L’épitre aux Ephésiens est datée des années 80 de notre ère
au plus tôt, une vingtaine d’années après la mort de Paul. Le fait de se mettre
sous le patronage de Paul, la pseudépigraphie, n’est pas pour tromper. Il
s’agit de reconnaître une dette et une tradition. Ceux qui ont écrit le texte
endossent le zèle pastoral de Paul, son souci des communautés, sa manière de
comprendre la vie chrétienne.
De suite après les deux versets de salutation, un chant, un
poème, une louange pleine d’admiration pour le dessein de Dieu. On pense
souvent que ce texte dans le texte est repris d’ailleurs, utilisation d’une
hymne liturgique peut-être. Décidément, notre auteur aime à se cacher et à se
couler dans la pensée des autres. Ce qu’il écrit ne vient pas de lui, quand
bien même il en aurait été le rédacteur. Il se comprend comme une sorte de serviteur
qui doit se faire oublier, parce que ce qui est à retenir, c’est ce qu’au nom
de Jésus il cherche à dire.
Ce qui intrigue dans ce texte très ancien, c’est la synthèse
théologique très élaborée, une cinquantaine d’années seulement après la mort de
Jésus, bien avant les grands conciles. Et d’abord, le lien très fort entre le
Père et Jésus. Dieu est connu comme le Père de Jésus. « Béni soit le Dieu
et Père de notre Seigneur Jésus Christ. » Jésus n’est pas (encore) dit
Dieu, mais Dieu, c’est le Dieu et Père de Jésus. Pour identifier Dieu, pour ne
pas se tromper de dieu, pour parler de Dieu, il faut en parler à partir de
Jésus. Jésus est la porte, comme dirait Jean, ou le chemin qui mène au Père.
Lorsque nous parlons de Dieu, lorsque nous pensons à Dieu,
est-ce ce chemin, cette porte, Jésus, que nous empruntons ?
Notre texte ne fait pas que parler de Dieu et de son plan de
salut. Il parle à Dieu, il est louange, prière : « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ. »
Parler de Dieu, ce devra toujours être une prière, quand bien même nos paroles
n’auraient pas le lyrisme d’une hymne. La prière est parfois louange, parfois
plainte, toujours reconnaissance, action de grâce ; les mots n’en disent
pas le sens mais en sont la matière, un cri vers Dieu, comme celui de qui vient
à la vie ou de qui la quitte, comme celui de qui n’en peut mais, écrasé par la
souffrance, ou de celui qui exulte, soulevé par la joie.
Le plan de salut de Dieu, c’est
tout ce que l’on peut dire de Dieu, comme si tout était dit de Dieu dans ce
qu’il fait pour nous. Et quel est-il ce plan ? L’adoption. Dieu nous prend
comme ses enfants par, avec et en Jésus. Ainsi, parler de Dieu, c’est commémorer
ce qu’il fait pour nous. Seul « Dieu pour nous » nous est accessible,
un peu, parce qu’en étant pour nous, il se dévoile. La révélation, c’est la
même chose que le salut, et c’est Dieu lui-même, parce que le salut, c’est Dieu
qui s’offre. Dieu ne nous apprend rien sur lui-même, comme s’il nous importait
de savoir de trucs sur Dieu. Dieu, forcément depuis toujours, est « pour
nous les hommes et pour notre salut ». Et ce pour nous les hommes ne
concerne pas un clan, un peuple à la différence des autres, mais l’humanité
entière.
Dieu est pour nous, depuis la fondation du monde, le salut
est engagé dans le Christ depuis la fondation du monde et tout est mis sous une
seule tête, récapitulé, en Jésus. Il est celui par qui, avec qui et en qui nous
sommes enfants du Père, c’est-à-dire celui qui résume l’humanité. Regardez
Jésus et vous avez tout vu ; vous avez vu l’homme dans le projet de Dieu
parce que vous avez vu Dieu lui-même. Vous avez vu l’homme de souffrance et l’homme
relevé parce que c’est là qu’est Dieu. Il faut le redire, on ne parle bien de
Dieu qu’en partant de Jésus, porte et chemin.
L’hymne sait bien que ce dessein extraordinaire, Dieu
lui-même, Dieu « pour nous », cela ne saute pas aux yeux. Dieu pour
nous, ce n’est pas fait, ou alors, cela n’est pas encore. C’est sans doute l’objection
la plus vive qui soit. Si Dieu est pour nous depuis toujours, puisqu’ainsi il
est Dieu, son amour peut-il ne pas aller jusqu’à nous sauver dès maintenant de
la mort et de la violence, de la maladie et du mal ? Ou bien n’est-il pas
amour ? Mais pourquoi alors se fier à lui ?
Nous avons une première avance, dit l’hymne, « une
première avance sur notre héritage, en vue de la rédemption que nous
obtiendrons ». Pourquoi faut-il que la mort demeure ? La réponse la plus
sensée, c’est que c’est avec tout ce que nous sommes, y compris notre
mortalité, que nous sommes adoptés. Mais devant l’horreur des souffrances
depuis l’origine de l’univers, n’est-ce pas une réponse impossible ?
Reste l’Esprit, aussi invérifiable qu’insaisissable. Reste Dieu
qui vit en nous et nous rend capables d’accueillir l’adoption : c’est l’Esprit.
Force sans puissance qui donne de vivre avec le « Dieu et Père de notre
Seigneur Jésus, le Christ. » Cela ne change rien à nos vies, aussi dures ou
délectables que celles de tous les autres. Cela change tout, parce que nous
sommes pris dans son amour, dans l’adoption.
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