Ce genre de paraboles est délicat à manier. On peut fonder dessus un antijudaïsme chrétien en mettant dans l’habit de celui qui dit et ne fait pas le peuple d’Israël. Jésus lui-même, même si tout Israël ne peut être réduit aux scribes et aux pharisiens de l’époque, parle de ces derniers comme de « ceux qui disent et ne font pas » (Mt 22,3).
N’est-il pas en effet facile de penser que le peuple de la première alliance a dit sa fidélité à son Dieu, mais n’a pas observé les commandements au point de faire rater l’alliance ? La théologie de la substitution qui a eu cours dans l’Eglise, selon laquelle le nouveau peuple de Dieu remplace l’ancien, l’Eglise la synagogue, s’appuie sur pareille conception. Or le nouveau peuple de Dieu, ce n’est pas l’Eglise, même si l’Eglise en est le sacrement. Le nouveau peuple de Dieu, c’est le peuple immense de ceux qui cherchent Dieu, et rien ne dit qu’Israël en est exclu. Les promesses de Dieu sont sans repentance, comme le dit Paul, précisément à ce propos (Rm 11,29.)
Mais alors, si ce n’est pas le peuple d’Israël qui dit et ne fait pas, qui est-ce ? Ne serait-ce pas l’Eglise elle-même ? Les crimes qu’elle a commis au cours des siècles manifestent assez qu’elle dit et ne fait pas, qu’elle dit et fait le contraire. Notre Eglise se dit préoccupée par l’unité et tend la main aux intégristes comme à aucune autre communauté schismatique ou hérétique. Si l’on déroulait le même tapis rouge pour les anglicans, les luthériens ou les orthodoxes de Constantinople, l’unité ne serait-elle pas déjà retrouvée ? Si l’on déroulait le même tapis pour ceux qui partent sur la pointe des pieds, sans faire de bruit, divorcés remariés, prêtres qui n’en peuvent plus du célibat, etc. nos communautés ne seraient-elles pas moins amputées ?
L’évangile que nous annonçons nous dénonce tous. Nous sommes tous des disciples infidèles. Et nous n’allons tout de même pas réduire cet évangile à la taille de nos capacités ! Nous sommes condamnés à dire et ne pas faire.
Augustin avertissait déjà, précisément dans le contexte d’un débat avec des chrétiens schismatiques : « Beaucoup de ceux qui paraissent dehors sont dedans, et beaucoup de ceux qui paraissent dedans sont dehors » (De baptismo V, xxvii, 38)
Puisque les contextes historiques, dont on voit bien qu’ils pourraient illustrer la parabole, ne parviennent pas à en rendre un sens satisfaisant, revenons au texte.
Il n’est pas aussi symétrique qu’il paraît, avec d’un côté celui qui dit et ne fait pas, de l’autre, celui qui fait et ne dit pas. On a un peu de mal en effet à voir en quoi les prostituées et les publicains feraient même s’ils disent d’abord qu’ils ne feront pas. De la parabole à la conclusion qu’en tire Jésus, il y a une sorte de distorsion. Il n’y a pas, contrairement à ce que suggère une lecture trop rapide de la parabole, deux types étanches de comportements symétriques.
Qui, chez les pécheurs comme chez ceux qui apparaissent comme obéissants à la voix du Père, qui fait ? Personne, ni les prostituées, ni les interlocuteurs de Jésus, ceux à qui il dit « vous », ceux que le texte ne nomme pas, et pour cause, mais que l’on aurait envie d’appeler les justes. Or il n’y a pas de justes. Que celui d’entre nous qui n’a jamais péché se lève. Que celui d’entre nous qui est fidèle à l’évangile se lève. Voilà pourquoi ce mot de juste n’est pas employé, voilà pourquoi la parabole n’est pas symétrique.
Il n’y a pas d’un côté ceux qui disent et ne font pas et de l’autre ceux qui font quoiqu’ils disent. Il y a ceux qui font croire qu’ils font et ne font pas, et de l’autre ceux qui font croire qu’ils ne font pas et font cependant, du moins parfois, car évidemment tous les pécheurs et prostituées ne sont pas toujours à écouter la voix du Père. Autrement dit, il n’y a que des gens qui ne font pas.
La parabole, comme d’habitude, par son exagération ou sa distorsion, oblige à dépasser nos petites logiques, les fait exploser, trop étroites qu’elles sont. Ceux qui sont du côté des prostituées et des publicains, ne font pas forcément mieux que les autres (indépendamment du jugement contemporain qu’il faut porter sur la prostitution). Mais eux, savent bien qu’ils ne peuvent pas la ramener, eux savent bien qu’ils ne risquent pas de se dire justes. Le feraient-ils que l’on ne se laisserait pas prendre. On risque en revanche de se méprendre en voyant celui qui paraît obéir à la voix du Père. Lui, on risque de le prendre pour juste. Lui, c’est-à-dire, un de ceux à qui Jésus s’adresse en disant « vous », sans doute nous, donc.
Notre Eglise, comme le peuple de la première alliance, ne peuvent être témoin de la sainteté de Dieu, qu’à dire leur inadéquation, leur inaptitude à en parler, à en témoigner. Et voilà pourquoi les Ecritures racontent non pas l’histoire d’un héros, le peuple Juif, mais l’histoire d’un peuple pécheur, à la nuque raide, qui dans son péché, ne trompe personne et peut ainsi témoigner en vérité. Notre Eglise ne peut être crédible en donneuse de leçon. Paul vi le disait, le monde contemporain a plus besoin de témoin que de maître, non qu’il se fiait ou se réfugiait dans les sentiments contre la raison, la tyrannie des sentiments séducteurs contre la froideur de l’austère raison. Mais le témoin porte le trésor dans des poteries sans valeur, pour être sûr que l’on ne s’intéresse pas à la poterie (Cf 2 Co 4,7). Assez des héros, ceux qu’on appelle aujourd’hui des témoins.
N’en concluons pas que notre parabole invite à l’humilité ou à la cohérence de l’existence, faire ce qu’on dit. Elle invite à la vérité. A quelle condition parler de la sainteté ? Pécheurs que nous sommes, n’en sommes-nous pas forcément de faux-témoins ? Mais si nous ne parlons pas, qui le fera ? Qui dira la sainteté de Dieu ? Nous ne sommes pas à la hauteur, nous ne faisons pas ce que nous disons, et c’est justement ceux-là que Dieu a choisis ; la preuve, les publicains et les prostituées nous précèdent dans le Royaume.
Textes : Ez 18, 25-28 ; Ph, 2, 1-11 ; Mt 21, 28-32
L’asymétrie de la réaction des deux fils ne tient t’elle pas aussi de la qualité d’écoute filial? Le second répond par l’affirmative, et il n’est pas question de remord. Il ne prend pas en compte réellement la demande qui lui est faite. Pourtant aller travailler aux vignes de son père ne lui plait pas, puisqu’il n’y va pas. Mais il n’exprime pas que la demande du père s’oppose à son désir. Lui importe plus qu’il n’y ait pas de conflit avec le père, que sur l’instant de la confrontation il apparaisse obéissant. Le premier fils par contre exprime que son désir ne correspond pas à la demande du père. Il résiste. Mais dès le moment où il résiste, il prend en considération la demande, quant bien même c’est pour s’y refuser dans un premier temps. Il écoute la parole du père. Logiquement, il se laisse traverser par cette parole. Il la laisse travailler son désir. C’est ce qui peut être compris dans le « pris de remord ». Et alors il agit en fonction de la parole qui lui a été adressé. « Il y alla ». On ne sait pas ce qu’il y fit exactement. Etait ce exactement la volonté du père ? Mais sa vie a été transformée par la parole. Et c’est peut être là tout l’essentiel, cette attitude d’écoute qui commence dès la résistance qu’on manifeste. Alors que le second fils, qui peut s’enorgueillir de ne pas être en conflit avec la parole d’autorité (il est question d’autorité dans le débat avec les prêtres à qui Jésus répond), n’a même pas commencé à résister à la parole. Il ne l’écoute tout simplement pas.
RépondreSupprimerQu’est ce que les publicains et les prostitués ont en commun pour être donner en exemple ? Le mépris dans lequel ils sont les uns et les autres tenus par leurs contemporains ? Mais pourquoi sont ils méprisés ? Les prostitués se font payer pour mimer l’amour. Elles échangent ce qui a de pus sacré, leur chair érotique, contre de l’argent, un moyen de subsistance ou d’enrichissement et de pouvoir. Les publicains collaborent avec la puissance occupante pour récolter l’impôt, et sont payés par un pourcentage de ce qu’ils ponctionnent au peuple. Rappel permanent de la perte de liberté du peuple, collaborateurs de l’arbitraire des puissants tout en restant objectivement une portion du peuple. Ce genre de collabos se recrutent en général parmi les petits. Ils ont une famille à nourrir. Ils ont été humilié par le pouvoir précédent qui ne valaient pas beaucoup plus que l’actuel…
RépondreSupprimerProstitués et publicains symbolisent réellement tout un chacun. Qui ne touche pas de l’argent ? Qui n’est pas dans la nécessité de subvenir à ses besoins primaires, et à ceux de ses proches ? Qui ne prend pas appétit pour disposer de cet argent à des fins futiles de pouvoir et de paraître ? Depuis longtemps le la tradition biblique a identifié le peuple des croyants à des prostituées, Gomer épousée par Osée pour dire l’amour de Dieu pour son peuple, Rahab qui aide Josée/Jésus dans la conquête de Jéricho, Tamar qui se fait passer pour prostituée pour obtenir une descendance et une existence de la part de son beau-père qui lui devait… Origène et Ambroise à leur tour identifièrent l’Eglise à la pute chaste, la casta meretrix, prostituée parce qu’elle constituée de païens, d’idolâtres, et chaste parce qu’elle écoute la parole…