Luc est le seul à faire de Jésus et de Jean des cousins et l’on
sait que ce cousinage n’a pas de fondement historique. Jean débarque dans la
vie de Jésus au début de la vie publique de Jésus, au baptême. Jésus est un
disciple de Jean qui s’émancipe de son maître. Les disciples du Baptiste et
ceux de Jésus semblent entretenir des liens, plus ou moins distants. Les
évangiles rapportent à l’occasion qu’ils se croisent. Luc comme les autres
évangélistes fait commencer l’évangile avec le Baptiste. Ainsi lorsqu’il s’agit
de compléter les Douze après la défection de Judas, on cherche quelqu’un qui les
a « accompagnés tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu au milieu d’[eux],
en commençant au baptême de Jean jusqu’au jour où il [leur] fut enlevé », pour
devenir avec eux « témoin de sa résurrection ».
Avec le Baptiste commence l’affaire Jésus. Mais faut-il
remonter plus haut que le baptême ? Et pourquoi ? On avance souvent
une raison post-pascale. Alors que Jésus avait été disciple du Baptiste, il
fallait aider les disciples de Jean à rejoindre ceux de Jésus, c’est-à-dire à reconnaître
que le maître, c’est Jésus. Nous comprenons la célèbre réplique de Jean : « Je
ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales ». C’est Jean
lui-même qui désormais s’incline devant Jésus. Mais cette infériorité confessée
par Jean n’efface rien à la grandeur de Jean, il est même « le plus grands
parmi les enfants des femmes ». Jean et Jésus, c’est très proche, une
compréhension affine de la foi d’Israël, un cousinage.
Que fait alors Luc à raconter la naissance du Baptiste ?
C’est que la bonne nouvelle de Jésus ne commence pas avec Jésus.
Jésus n’est pas encore né, que déjà, il a de quoi être
reconnu. C’est l’exultation intra-utérine de Jean, c’est surtout, l’interprétation
qu’Elisabeth donne de ce mouvement de vie, que toutes les mères connaissent, de
leur enfant en leur sein. La vieille Elisabeth, puisque c’est ainsi que nous la
présente Luc, avancée en âge, tout comme son époux, salue Jésus par son
interprétation des mouvements de son enfant. Avec elle, c’est non seulement le
peuple de la première alliance qui appartient à l’histoire de Jésus, à l’histoire
de celui qui n’est pas encore né, mais toute l’humanité. La vieille femme n’est
pas l’Eve nouvelle, mais elle est Eve, la vivante, qui donne la vie. Son fils
est d’ailleurs appelé, comme on l’a déjà rapporté, et de façon étrange, « fils
de la femme ».
Elisabeth, cela pourrait signifier « Dieu est promesse ».
C’est toute l’humanité qui s’exprime ici, en attente de la réalisation de la promesse
de Dieu. Et voilà que Jésus naît, et voilà que l’histoire de Jésus commence bien
avant Jésus, aux origines de l’humanité. Depuis que l’Esprit de Dieu plane sur
les eaux primordiales et que Dieu dit du bien, bénit, trouvant tout cela très
bon, la création est grosse de la promesse, la création se nomme Elisabeth, « Dieu
est promesse ». La bonne nouvelle de Jésus ne commence pas avec Jésus,
mais dès le premier matin du monde, premier soir du monde faudrait-il dire dans
une logique biblique. Ou bien, si vous préférez, Jésus est promesse de Dieu dès
l’origine, Jésus est bien plus vieux que son baptême. Tout homme l’attend. Mais
peut-on vraiment parler ainsi si Jésus est l’homme nouveau, le nouvel Adam ?
C’est plutôt notre humanité qui est trop vieille, à la veille de mourir, à la
veille de mourir stérile, et qui renaît par Jésus à la vie.
Le récit de la naissance du Baptiste, c’est l’histoire de la
résurrection depuis le premier matin du monde. Chapeau bas. Luc, avec une
histoire de cousinage, met l’histoire en perspective et en mouvement, raccourci
de plus d’un million d’années, savons-nous aujourd’hui. C’est vertigineux. Bonne
nouvelle, l’histoire de Jésus ne commence pas avec Jésus. C’est depuis toujours
que « Dieu sauve ».
(Certains disent qu’Elisabeth signifierait maison d’Elie. Si
c’est exact, la confession de foi est aussi formidable. L’humanité est la
maison du nouvel Elie.)
Et Zacharie ? Il n’est pas présenté à son avantage, et
se retrouve muet. Ce mutisme est une forme de la stérilité de l’ancien monde
qui revient à la vie en retrouvant la parole, qui retrouve la parole en proclamant
la promesse de Dieu.
Zacharie est prêtre. Et ce monde se finit, et ce monde se
meurt. Avec Zacharie, c’est la fin du sacerdoce comme lieu de Dieu. On a déjà
connu cela avec Eli, mais ses fils étaient des brigands. Jean est aussi fils de
prêtre, mais il ne sera pas prêtre, rompant la lignée familiale, désignant un autre
chemin pour la sainteté. Jésus aussi est un laïc, et l’on sait combien il s’en
prend aux prêtres, lévites et autres personnels de l’institution du temple.
Zacharie, c’est « Dieu qui se souvient », par-dessus
tout, par-dessus les institutions religieuses et ce qui les structure, le
sacerdoce. Libérés des sacrifices et des sacrificateurs, tout homme est
bénéficiaire de la grâce de Dieu. « Son nom est Jean », Dieu fait grâce.
« Personne dans ta famille ne s’appelle ainsi. » Oui, effectivement, le monde ancien s’en est allé, un nouveau
monde est déjà né. C’est le monde de toujours, le monde de Dieu. La bonne
nouvelle, c’est que l’histoire de Jésus a commencé depuis toujours.
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