On appelle sermon sur la montagne les chapitres 5 à 7 de l’évangile de Matthieu. L’évangéliste rassemble en un seul enseignement de nombreux propos de Jésus. La mise en scène est propre à l’évangéliste. Luc nous installe dans une plaine ; Matthieu préfère la montagne, rappelant le Sinaï, montagne où Moïse reçut et transmit la loi.
Avec une nouvelle loi, Jésus apparaît comme le nouveau Moïse. Il joue dans la même cours que lui, et peut-être plus haute encore, celle des prophètes, celle plus resserrée aussi de ces quelques uns qui parlent à Dieu « bouche à bouche », face à face. Il est libérateur, sauveur. On comprendra, plus tard dans l’évangile, que Jésus ne se contente pas d’ouvrir la mer même s’il en calme les flots, mais que ce qu’il permet de traverser, c’est la mort. Plus fort, si l’on peut dire, que Moïse, à moins que la mer ne devienne une métaphore de la mort.
Ce sermon dur la montagne exprime la compréhension par Jésus de la loi donnée par son illustre prédécesseur. Et cette compréhension est pour le moins paradoxale. Il s’agit d’un accomplissement qui est aussi un renversement.
Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. L’accomplissement apparaît dans un premier temps non seulement comme un complément, une sorte d’achèvement – Jésus finirait ce que Moïse n’avait fait qu’ébaucher ‑, mais comme une radicalisation. Toujours plus fort : la colère est aussi grave que le meurtre, l’envie que l’adultère, le remariage est libertinage, le serment sacrilège.
Une telle radicalisation, extrême, s’impose pour que l’homme soit homme. Il faut en effet que l’on se réconcilie avec son frère avant de prétendre offrir à Dieu quoi que ce soit. Autrement on est en pleine hypocrisie, en plein mensonge, en pleine tromperie. L’homme doit, pour casser le cercle vicieux de la violence, accepter plus exigeant encore que la loi du Talion, non pas œil pour œil, mais réponse à la violence par l’amour, même celui des ennemis. La dignité de l’homme exige plus exigeant. L’humain, trop humain, seulement humain, est rétrécissement de l’homme si la vocation de l’homme c’est le divin.
Or, si une nouvelle loi était nécessaire, à en croire le prophète Jérémie par exemple, c’est parce que l’homme n’avait pas été fidèle à l’alliance. On peut se demander comment il pourra être fidèle à une nouvelle alliance dont le code est encore plus exigeant. Jamais cela ne marchera. Jamais l’homme ne parviendra jamais à observer loi si radicale si exigeante. C’est impossible.
Voilà comment l’accomplissement est renversement. Voilà comment Jésus n’est pas le nouveau Moïse, voilà comment il peut oser opposer à la loi, son Moi, je vous dis. Quelle prétention ?
Qui est-il ? Ce n’est certes pas une question seconde ou inattendue qui vient ainsi à la lecture du texte. Matthieu nous oblige à poser cette question. Qui est celui qui prétend accomplir, et qui de fait respecte la loi, et mieux encore, au nom même de ce que la dignité humaine exige, et qui pourtant renverse la loi, en en montrant l’impossibilité ?
Comment notre justice pourrait-elle dépasser celles des scribes et des pharisiens, celle de la première loi, mosaïque ? Impossible si l’on connaît ses classiques : Quelle est la grande nation dont les lois et coutumes soient aussi justes que toute cette loi que je vous prescris aujourd’hui ? interroge Dieu après le don de la loi. Nous n’y arriverons jamais. L’accomplissement de la loi, la seule logique possible au nom même de l’humain, est achèvement, fin de la loi.
Non, encore une fois, que la loi ne s’impose pas dans cette radicalité, mais que ce dont il s’agit, le but de la loi, ce n’est pas la loi ou son observance qui le donneront. La loi n’est pas un en soi qu’il faudrait pour cela respecter. Elle est faite pour l’homme, et non l’homme pour elle ou pour le sabbat. Si loi de Dieu il y a, c’est pour que les hommes aient la vie. Là encore, il faut connaître ses classiques, encore le Deutéronome : je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que toi et ta postérité vous viviez, aimant le Seigneur ton Dieu, écoutant sa voix, t’attachant à lui ; car là est ta vie.
La loi est replacée par Jésus à sa juste place, au service de l’homme, non pour l’écraser aussi exigeante qu’elle soit, ni non plus comme clé du bonheur. Comme s’il suffisait de respecter des lois pour être heureux, pour être vivant. La loi indique seulement le chemin du bonheur et de la vie : c’est un don de Dieu, une bénédiction. Tâcher de se procurer seul la vie et le bonheur, c’est dérober le fruit de l’arbre au milieu du jardin. Le fruit est désirable, mais importe la manière de le posséder, en s’en saisissant comme un voleur, fût-ce en respectant la loi, ou en le recevant des mains de Dieu, ce qui est la seule solution pour les pécheurs que nous sommes.
Textes du 6ème dimanche A : Si 15,15-20 ; 1 Co 2,6-10 ; Mt 5,17-37
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