Est-ce par timidité que Paul arrive à Corinthe tout tremblant, dans la faiblesse ? Les indications psychologiques sont assez anachroniques dans les écrits de l’Antiquité, et notamment dans les Ecritures. Il faut plutôt penser que c’est pour des raisons théologiques que Paul souligne sa faiblesse.
La faiblesse est accordée à l’annonce de l’Evangile. Il n’y a pas d’annonce de l’Evangile qui puisse recourir à la puissance. Il faut que l’annonce soit comme minable pour que la force de la parole soit effectivement celle de la parole et aucunement celle de l’annonce. Que l’on n’imagine pas que le héraut de la bonne nouvelle doive user de stratagèmes, de moyens modernes ou non de communication. Il doit disparaître derrière ce qu’il dit, voire apparaître comme invisible aussi contradictoire que ce soit, peut-être apparaître rebutant pour que ce qui attire soit la parole de Dieu qu’il transmet et surtout pas la sienne.
Paul ne peut que recourir au paradoxe, comme les évangélistes à la parabole, pour dire l’indicible. Comment une parole qui ne peut-être qu’humaine pour être entendue par les humains, peut-elle être parole de Dieu ? Il ne faut pas que l’on s’y trompe à écouter l’Apôtre, ce n’est pas lui qui parle. Il ne faut pas que l’on s’y trompe à écouter celui qui annonce l’évangile, ce n’est pas lui qui parle.
Ces propos deviennent provocateurs dans le contexte ecclésial actuel. C’est peut-être bon signe ; l’évangile a encore une puissance de remise en cause même à l’intérieur de l’Eglise. Il est en effet fréquent d’entendre aujourd’hui des chrétiens qui, comme dans une sorte de reality-show, s’enthousiasment pour tels prédicateurs ou écrivains, pour telle communauté nouvelle. Ils sont si bien, eux, à la différence de cette Eglise vieillissante des paroisses qui ne donnent pas envie d’être chrétiens.
Pour limiter l’érosion de la pratique, pour attirer les jeunes, il faudrait telle musique ou tel chants, tel prédicateur vedette, tel pratique un peu moderne de communication. Comme elles sont provocantes les paroles de Paul : Parmi vous, je n’ai rien voulu connaître d’autre que Jésus Christ, ce Messie crucifié. Pas de gloire, pas de réussite au sens de la société. Un homme pendu au gibet comme seule force.
L’évangile n’attrape pas, ne peut attraper par le brillant, le bling-bling, comme les sectes. Il ne s’agit pas de courir après le plus rebutant, le plus misérable. Il s’agit de ne pas confondre évangélisation et communication, évangile et religion. La conversion ouvre certes une porte à la joie, mais la porte est étroite, le chemin rude.
On ne va pas faire exprès de tout rater, exprès d’être le plus repoussant. On va juste convenir que les critères de la réussite ne sont pas les bons, car nous aussi, nous devons dire : Parmi vous, je n’ai rien voulu connaître d’autre que Jésus Christ, ce Messie crucifié.
Dans la situation de déchristianisation, de reflux du christianisme comme religion de l’Occident, il y a de quoi s’inquiéter. Nos propres enfants ne partagent pas la foi, ou ne la partageront pas. Le futur Cardinal Kasper écrivait il y a déjà longtemps que la chrétienté ‑ la coïncidence du christianisme avec la société ‑ devait être considérée comme l’exception plutôt que la norme. On ne devrait pas s’inquiéter de ce que le christianisme ne soit pas, ne soit plus, la religion de la société. Nous ne sommes pas là pour installer l’Eglise en bonne place dans la société, pour qu’elle exige telle ou telle disposition de la loi. Nous sommes là pour annoncer l’évangile et nous ne voulons rien savoir si ce n’est Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié.
L’évêque de Poitiers, Mgr Rouet, a l’habitude de commenter l’évangile de ce jour en disant que Jésus ne nous demande pas de faire du nombre, mais d’avoir du goût. Vous êtes le sel de la terre. Faudrait-il que tous soient sel ? Le plat serait immangeable. Les chrétiens proposent-ils quelque chose d’original ? Pas sûr ! Il s’agirait plutôt de révéler ce qui déjà est là, la grandeur d’une humanité. Cette grandeur que proclame l’évangile comme une bonne nouvelle est déjà là, depuis la création du monde, depuis que l’homme est à l’image de Dieu. La conversion qui donne goût ou éclaire ce monde ne fait que proclamer ce qui déjà s’y trouve. Or voir la grandeur de l’homme est chose plus compliquée qu’il n’y paraît. Quand vous ouvrez les journaux, on ne peut pas dire que cela saute aux yeux. Voilà le retournement de l’évangile : 1. Le mal est dénoncé et vaincu ; 2. même criminels l’amour de Dieu ne nous est pas retiré, rien ne peut nous en séparer. Si Dieu nous aime à ce point, même du fond de nos bassesses, l’humanité ne saurait être autre que grande. Nul n’est perdu pour Dieu.
Cela, seule la folie de la croix le dit, le fait. Et voilà pourquoi nous ne voulons rien savoir si ce n’est Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié. Rien d’autre n’importe, surtout pas notre succès. Nous ne voudrions pas le succès de criminels. Nous voulons la victoire de la vie, celle de Jésus.
Textes du 5ème dimanche A : Is 58,7-10 ; 1 Co 2,1-5 ; Mt 5,13-16
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