Début février, cent cinquante théologiens germanophones demandaient une rupture dans la discipline ecclésiale, notamment quant au célibat ecclésiastique. Dans le journal où paraissait leur texte, la semaine précédente, étonnamment, on rappelait qu’en 1970, quelques théologiens dont J. Ratzinger, s’interrogeaient sur ce même célibat.
Les affaires de pédophilie manifestent l’urgence des réformes au risque de desservir le propos. Les pédophiles en effet ne sont pas tous célibataires et les crimes sexuels sur mineur, en majorité, sont des incestes. Dénoncer ces crimes est aussi indispensable qu’est détestable l’assimilation, prêtre et pédophile. Un tournant dans la pratique et l’enseignement de l’Eglise, de son magistère en particulier, s’impose, et ce pas seulement à cause de crimes ou délits.
Le statut de l’autorité fait problème dans l’Eglise, et le célibat sacerdotal, en outre, est lié à une question d’autorité, celle d’un magistère qui ne veut pas se déjuger, celle d’une conception sacrale du prêtre, être à part, qui a pouvoir sur le corps du Christ, en consacrant le pain et le vin ou en étant chef de communauté. Le statut de l’autorité qui énonce une règle ne suffit plus pour en garantir la vérité et emporter l’adhésion. La démocratisation de la vérité, aussi périlleuses qu’en soient les conséquences, est un fait qu’aucune pastorale ne devrait pouvoir ignorer.
Pour être fidèle à la tradition, il ne suffit pas de répéter. En répétant ce qu’on a toujours dit, on est sûr d’être infidèle. Pour être fidèle, il faut oser inventer les gestes et les paroles qui traduisent à chaque époque la nouveauté de l’Evangile. Les réformes ne résoudront pas tous les problèmes, comme par magie ; pire, d’autres surgiront. Ceux qui les mèneront porteront une lourde responsabilité, c’est certain. Mais si la sainteté est affaire de devoir d’état, si le ministère est lieu de la sanctification de ceux à qui il est confié, alors c’est là qu’ils sont attendus.
Le nombre de catholiques qui demandent à être rayés des listes de l’Eglise a de quoi alerter. Ne doit-on pas tout mettre en œuvre pour que l’on ne se coupe pas de la communauté et, souvent, de l’Evangile qu’elle porte ? Peut-on préférer aux sorties de l’Eglise le célibat ecclésiastique obligatoire, la privation de la communion pour les divorcés remariés, la non-ordination des femmes, la confiscation sacramentelle du pouvoir, l’exclusion de tout couple autre que celui destiné à l’accueil d’enfants par un homme et une femme ?
Ce qui apparaît comme une position intransigeante est rendu possible par une conception de la vérité comme doctrine et rend sourd à des demandes qui sont loin de s’opposer à l’Evangile et à la foi. Sans l’amour et le souci d’autrui, y compris dans sa capacité, toujours limitée, à entendre la vérité, aucune doctrine ne saurait être vraie.
La réforme est une tâche éminemment théologique : ce n’est rien moins que l’Evangile qui doit être réinterprété dans des cultures, ni meilleures ni pires que d’autres, marquées notamment par la fragilité de la contingence historique, la précarité institutionnelle et la faillibilité personnelle. Si l’on pensait que le souci de l’Eglise et de l’Evangile pouvait aussi venir du sensus fidelium, on aurait quelques chances de plus de défendre la vérité de la foi.
Les réformes n’endigueront pas la déchristianisation. Mais que la foi devienne minoritaire ne dispense pas de chercher à mieux l’annoncer et en vivre, ni n’autorise le repli identitaire ou la fixation sur une époque révolue. La plus grande orthodoxie paraît parfois contraire à l’Evangile (Mc 7,9) : quoi qu’il en soit du droit, sont incompréhensibles qu’un pédophile puisse communier alors qu’un divorcé remarié est écarté de la table eucharistique, qu’un prêtre reconduit à l’état laïc puisse se marier alors qu’un divorcé ne le peut pas.
Certains seront agacés de ce que l’on revienne encore sur ce genre de sujets, déplorant une polémique stérile. Ce n’est pas à se taire pourtant qu’on résoudra les problèmes. Il faut redire l’urgence des réformes et faire en sorte que le débat s’instaure. Inéluctablement l’Eglise devra modifier sa pratique et son discours sous peine de devenir une secte. Un nouvel aggiornamentos’impose. Plus on tarde à montrer que des manières différentes de vivre la foi sont possibles, c’est-à-dire fidèles à l’Evangile et sa tradition, plus on accentue le risque de schisme au moment des réformes. Parler de sujets qui fâchent (certains) c’est vouloir éviter, comme après les réformes de Vatican II, un attentat contre l’unité de l’Eglise. Un débat n’est pas forcément une polémique, laquelle serait toujours moins grave qu’un schisme.
très juste.
RépondreSupprimerSur le seuil de la communauté depuis 20 ans, après y être resté malgré bien des questions -dès la prime adolescence- dans l'espoir du concile en préparation, après 30 ans de persévérance, malgré le grand nombre de signaux anti-évangéliques venant du Vatican, j'ai décidé en conscience et dans la peine, notamment du fait des responsabilités d'un père de 4 enfants, cesser tout acte d'acquiescement, fut-il tacite. J'attends de l'institution qu'un jour le papa -évêque de Rome- en communion avec ses frères épiscopes déclare que l'Empire romain qui a survécu à travers l'idée monstrueuse de "la vérité" est une parenthèse fermée et que la tradition (mille feuille de vieilles croutes dénués trop souvent de consistance) doit être revisité à la lumière d'aujourd'hui, et non à la manière de vivre et de décider dans l'unanimité feinte et souvent violente héritée du monde gréco-romain.
RépondreSupprimerMerci de votre message. Je ne peux que respecter votre itinéraire. Je ne sais s'il faut trouver des responsables à une rupture avec l'Eglise. C'est souvent bien compliqué, sans parler des arguments qui sont parfois justifications à bon compte. Vous dites d'ailleurs vous-mêmes, vos responsabilités parentales jouent un rôle à côté de l'attitude du Vatican. Une question, cependant, si je puis me permettre.
RépondreSupprimerLe Dieu de Jésus Christ qui se fait serviteur de l'humanité peut-il ne plus être l'objet de notre amour, y compris dans la communauté de ceux qui se reconnaissent aimés par lui ?
C'est parce que la vérité pour nous n'est pas un savoir, un contenu ou un message, que nous ne pouvons pas nous couper du Dieu philanthrope. Nous sommes pris dans une histoire d'amour qui nous submerge. Et si ce Dieu est ami des hommes, nous ne pouvons pas non plus l'aimer sans aimer les autres, y compris dans la communauté de ceux qui se reconnaissent aimés par lui.
C'est bien pour cela que le retard des réformes (et aussi les crimes de l'Eglise, dont les nôtres) constitue une blessure qui cependant ne devrait pas pouvoir détacher de la communauté. (Evidemment, la capacité de chacun à vivre avec cette blessure, avec cette mort, est une autre histoire et la responsabilité de ceux qui ont confisqué le pouvoir dans l'Eglise est grande.) Mais comment sommes-nous solidaires de la communauté, attachés à l'humanité, cette partie de l'humanité qui tente, tant bien que mal, de manifester le Dieu philanthrope.
(Quant à la question de la vérité gréco-romaine, je ne suis pas certain de vous suivre. Jamais autant qu'au XIXème siècle me semble-t-il, la vérité, pour l'Eglise comme pour la science, n'a été réduite à un message qui s'impose. Ce n'est pas qu'une histoire ecclésiale, c'est une histoire de société, de civilisation.)
Merci de votre mot de sympathie et de votre question.
RépondreSupprimer1/ Aimer Dieu suppose de croire en lui. Il en découle la nécessité de tout faire pour aimer les hommes.
2/ Aimer les hommes sans croire, mais avec l'espérance en Dieu semble possible aussi, encore que nous ne pouvons le savoir que pour nous.
3/ Prétendre aimer Dieu sans aimer les hommes est pire qu'absurde. C'est pourtant ce qu'ont pratiqué trop souvent et gravement de très hauts responsables de l'institution, et ce qu'ils persévèrent à faire, en sorte que l'institution est gravement atteinte. Quant à la communauté, elle ne peut, selon le double sens du mot Église, être séparée de l'institution. De plus, selon mon regard, il y a au moins autant d'amour des autres hors des "communautés chrétiennes", non seulement parce que la masse de personnes qui se disent chrétiennes dépasse de plus en plus largement les communautés, mais aussi parce que, quand quelqu'un aime les autres, il n'est pas nécessaire de savoir s'il se sent ou non chrétien, ou d'une autres religion, ou athée, agnostique, ...
Quand à "la vérité", elle découle de l'idéal "politique" gréco-romain de l'UNANIMITE que l'église -née et fortifiée dans cette culture en relation forte avec ses institutions civiles- a fait sien. Les grands affrontements dogmatiques, qui ont conduit aux scandales des séparations et des exclusions, ont produit un Credo qui aurait sacrément besoin d'être épuré. Le sens de "croire" est très différent aujourd'hui de ce qu'il était alors, quand la croyance était le ciment culturel alors qu'aujourd'hui, ce qui fait culture s'accommode parfaitement de diversité et de relativité.
Aimer Dieu suppose de croire en lui, dites-vous. Oui et non. Oui, parce que croire en lui et l'aimer, c'est synonyme. Non, si croire en lui signifie savoir que Dieu existe.
RépondreSupprimerEn effet, dans la relation, la relation précède la connaissance. Nous avons d'abord cru en l'autre avant que de savoir qui il était. Dans la rue, vous ne savez rien de ceux à qui vous demandez l'heure ou votre direction. Vous leur faites confiance avant de les connaître, de savoir qui ils sont. Et c'est toujours ainsi dans la relation, depuis ce niveau presque zéro de la relation jusqu'à la plus grande connivence et affection.
Rien d'étonnant donc qu'il en aille pareillement pour Dieu si c'est d'une relation qu'il s'agit. D'abord j'aime, d'abord je crois, après je le connais.