13/07/2018

« Tout récapituler dans le Christ » Ep 1, 3-14 (15ème dimanche)


L’épitre aux Ephésiens est datée des années 80 de notre ère au plus tôt, une vingtaine d’années après la mort de Paul. Le fait de se mettre sous le patronage de Paul, la pseudépigraphie, n’est pas pour tromper. Il s’agit de reconnaître une dette et une tradition. Ceux qui ont écrit le texte endossent le zèle pastoral de Paul, son souci des communautés, sa manière de comprendre la vie chrétienne.
De suite après les deux versets de salutation, un chant, un poème, une louange pleine d’admiration pour le dessein de Dieu. On pense souvent que ce texte dans le texte est repris d’ailleurs, utilisation d’une hymne liturgique peut-être. Décidément, notre auteur aime à se cacher et à se couler dans la pensée des autres. Ce qu’il écrit ne vient pas de lui, quand bien même il en aurait été le rédacteur. Il se comprend comme une sorte de serviteur qui doit se faire oublier, parce que ce qui est à retenir, c’est ce qu’au nom de Jésus il cherche à dire.
Ce qui intrigue dans ce texte très ancien, c’est la synthèse théologique très élaborée, une cinquantaine d’années seulement après la mort de Jésus, bien avant les grands conciles. Et d’abord, le lien très fort entre le Père et Jésus. Dieu est connu comme le Père de Jésus. « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ. » Jésus n’est pas (encore) dit Dieu, mais Dieu, c’est le Dieu et Père de Jésus. Pour identifier Dieu, pour ne pas se tromper de dieu, pour parler de Dieu, il faut en parler à partir de Jésus. Jésus est la porte, comme dirait Jean, ou le chemin qui mène au Père.
Lorsque nous parlons de Dieu, lorsque nous pensons à Dieu, est-ce ce chemin, cette porte, Jésus, que nous empruntons ?
Notre texte ne fait pas que parler de Dieu et de son plan de salut. Il parle à Dieu, il est louange, prière : « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ. » Parler de Dieu, ce devra toujours être une prière, quand bien même nos paroles n’auraient pas le lyrisme d’une hymne. La prière est parfois louange, parfois plainte, toujours reconnaissance, action de grâce ; les mots n’en disent pas le sens mais en sont la matière, un cri vers Dieu, comme celui de qui vient à la vie ou de qui la quitte, comme celui de qui n’en peut mais, écrasé par la souffrance, ou de celui qui exulte, soulevé par la joie.
Le plan de salut de Dieu, c’est tout ce que l’on peut dire de Dieu, comme si tout était dit de Dieu dans ce qu’il fait pour nous. Et quel est-il ce plan ? L’adoption. Dieu nous prend comme ses enfants par, avec et en Jésus. Ainsi, parler de Dieu, c’est commémorer ce qu’il fait pour nous. Seul « Dieu pour nous » nous est accessible, un peu, parce qu’en étant pour nous, il se dévoile. La révélation, c’est la même chose que le salut, et c’est Dieu lui-même, parce que le salut, c’est Dieu qui s’offre. Dieu ne nous apprend rien sur lui-même, comme s’il nous importait de savoir de trucs sur Dieu. Dieu, forcément depuis toujours, est « pour nous les hommes et pour notre salut ». Et ce pour nous les hommes ne concerne pas un clan, un peuple à la différence des autres, mais l’humanité entière.
Dieu est pour nous, depuis la fondation du monde, le salut est engagé dans le Christ depuis la fondation du monde et tout est mis sous une seule tête, récapitulé, en Jésus. Il est celui par qui, avec qui et en qui nous sommes enfants du Père, c’est-à-dire celui qui résume l’humanité. Regardez Jésus et vous avez tout vu ; vous avez vu l’homme dans le projet de Dieu parce que vous avez vu Dieu lui-même. Vous avez vu l’homme de souffrance et l’homme relevé parce que c’est là qu’est Dieu. Il faut le redire, on ne parle bien de Dieu qu’en partant de Jésus, porte et chemin.
L’hymne sait bien que ce dessein extraordinaire, Dieu lui-même, Dieu « pour nous », cela ne saute pas aux yeux. Dieu pour nous, ce n’est pas fait, ou alors, cela n’est pas encore. C’est sans doute l’objection la plus vive qui soit. Si Dieu est pour nous depuis toujours, puisqu’ainsi il est Dieu, son amour peut-il ne pas aller jusqu’à nous sauver dès maintenant de la mort et de la violence, de la maladie et du mal ? Ou bien n’est-il pas amour ? Mais pourquoi alors se fier à lui ?
Nous avons une première avance, dit l’hymne, « une première avance sur notre héritage, en vue de la rédemption que nous obtiendrons ». Pourquoi faut-il que la mort demeure ? La réponse la plus sensée, c’est que c’est avec tout ce que nous sommes, y compris notre mortalité, que nous sommes adoptés. Mais devant l’horreur des souffrances depuis l’origine de l’univers, n’est-ce pas une réponse impossible ?
Reste l’Esprit, aussi invérifiable qu’insaisissable. Reste Dieu qui vit en nous et nous rend capables d’accueillir l’adoption : c’est l’Esprit. Force sans puissance qui donne de vivre avec le « Dieu et Père de notre Seigneur Jésus, le Christ. » Cela ne change rien à nos vies, aussi dures ou délectables que celles de tous les autres. Cela change tout, parce que nous sommes pris dans son amour, dans l’adoption.

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