« Il n’y avait pas de place pour eux dans la salle
commune. » On lit ce verset comme l’expression du rejet, du refus
d’accueillir ces pauvres déplacés que sont Marie et Joseph. Sur la route par
décision administrative, Marie accouche où elle peut. Alors que le drame des
sans-abris, des migrants et réfugiés dans nos rues, des mineurs isolés qui
dorment dehors ne trouve de réponse politique que dans des lois qui les excluent
toujours plus, impossible d’ignorer cette lecture aussi commune que la salle de
l’évangile. Et ceux d’entre nous qui accueillent ces personnes, ouvrent leur
cœur et leur maison, non seulement relèvent le défi de la fraternité et de la
dignité humaine, mais attestent en acte que c’est Noël, des fils et filles de
Dieu sont accueillis.
Pourtant, il me semble que c’est autrement qu’il faut lire
le texte. C’est seulement la faute à pas de chance si Marie doit se déplacer au
moment d’accoucher. Il n’y a aucune animosité de qui que ce soit dans cette
difficulté. Ensuite, rien ne dit que Marie et Joseph étaient pauvres. Rien ne
dit non plus qu’il faisait froid la nuit de la naissance de Jésus. Ce n’est
qu’au 4ème siècle que le jour de sa naissance a été fixé au 24
décembre. Il a aussi bien pu naître en plein été, dans la journée aussi bien
qu’à minuit.
Pourquoi la narration se déroule-t-elle sans heurt et nous
informe-t-on, au détour d’un verset, d’un manque de place dans la salle commune ?
S’agit-il même d’un problème ?
L’évangéliste dit que Marie n’accouche pas chez elle, dans
son village, mais alors qu’elle est en route ; elle emmaillotte alors l’enfant
et le couche dans une mangeoire. C’est ce détail qui semble mériter une
explication. Pourquoi une mangeoire ? « Il n’y avait pas de place
pour eux dans la salle commune ». Mais est-ce bien dans une salle commune
qu’une femme accouche ? Cette salle doit plutôt être comprise comme une alerte
qui attire notre attention. Reste à savoir sur quoi.
Coucher l’enfant dans une mangeoire, c’est en faire une
nourriture. « Prenez, mangez, c’est mon corps pour vous. » Celui qui
naît est nourriture et vie. On retrouvera le geste d’emmailloter et de déposer
le corps de Jésus à la fin de l’évangile. « Il le descendit de la croix, l’enveloppa
d'un linceul et le déposa dans une tombe taillée dans le roc où personne encore
n’avait été mis. » De nouveau, un hors lieu.
Comment voulez-vous que Jésus trouve place chez les
hommes ? N’est-il pas le maître de l’univers, celui par qui tout a été
fait, comme dit Jean ? Il ne peut pas naître à la maison, il n’a pas
d’endroit où reposer la tête. Il ne peut naitre qu’en route, lui qui est le
chemin. Il ne peut être dans la salle commune, parce que, même s’il est en tout
comme les autres, il reverse tellement nos logiques, jusque dans la manière de
croire, qu’il n’a pas grand-chose de commun avec nous. Ne peut-il exister qu’autrement
qu’en marge, dans les périphéries comme aime à dire François ? Comme si l’humanité
ne se jouait pas dans le commun mais en marge. C’est peut-être trop tard pour vous
avertir, mais si vous vouliez rencontrer Jésus à Noël, ce n’est pas là où tout
le monde se trouve qu’il fallait aller, centres commerciaux et magasins, mais aux
marges de la société.
La salle commune, c’est sûr, est l’indice qui invite le
lecteur à ne pas lire le texte au premier degré ; il doit y reconnaître une
profession de foi. Chaque verset mérite ainsi d’être écouté attentivement.
Auguste, qui veut savoir combien il y a d’habitant en son
empire, Auguste dont le règne est la mesure du temps, ne se prend-il pas pour Dieu ?
A moins que la toute-puissance de Dieu ne soit précisément pas la puissance,
mais l’inverse, la vulnérabilité d’un nouveau-né et de sa mère, comme un feu qu’on
vient d’allumer et que le moindre souffle éteint.
Que Joseph soit de la lignée de David n’a pas d’intérêt s’il
s’agit seulement d’une affaire généalogique. Mais l’on sait comment les
évangiles reprennent ce thème et confessent l’identité de Jésus, messie et
pasteur. Et ce sont justement les siens, des pasteurs, qui les premiers
viennent visiter l’enfant. On est en droit de se demander si notre texte
raconte la naissance de Jésus ou s’il n’est pas plutôt une profession de foi. Vous
vous doutez bien que ce petit juif de Palestine n’a attiré personne à sa
naissance. Qui pouvait savoir ce qu’il deviendrait à part Dieu et son dessein
que les anges mettent en scène ?
C’est la foi des disciples qui est ici non pas énoncée mais
racontée. Un fils d’homme, né d’une femme est chemin de vie, vivre pour la
route. C’est cela noël : un fils d’homme, né d’une femme, est chemin de
vie, vivre pour la route.
J'aime bien la précision sur la généalogie de Joseph. Le caté nous montre David comme un sympathique musicien, jeune et séduisant, alors que les livres de Samuel le montre comme une crapule capable du tuer "des myriades" (1 S 18), avec sa bande de délinquants et de voyous, pour obtenir le pouvoir. Que Jésus se réclame de David signifie aussi qu'il assume et la violence et la perversion dont l'homme est capable... loin des images doucereuses qu'affectionnent nos chères "dames caté". La Parole de vie émerge dans ce que l'homme a de plus abject, et c'est vraiment une bonne nouvelle.
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