourde pour l’homme, et heureusement, selon lui, l’Eglise a rattrapé le coup en réduisant la liberté et en réintroduisant la religion et le sacrifice ! A nous de savoir de quel côté nous sommes, celui de l’inquisiteur ou celui de Jésus. Rassurez-vous, rappelez-vous, lorsque Jésus quitte l’inquisiteur, il l’embrasse comme pour lui rendre la vie, pour rendre l’esprit, une fois encore…
Textes de l’Ascension C Ac 1,1-11 ; He 9,24-28. 10,19-23 ; Lc 24,46-53
Seigneur, ton départ nous laisse désemparés. Il nous faut inventer les chemins de notre fidélité. Il nous faut affronter ton absence. Envoie ton Esprit, qu’il donne son souffle de courage à ton Eglise. Que par la force de l’Esprit, l’Eglise avec lui appelle : Viens !
Seigneur, ton absence de ce monde offre au monde la liberté. Mais souvent, il en use pour choisir de nouveaux esclavages. Mais souvent, il en use contre toi, contre lui-même. Envoie ton Esprit, qu’il donne à tout homme le souffle de la liberté. Que par la force de l’Esprit, le monde apprenne à reconnaître le vrai visage du Père.
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