Certains d’entre nous prennent part pour la première fois au banquet eucharistique. Ils poursuivent leur initiation chrétienne. Ils deviennent initiés, ils prennent part à l’action de grâce. Ils rejoignent la communauté de professionnels du remerciement. N’est-ce pas en effet ce que nous sommes, ce que signifie notre état de chrétiens initiés à et par l’action de grâce, ayant part à l’eucharistie ?
Action de grâce, expression dont on ne sait guère plus ce qu’elle signifie que son équivalent grec, eucharistie. Action de grâce, eucharistie, remerciement. Mais de quoi remercier ? Et qui remercier ? Et comment remercier ? Les chrétiens sont ceux qui remercient, qui rendent grâce à Dieu en faisant eucharistie. S’ils remercient, c’est donc que Dieu a donné. Et qu’a-t-il donné sinon lui-même, de sorte que c’est à sa vie que nous avons part. Vivre, pour nous, n’est pas affaire seulement de biologie, aussi nécessaire que ce soit cependant. Vivre pour nous n’est pas affaire seulement de relations humaines aussi importantes qu’elles soient.
Vivre, c’est comprendre notre existence comme un don. Dieu lui-même se donne à nous et dans ce don, nous existons. Dieu s’offre à ce qui n’existe pas encore pour le recevoir et qui existe par ce don. Que nous le sachions ou pas, que nous le voulions ou pas. Il se donne gratuitement et c’est la vie, la nôtre aussi.
Comment fera-t-il pour ne pas s’imposer, pour se proposer seulement, alors qu’il est la source qui fait jaillir la vie ? Comment pourrait-il ne pas être le tyran qui oblige ceux qui n’ont rien demandé et ne peuvent exister qu’à venir de lui ? Notre Dieu ne s’impose pas. Il se retire au moment même où il se donne. Notre Dieu, on peut fort bien ne pas le connaître, ne pas le reconnaître, ne pas lui être reconnaissant. La vie, sa vie, lui, demeure donné.
Beaucoup d’hommes et de femmes, autour de nous et de partout dans le monde, n’ont jamais entendu que notre Dieu s’offre ainsi ? C’est dire combien il est discret ; vraiment Dieu ne s’impose pas, à tous les sens du terme. Nous voyons la vie, biologique, humaine, pour le pire mais aussi heureusement pour le meilleur. Point besoin de connaître Dieu pour en vivre. Et justement, sont chrétiens ceux qui reconnaissent, là encore aux deux sens du terme, ceux qui voient dans la vie le don de Dieu et l’en remercient. Voilà pourquoi nous sommes professionnels du remerciement.
Et comment faisons-nous pour remercier ? Nous tendons encore les mains. Pour faire eucharistie, pour remercier, nous n’offrons rien ; pire nous recevons encore, nous tendons les mains en mendiants. Et qui pourrait donner sinon lui, la source du don, lui le don, lui la vie qui est don ? Nous ne remercions pas de ceci ou de cela, nous ne faisons surtout pas action de grâce après l’eucharistie, comme si nous remerciions pour cette hostie minuscule ! C’est absurde. Si l’eucharistie est un rite et un sacrement, c’est qu’elle n’a pas de sens en soi mais par rapport à ce qu’elle signifie et opère. Nous remercions Dieu pour lui même, parce qu’il est Dieu, parce qu’il est don, gratuit, et c’est encore lui qui nous donne de pouvoir rendre grâce. Et ce don nous fait vivre, et cette reconnaissance nous fait vivre, et cette reconnaissance est notre vie.
Voilà pourquoi on ne saurait remercier Dieu autrement qu’à tendre encore les mains. Voilà pourquoi on ne saurait rater l’action de grâce, parce que c’est là que nous reconnaissons la source qui fait vivre, l’absolue gratuité du Dieu qui s’offre sans s’imposer. Puissions-nous être heureux de l’avoir découvert. Et si c’est notre vie d’être initiés à et par l’eucharistie, si c’est vivre pour nous que d’être des professionnels du remerciement, comment pourrions-nous ne pas être là régulièrement – chaque dimanche – pour exercer notre profession, notre vocation (c’est le même mot, ce que l’allemand dit encore Beruf et Berufung), pour vivre.
Une dernière question qui s’impose en cette fête de la Pentecôte. Qui remercie ? Est-ce vous et moi ? Est-ce ceux qui aujourd’hui communient pour la première fois ? Oui et non. Et plutôt non que oui. Ce n’est pas moi ni toi. Qui sommes-nous pour ainsi vivre dans la proximité de Dieu et oser tendre les mains ? Je parie que dès la semaine prochaine, plusieurs d’entre nous ne reviendront même pas rendre grâce !
Ce n’est pas toi ou moi, c’est nous, nous tous ensemble, avec ceux qui nous ont précédés, depuis Abel le juste jusqu’au dernier homme. C’est le peuple immense de ceux qui cherchent Dieu qui rend grâce, qui fait eucharistie. Non parce qu’il en aurait la compétence, bien que remplis de professionnels ! Mais parce que Dieu lui-même lui en donne, encore, le pouvoir. Et ce pouvoir de rendre grâce c’est lui-même, c’est une force venue d’en haut, c’est l’Esprit. De sorte qu’en tenant notre mission de remerciement, nous prenons notre place dans le corps que l’Esprit anime, par lequel il chante lui-même le remerciement en faisant vibrer nos gorges lorsqu’il souffle en nous. Poussés par cet Esprit, nous crions vers le Père en l’appelant Abba ! C’est donc l’Esprit Saint lui-même qui affirme à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.
Viens Esprit de sainteté, viens force d’en haut, viens nous donner de reconnaître l’amour qui nous est offert par le Père, de nous tenir reconnaissants dans la joie de sa présence, de tendre encore les mains, à la suite du Fils, d’avoir l’audace de les tenir ouvertes et tendues, comme des mendiants.
Textes de la Pentecôte C : Ac 2, 1-11 ; Rm 8, 8-17 ; Jn 14, 15-26
Esprit de Dieu, feu et lumière, embrase l’Eglise, le corps que le Christ s’est choisi, pour qu’elle brille d’une sainteté plus forte que son péché, pour qu’elle ait l’audace de porter un peu de lumière à tous ceux qui cherchent à reconnaître en Dieu un Père qui aime ses enfants.
Esprit de Dieu, souffle de vie, traverse et repose sur le monde, pour qu’il soit ressuscité, relevé de la mort avec le Christ, pour qu’il se comprenne peuple de frères, appelé à la fraternité, le respect de tous, le partage entre tous.
Esprit de Dieu, doigt de Dieu, touche ceux qui parmi nous tendent leur main pour la première fois afin de recevoir de pouvoir remercier le Dieu de la vie, le père de Jésus. Avec eux, apprends-nous à demeurer des mendiants. Apprends-nous à vivre heureux de tout te devoir. Apprends-nous à vivre heureux de cette dette, heureux de vivre en dette.
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