Prêcher la Trinité. Ainsi s’intitulait une thèse de doctorat d’un prêtre de Lyon dans les années 70. Il s’agissait pour lui d’en finir avec cette évidence communément partagée que la Trinité est une abstraction réservée aux spécialistes, un sujet de disputes byzantines, sans aucun intérêt pour la vie chrétienne au jour le jour.
Prêcher la Trinité, parce qu’à faire l’impasse sur un dogme sous prétexte que personne n’y comprend rien, on rate le cœur de la foi, on passe à côté de ce que la prédication évangélique a de plus propre. Prêcher la Trinité, même si cela empêche le dialogue interreligieux d’aboutir à un consensus sur Dieu, parce que le Dieu réduit au plus petit commun dénominateur n’a pas plus de rapport avec le Dieu de Jésus qu’un plat de Resto U avec la gastronomie.
Mais alors comment prêcher la Trinité pour que l’on puisse comprendre ? Comme Jésus, ai-je envie de répondre, même s’il n’a effectivement jamais prêché la Trinité. Il aurait fallu qu’il sût qu’il était Dieu ! Prêcher la Trinité comme les Apôtres, Paul et le Actes en premier lieu. Ils ne l’ont jamais fait non plus, du moins n’ont jamais utilisé ce mot. Et pourtant, à la suite de Jésus, ils ont parlé du Père, du Fils et de l’Esprit. Ils ont raconté l’histoire de Dieu comme une communion, une vie de don, de joie trouvée à s’offrir à l’autre, à permettre à l’autre de s’offrir.
Comme toujours, il suffit de faire comme Jésus, de faire comme les Ecritures. Est-ce si simple ? Et n’est pas ce qu’ont fait les Pères de l’Eglise lorsque précisément ils se sont mis à parler de Trinité ? Si bien sûr. Et justement qu’ont-il fait ?
Ils ont évangélisé le visage de Dieu, la conception de Dieu, la conception païenne de Dieu, du Dieu archaïque. Et que l’on ne croie pas que parce que nous sommes en 2010, que parce que la dogmatique chrétienne est bimillénaire, on en aurait définitivement fini avec le dieu archaïque. On n’en a jamais fini avec le Dieu païen, que l’on soit croyant ou pas, que l’on soit chrétien ou pas. Sans doute les religions sont-elles, aussi paradoxal que cela paraisse, plus libres de l’archaïsme que l’athéisme ou l’indifférence religieuse. Et cependant, même en catholicisme, on n’en a pas fini avec cet archaïsme, et cela pourrait justement se mesurer à la fréquence, à la structure, à la nécessité de notre prédication de la Trinité.
Le dieu archaïque est celui que l’on craint, celui que l’on prend pour un magicien, jusque dans la prière, sorte de marchandage où jouerait la logique de la causalité. Le sacrifice, les cierges et les mortifications seraient la monnaie – de singe ! ‑ avec laquelle on l’achète, on s’assure une grâce. Parce que l’on a accompli un rituel de façon aussi scrupuleuse qu’un pointilleux remplit un formulaire administratif, on est convaincu que telle guérison a été obtenue, quand bien même l’on dit savoir que la gratuité du don de Dieu ne s’achète pas. A la fois on a coloré l’archaïsme religieux d’un peu d’évangile, reconnaissant la gratuité, à la fois, au moins à l’esprit, vient la nécessité de faire quelque chose.
Or la Trinité, le Dieu Trinité, le Dieu de Jésus-Christ, le Dieu que l’Esprit permet d’invoquer est le Dieu le plus critique, au-delà de ce que l’on peut imaginer, de l’imaginaire archaïque et religieux. Il ne peut plus jamais y avoir d’idole, plus jamais de crainte du dieu conscience, plus jamais d’asservissement, parce que celui qui aurait pu réduire l’homme à l’esclavage par sa grandeur, est révélé comme le serviteur de la joie de l’homme, de la vie de l’homme. En Jésus, il se dépouille se faisant l’esclave, venu servir et non être servi. Et il faut bien que Jésus soit Dieu si l’on veut que ce qui se joue en cet homme dise Dieu, détrône en dissipant le mirage, la toute puissance du dieu archaïque.
En retour, si Dieu n’était pas le Tout puissant serait-il encore Dieu ? Si Dieu n’était pas l’absolu transcendant inaccessible, impossible pour l’homme, ne serait-il pas qu’une idole, ouvrage de mains ou de pensées humaines, façonné à l’image de l'homme ? Comment l’homme pourrait-il s’adresser à Dieu, si Dieu est Dieu ? Comment, même avec un Dieu serviteur, l’homme pourrait-il converser avec Dieu comme avec un ami, si Dieu n’en avait l’initiative, si Dieu le premier ne s’était offert, ne nous avait aimés, si Dieu ne nous offrait son amitié, sa philanthropie ?
L’Esprit est en nous Dieu qui donne à l’homme de connaître, d’aimer, de vivre avec Dieu. Au Dieu qui se fait serviteur pour que l’homme soit Seigneur répond dans le cœur de cet homme divinisé, l’Esprit qui chante la louange du Père, par lequel le Père fait de nous des fils et filles dans le Fils premier né. Comme Dieu est, si l’on peut oser cette manière de parler de ce que nous ne pouvons pas connaître, il est aussi dans l’humanité, entrainant en sa vie ceux qu’il aime, source de vie jubilante, donnée et reçue, remerciement et acquiescement, amen. Par l’Esprit, nous avons part à la tendresse libératoire qui tourne le Fils vers le Père en réponse à l’amour de Dieu.
Textes de la fête de la Trinité C : Pr 8, 22-31 ; Rm 5, 1-5 ; Jn 16, 12-15
Esprit qui nous donne d’entrer dans l’intimité de Dieu, souffle dans l’Eglise la force de l’action de grâce, de l’Amen. Fais la participer à l’œuvre du Fils qui trouve sa joie à être tourné vers le Père, à demeurer dans le sein du Père.
Esprit qui plane sur les eaux avant même le premier matin du monde, continue l’œuvre de création de ceux en qui le Père se complaît. Que libérés de tous les esclavages, y compris religieux, les hommes reconnaissent en Dieu le serviteur de leur joie.
Esprit de consolation, force des malades, pénètre comme une onction ceux qui sont accablés par les douleurs, ceux qui ont été détruits par l’homme inhumain.
Merci encore. J'aimais bien ton image de la Pentecôte : l'Esprit Saint est le souffle, l'air qui sépare deux personnes, la distance qui permet la rencontre et l'amour. Mais cela est difficile à entendre tant la relation amoureuse est comprise comme fusion, annihilation de cette distance. La Trinité dit aussi ça : Dieu est trois personnes, éternellement trois, même dans un éternel présent d'amour absolu.
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