07/05/2010

Puissions-nous avoir le souffle de l'annoncer présent alors qu'il semble si loin (6ème dimanche de Pâques)

Le Seigneur est-il parmi nous ? Drôle de question ! « Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d'eux » (Mt 1820) confie-t-il aux disciples. Drôle de question si nous sommes rassemblés pour célébrer l’eucharistie, sacrement de sa présence.

Et pourtant, « Vous avez entendu que je vous ai dit : Je m’en vais et je reviendrai vers vous. Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais vers le Père, parce que le Père est plus grand que moi. Je vous le dis maintenant avant que cela n’arrive, pour qu’au moment où cela arrivera, vous croyiez. » C’est au chapitre 14. « Il vous est bon que je m’en aille » répète Jésus deux chapitres plus loin (Jn 167).

Le Seigneur est-il parmi nous ? S’il était là, son Eglise pourrait-elle être à ce point malmenée par les vents violents de l’extérieur et par les secousses criminelles de l’intérieur ? S’il était là, pourquoi donc si peu de ceux que nous aimons et dont nous connaissons la volonté de vivre sérieusement, humainement, ne le voient nulle part, et en particulier ni dans notre rassemblement du dimanche, ni dans le pain partagé ?

Ce que nous appelons présence réelle peut-il ne pas ne pas dénoncer une absence tout aussi réelle. Car si le Seigneur était là, qu’aurions-nous encore besoin de recourir au sacrement ? Si le Seigneur était là, pourquoi faudrait-il le pain et le vin pour dire sa présence ?

C’est que sa présence n’est pas du type de celle des objets qui sont là ou n’y sont pas. Sa présence n’est pas un objet, un quelque chose. Nous ne sommes pas des matérialistes, et surtout de l’eucharistie, nous ne voulons pas en faire un objet, la réduire à une présence matérielle. Ce serait l’idolâtrie au lieu de la foi, la fixation sur la vanité de l’idole plutôt que la quête de la foi.

Déjà des personnes, nous pouvons dire qu’elles nous sont présentes alors que matériellement elles ne sont pas là, ou que là physiquement, elles sont ailleurs, pensent à autre chose. Etre présent pour nous, c’est une autre histoire que de nous trouver ici ou là. C’est nouer une relation, c’est être en alliance, c’est l’appel adressé à ou par autrui à demeurer avec lui, ici ou malgré les kilomètres qui peuvent nous séparer. La réalité de la présence se joue ici, dans la vérité d’une relation, quelles que soient les distances. Et il faut toujours une distance, même infime, sans quoi, c’est la fusion, la destruction de la relation, la confiscation de l’altérité.

Absence et présence ne s’opposent pas. Elles sont condition l’une de l’autre. Pas de présence sans absence.

La présence réelle est celle d’une vérité absente, indisponible. Et dans l’intervalle de l’absence qui rend possible la présence se glisse le souffle, celui de la parole, celui de l’amour, celui de la caresse, qui jamais ne prend ni ne bat mais qui laisse un peu d’espace pour que vibrent les corps ainsi qu’une flûte ou le vent dans les arbres.

Le souffle qui se glisse dans l’absence rend possible la présence, dans l’absence qui n’est plus abandon mais don de la présence. ce souffle c'est l’Esprit, celui que Jésus promet, en ce chapitre 14 de Jean comme encore au chapitre 16.

Que le Seigneur ne soit pas là, parmi nous, c’est ce qui nous fait encore le chercher alors que nous sommes ses disciples. Seuls les disciples le cherchent. Connaissez-vous des non-croyants qui cherchent Jésus ? Et son manque est parfois un grand vide, une blessure. Il faut entendre Jean de la Croix. Nada. Rien de tout ce que nous imaginons, pensons, croyons, rien, nada, rien de tout cela n’est notre Dieu sous peine que nous ne le réduisions à ce que nous imaginons, pensons, croyons, de peur que nous n’en fassions la morte idole alors qu’il est le vivant qui fait vivre et toujours nous attend devant, sur l’autre rive.

Il faut entendre Thérèse de Lisieux : « Aux jours si joyeux du temps pascal, Jésus m’a fait sentir qu’il y a des âmes qui n’ont pas la foi, qui par l’abus des grâces perdent ce précieux trésor, source des seules joies pures et véritables. Il permit que mon âme fût envahie par les plus épaisses ténèbres et que la pensée du Ciel si douce pour moi ne soit plus qu’un sujet de combat et de tourment… Cette épreuve ne devait pas durer quelques jours, quelques semaines, elle ne devait s’éteindre qu’à l’heure fixée par le Bon Dieu et… cette heure n’est pas encore venue. […] Il me semble que les ténèbres, empruntant la voix des pécheurs, me disent en se moquant de moi : “Tu rêves la lumière. […] Avance, avance, réjouis-toi de la mort qui te donnera, non ce que tu espères, mais une nuit plus profonde encore, la nuit du néant.” […] Je ne veux pas en écrire plus long, je craindrais de blasphémer… j’ai peur même d’en avoir trop dit… » (Thérèse de Lisieux, Manuscrits autobiographiques, Manuscrit C, Juin 1897, Le Livre de vie, Office central de Lisieux, 1957, pp. 245-248.)

Il fallait qu’il parte pour que nous le cherchions et le suivions. Il fallait qu’il ne soit pas là comme un sac de patates ou la statue de l’idole pour que sa présence ouvre l’espace d’un souffle de vie qui nous emporte. Il fallait qu’il ne soit pas là pour que, croyant ou non, nous éprouvions l’absence qui seule peut nous le faire désirer. Il fallait qu’il ne soit pas là mais qu’il y ait du pain et du vin, sacrement de sa présence bien réelle donc aussi de son absence, pour que nous tournions notre regard vers ceux avec qui nous avons part à ce pain, car c’est par eux qu’il est là, réunis à deux ou trois ou plus encore. Il fallait qu’il ne soit pas là pour que nous le quêtions en serviteurs dans cette humanité encore marquée par la souffrance et la mort. Puissions-nous avoir le souffle de l’annoncer présent alors qu’il semble si loin…

Texte du 6ème dimanche de Pâques : Ac 15 ; Ap 21,1à-23 ; Jn 14, 23-29

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