12/02/2018

Demain, c'est la fête (mercredi des cendres)


Nous allons fêter la résurrection, la Pâque du Seigneur. Il y a tout juste quarante jours pour se préparer, quarante jours pour faire monter le désir de la Pâque, quarante jours pour apprendre à ne penser qu’à la fête.
Un carême pour se réjouir, ou plutôt pour préparer les réjouissances. Un carême pour désensabler ce qui empêche d’être heureux, quarante jours pour dilater l’espace. Comme une pièce qu’il faudrait vider ou agrandir, le plus possible, afin qu’elle accueille le plus grand nombre d’invités à la fête.
Ce n’est pas encore la réjouissance, seulement le temps de la préparer, comme s’il ne s’agissait pas de jouir de sa présence, mais de jouir de cette jouissance. Thérèse de Jésus use de cette redondance. Et de quoi se régale-ton ? Elle confesse n’en rien savoir parce que, évidemment, on ne saurait dire ce que Dieu signifie, parce qu’on ne saurait identifier Dieu. C’est lui qui nous donne d’exister, nous ne risquons pas de lui donner ni même de lui reconnaître une identité. De surcroît, se donnant à chacun de manière unique, il est chaque fois et toujours différent, changé par la rencontre.
C’est dans cet état d’esprit que nous pourrions vivre ce nouveau carême. Non dans la perspective peu réjouissante des privations, d’une ascèse grise ou terrible, mais dans l’urgence d’une dilation du cœur, pour qu’au jour de la résurrection, il soit aussi vaste que possible et comblé de celui qu’il aime. A ce régime, il n’y a pas de risque de faire comme la grenouille de la fable qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf. Plus nous aurons creusé l’espace pour Dieu, pour l’autre, pour le frère, plus la vie nous transformera. Rien de mortel.
Il s’agit plutôt de chasser la mort. C’est elle qu’il faut enlever, patiemment, avec obstination, persévérance et constance. Chasser la mort, ça fait mal, c’est le problème, parce que, contrairement à ce que nous disons, nous aimons la mort. Pas seulement, bien sûr, mais aussi.
Je lis ces lignes de l’un de ceux qui ont su voir notre amour de la mort. « Quand vous voyez un couple, qu’ils n’arrêtent pas de s’engueuler, qu’ils sont odieux mutuellement, et qu’on vous explique, oui, mais ils s’aiment, je sais que les bras m’en tombent ! ça recouvre quoi le mot ‟amour”, alors ? ça recouvre tout, ça recouvre rien ! » On peut transposer. Quand vous voyez des chrétiens, qu’ils n’arrêtent pas de s’engueuler, qu’ils sont odieux mutuellement, et qu’on vous explique, oui, mais ils croient en un Dieu qui les aime, les bras ne vous en tombent-ils pas ? Quand vous voyez des voisins, qu’ils n’arrêtent pas de s’engueuler, tout ça parce qu’ils habitent juste à côté. Quand vous voyez des parents d’élèves, des collègues de travail, qu’ils n’arrêtent pas de s’engueuler, qu’ils sont odieux mutuellement, et qu’on vous explique qu’ils aiment les mêmes choses, désirent les mêmes choses, les bras ne vous en tombent-ils pas ? Quand vous voyez des inconnus, qu’ils n’arrêtent pas de s’engueuler, tout ça parce qu’ils ont en commun une humanité qu’ils aiment à s’en haïr, qu’ils aiment à la dénier à l’autre, les bras ne vous en tombent-ils pas ?
Nous faisons le mal non parce que c’est mal, mais parce que nous pensons ainsi atteindre un bien. Le fruit de l’arbre est désirable. Personne n’en disconvient. Reste que le prendre contre l’interdit, voilà la mort que nous choisissons, que nous aimons. Prendre ce que Dieu seul, l’autre seul peut nous donner. Prendre plutôt que recevoir. Je ne dis pas prendre, plutôt que donner, non, ça se comprendrait fort bien, mais prendre plutôt que recevoir ce qui aurait de toute façon été donné.
Il faut faire le vide, laisser ce qui encombre, attachement à nos marottes, même celles de la foi, attachement à nos principes (moi, j’ai des principes !) surtout les meilleurs, attachement à notre argent, attachement à notre ventre (« leur dieu, c’est leur ventre ») attachement à notre avenir, notre carrière, attachement à tout ce qui nous attache.
Il faut faire le vide, il faut faire le ménage, il faut renoncer à prendre, et pourquoi pas donner, si du moins donner n’est pas une manière de prendre l’autre en otage de notre don. Comme pour la fête, on fait le ménage, ça fait suer (à la sueur de ton front dit le texte du fruit dérobé), mais nous nous réjouissons de pouvoir accueillir tant de vie en un espace si ample et débarrassé de tout, juste pour que la vie le vienne emplir. Demain, c’est la fête !

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