Pourquoi doit-on passer par l’Eglise pour être disciple du Christ ? Pourquoi ne peut-on pas vivre sa foi sans le rassemblement du dimanche, sans l’institution ? Faut-il vraiment prendre place dans des communautés vieillissantes ? Faut-il vraiment se forcer à rejoindre d’autres communautés, parfois jeunes, mais dont le style et la pensée ne nous conviennent pas ?
Ne peut-on pas vivre sa foi tout seul, dans son coin ? L’état ou le style des communautés paroissiales ou autres, les discours dominant ou dissonants nous déplaisent selon notre propre positionnement au point de nous détourner parfois de la foi, de nous rendre l’évangile indigeste. Ne serait-il pas préférable de cultiver pour soi une relation à Dieu, dans la rectitude de la vie et la prière ?
Ainsi, beaucoup de chrétiens ne fréquentent plus guère les communautés et préfèrent entrer dans une église pour se recueillir. La foi est affaire intime, disent-ils de surcroît, sans compter que le bruit des enfants ou les salamalecs ecclésiastiques peuvent être une vraie nuisance. Force est de constater cependant, que cette privatisation de la vie chrétienne, conduit souvent à un abandon de la responsabilité missionnaire, c’est-à-dire à un dessèchement de la foi, à son abandon. Beaucoup sont sortis de l’Eglise sur la pointe des pieds, sans bruits, laissant aussi de fait le Christ de côté. Ils n’ont pas oublié son enseignement sur l’amour du prochain, car point besoin de la prière et de la lecture de l’évangile pour vivre le respect et l’amour du frère. Mais le Christ n’est plus un compagnon de route, au mieux, une référence, un modèle, un idéal, parmi d’autres.
Ces départs discrets semblent affoler bien moins la hiérarchie de l’Eglise, si sensible à l’unité, qui au contraire, modère son discours et durcit ses pratiques pour ne pas se mettre à dos des minorités plus bruyantes. L’unité de l’Eglise n’en est pas moins passablement écornée. Quoi qu’il en soit, que répondre à ces remises en compte de la nécessité de l’Eglise pour vivre sa foi ? Pouvons-nous dire en quoi l’Eglise est indispensable à la suite du Christ par les disciples ?
L’évangile de ce jour me fait retenir un point. Il n’y a pas d’accès immédiat à Dieu. La rencontre avec Dieu se fait toujours de dos, comme disent les Ecritures, parce que l’on ne peut pas voir Dieu sans mourir. Ce vocabulaire imagé laisse entendre qu’il y a quelque chose de mortel dans un rapport qui serait direct avec Dieu. Si l’homme croit pouvoir se tenir devant Dieu alors qu’il n’a accès à lui-même que par le long détour de son propre corps et des autres, il est dans l’illusion.
L’illusion en matière religieuse est toujours violente. L’idolâtrie ou le fanatisme, bref la psychose, en sont les formes les plus communes. Voilà pourquoi il importe pour se tenir devant Dieu que quelques uns soient réunis en son nom. C’est parce qu’il y a de l’autre que le Dieu autre, le Dieu qui n’est pas ouvrage de mains humaines ou conception d’élucubrations intellectuelles peut se laisser deviner.
N’allons pas penser que le rassemblement est un mode parmi d’autres de la présence de Dieu. Sans le rassemblement, sans la médiation d’autrui, du frère, il n’y a pas de chemin vers Dieu. Le chemin vers Dieu est le frère.
Cela est évidemment d’importance pour dire le cœur de la foi chrétienne qui ne saurait distinguer l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Cela est d’importance aussi pour notre santé psychologique, mentale. Cela l’est enfin pour la santé de notre foi.
C’est effectivement trompeur de se retrouver seul à seul, dans le cœur à cœur, avec le Dieu tel qu’on l’imagine. C’est au contraire une aventure hautement spirituelle, qui décentre, que de se laisser surprendre par le Dieu livré dans la rencontre des frères, un Dieu que je dois résister à faire à mon image, à mon goût, que je peux laisser exister comme il vient, à moins que je ne fasse de mon groupe de prière, de mon Eglise, une secte.
Il n’y a pas de parade absolue contre l’idolâtrie et le fanatisme. Effectivement la sectarisation de l’Eglise nous guette. Reste que la médiation ecclésiale interdit au moins un certaine forme d’idéal. De fait, l’Eglise ne peut guère paraître idéale alors même que nous la confessons sainte, à moins, une fois encore, de devenir une secte, qui a toujours raison et sait tout. La médiation ecclésiale, c’est la rencontre charnelle avec un peuple pécheur mais aussi avec le peuple immense de ceux qui cherchent Dieu, de ceux qui dans l’ignorance de ce que fait la main gauche, viennent au secours de leurs frères.
« En faisant constamment buter le croyant sur le corps, l’institution ou la tradition, en rappelant à chacun que nul ne peut se déclarer chrétien si les autres ne le lui disent – et d’abord à travers le baptême – qu’une foi qui se voudrait toute intérieure sous prétexte de spiritualité et de pureté est une illusion, que cette foi ne peut se développer sans pratique, […] les sacrements » comme les frères, « posent un interdit d’idolâtrie, c’est-à-dire l’interdit de réduire Dieu ou le Christ aux conditions de l’expérience subjective que l’on dit avoir faite d’eux. En nous ramenant constamment vers la médiation du corps, de l’institution et de la tradition, ils viennent briser nos rêves de pleine et immédiate présence de Dieu ». (L.-M. Chauvet, Le corps chemin de Dieu, p. 77)
En outre, ce n’est pas nous qui prions, mais toujours cette Eglise sainte et toujours à renouveler à réformer. C’est à la foi de l’Eglise que nous avons part de sorte que si l’Eglise n’est pas là, vaine est notre rencontre de Dieu, illusoire est notre rencontre de Dieu. Seulement quand deux ou trois sont réunis en son nom, il est là, au milieu d’eux.
Désireux de faire suivre votre texte à un ami, j'ai utilisé le parcours proposé qui refuse l'envoi parce que le @ n'est pas dans l'adresse ... Or il y est ... Donc ... Problème technique !
RépondreSupprimerMerci pour vos écrits
JD
J'ai transféré hier un message et je n'ai pas eu de difficulté. En revanche, je pense que l'on ne peut transférer le message qu'à une personne à la fois.
RépondreSupprimerVotre texte m'interpelle... Mais j'ai besoin d'y réfléchir… Je reviendrai sans doute un peu plus tard pour un plus long commentaire - non, non, promis, juré, ce ne sera pas avec un lance-flamme… -
RépondreSupprimerPour l'immédiat, n'étant pas « pratiquant », pouvez-vous me dire à quel texte réfère : 23ème dimanche du temps… ?
Ez 33,7-9 ; Rm 13,8-10 ; Mt 18,15-20.
RépondreSupprimerMon texte ne commente que Mt 18,20.
La place étant limité par commentaire, et mon texte étant un peu long (désolé…), Je publie en plusieurs morceaux…
RépondreSupprimer------------------
1 -
J'appartiens à une génération dont l'enfance se déroule dans les années 50, c'est-à-dire forcément éduqué « chrétiennement » (paraît-il). J'ai vécu dans une sorte de foi sociologique à laquelle je ne disais pas non. L'existence de Dieu semblait une réalité aussi évidente que le théorème de Pythagore. On pouvait certes se poser des questions, mais les curés avaient réponse à tout. Et puis, certes, nous étions d'horribles pêcheurs, mais l'église ayant eu la bonne idée d'inventer les confessions, on pouvait régulièrement remettre les compteurs à zéro. Alors finalement, nous finirions tous au ciel…
Je suis de ceux qui, comme vous le dites, « ont quitté sur la pointe des pieds ». Il y a pas loin de 30 ans que j'ai cessé toute pratique religieuse, et de toutes façons la messe du dimanche, aussi loin que je remonte, était d'un mortel ennui… Les choses ne me semblent guère avoir changé, si j'en crois les mariages et enterrements auxquels il m'arrive de me rendre.
Par ailleurs, certains événements de mon histoire personnelle ont fait naître en moi des griefs précis à l'encontre du personnel ecclésiastique et des exécutants du culte catholique.
Curieusement peut-être, c'est à ce moment-là qu'à commencé pour moi une authentique recherche spirituelle, dépoussiérée du fatras religieux. J'ai redécouvert les Évangiles et la personne de Jésus m'a semblé pouvoir être un maître en humanité. Lorsqu'il m'arrive de rencontrer des chrétiens et que « la question de Dieu » est abordée, je suis toujours surpris de leur méconnaissance des écritures… En revanche, les positions du pape sur les sujets divers et variés, plus « profanes » les uns que les autres, ils connaissent très bien…
2 -
RépondreSupprimerPardonnez-moi d'avoir évoqué des choses personnelles, mais c'est dans ce contexte que votre texte m'interpelle.
Entre vivre sa foi tout seul dans son coin, (ce que vous semblez estimer impossible, pour ne pas dire néfaste), et la nécessité, pour vivre sa foi dans l'église (que vous estimez incontournable) n'y a-t-il pas si ce n'est une sorte de troisième voie… Et à tout le moins des modalités bien différentes selon les personnes.
Je suis pleinement d'accord avec vous sur les illusions et les dérives que vous évoquez. Se fabriquer un dieu satisfaisant pour soi est une commodité facile ou une névrose répandue. Mieux vaut alors s'en passer.
Mais les collectivités ne sont guère l'abri des mêmes dérives. Les exemples foisonnent, sans même forcément parler de sectes. Les grandes religions monothéistes ont bien été capables des pires dérives au nom de leur Dieu. Le « prochain » c'est l'adepte converti, l'autre est un ennemi. Je vous concède aisément que des grandes idéologies « athées » ont fait de même…
L'amour du prochain, qui est un mouvement de l'homme envers l'homme, peut-il être encarté dans une quelconque organisation collective ? Surtout lorsque celle-ci déclare détenir la Vérité des Vérités… Et être chargée d'une mission prosélyte à vocation universelle… Une secte planétaire en quelque sorte…
L'amour du prochain peut-il être autre chose que du un à un ? Des déclarations générales du genre « j'aime tous les hommes » demeurent de l'ordre du bon sentiment (certes meilleur que le mauvais…), surtout lorsque j'ignore la vie de mon voisin, ou que, comme je l'ai vu faire par un prêtre, je repousse du pied le SDF qui gêne l'entrée aux bons chrétiens qui se rendent à la messe…
Les foules venaient à Jésus en raison de son charisme attirant. Il renvoyait chacun chez-soi pour qu'il aille se réconcilier avec son frère…
3 -
RépondreSupprimerLorsque Jésus déclare : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d'eux. », Je ne me fais pas comme représentation une pièce où les gens seraient assis en rond, et Jésus au milieu. Le "milieu" me semble vouloir dire l'intériorité profonde de la personne, une sorte de sensation spirituelle de présence, que je ne confonds pas avec des manifestations sensibles, voire exaltées…
Les pèlerins d'Emmaüs, plutôt que de voir je ne sais trop quelle "entité vivante" de leurs yeux vus, ont perçu la présence de l'intérieur d'eux-mêmes. Parce que faisant mémoire ils sont entrés dans la compréhension. Il faut toujours du temps et du recul pour que s'accomplisse le travail intérieur.
Jésus me semble témoigner de cette aventure spirituelle et, par sa personne même, son enseignement, et une exemplarité de vie, avoir réveillé chez d'autres quelque chose de comparable.
Quant à Dieu…
En faisant l'hypothèse de son existence c'est-à-dire en ratifiant ce que vous en dites vous-même, il me semble demeurer foncièrement le Tout Autre, et je ne peux ni rien en apercevoir, ni rien en dire. Pas même sans doute en avoir une perception intérieure, et toute approche, pour intense qu'elle puisse être, n'en demeure pas moins à des années-lumière de ce Tout Autre.
Je m'arrête là… J'ai déjà été bien long…
Et je ne veux pas squatter votre lieu de parole…
Qui plus est, vous estimerez sans doute que je n'ai pas encore compris grand-chose, que voulez-vous je suis un esprit de peu d'intelligence…
Je ne prends pas le temps, vous voudrez m'en excuser, de reprendre tout ce que vous dites. Que les institutions, et l'Eglise en particulier, ne soient pas à l'abri des dérives, peut-être aussi graves, voire plus graves que les illusions pathologiques des personnes, c'est certain. Que les institutions et l'Eglise puissent aussi idolâtrer Dieu lui-même, c'est certain.
RépondreSupprimerMon texte ne développait qu'un seul aspect du dernier verset de l'évangile.
Nous avons déjà échangé sur ce qui me paraît être une question importante, le côté individuel de chacun, si je peux dire. Alors, j'ai creusé mon sillon. Notre ethos occidental ne me semble pas assez prendre en compte que nous sommes non pas des individus les uns à côté des autres, mais membres les uns des autres. Individu signifie trop à mon sens autonomie, autarcie. Or je ne suis pas à moi-même ma propre loi, je ne peux vivre seul, les autres me constituent, les autres pouvant être les ancêtres, mais aussi tous ceux qui font que vit la société à laquelle j'appartiens.
Je ne pense pas certes que mon texte suffise à justifier le bien fondé de l'Eglise. Il explore une perspective, nécessaire, me semble-t-il, mais je l'accorde, pas suffisante. Je réagis à la privatisation de la foi qui, je le constate assez souvent, est en fait un oubli de la foi, un retour à la religion. Nombre de ceux qui viennent rencontrer la paroisse à l'occasion d'un baptême, d'un mariage, d'un enterrement, très croyants mais pas pratiquants, sont de ceux que je vise, tout comme parmi les chrétiens pratiquants réguliers, ceux qui insistent tellement sur l'intériorité qu'ils en oublient l'incarnation, le passage par la chair.
Je vois bien la limite des institutions, mais je m'en fais l'avocat tant elles sont vilipendées. L'institution démocratique n'est guère mieux considérée que l'institution ecclésiale. Je reconnais bien volontiers ne pas avoir tout dit. J'ai juste voulu avancer contre l'individualisme de la démarche spirituelle, qui isolerait d'autant plus qu'elle se réclame de l'intime. L'aventure spirituelle, même personnelle, est de part en part communautaire.