La première lecture (Ez 2, 2-5) et l’évangile (Mc 6, 1-6) sont
une même accusation, répétée à quelques siècles de distance, contre les
bien-pensants, les hommes et les femmes bien sous tout rapport, en particulier
du point de vue religieux. Le peuple de Dieu lui-même est traité de nation
rebelle, d’engeance de rebelles. Le peuple de Dieu lui-même se révolte contre
Dieu qui n’a d’autre moyen pour faire entendre sa cause que d’envoyer un
prophète.
Rebelote avec Jésus, prophète qui connaît l’hostilité du
peuple de Dieu, mais qui, envoyé par Dieu pour faire entendre sa cause, se
tient fidèle quelle que soit l’adversité, le manque de foi. Un peuple de
croyants qui n’a pas la foi, la chose est étrange, et pourtant…
Cela se passe avec Ezéquiel et Jésus, ainsi que les deux
textes lus nous le rapportent ; nous savons que cela continue dans l’Eglise,
elle qui se dit aussi peuple de Dieu.
Il faut prendre conscience pour écouter ces textes, que la
figure du prophète persécuté se rencontre au sein du peuple des croyants. Le
prophète persécuté n’est pas un martyr qui aurait été exécuté par les ennemis
de la foi. Il est un martyr exécuté par les défenseurs de la foi. C’est une
sorte de martyr au carré et c’est sans doute pour cela que peu d’entre eux ont
été canonisés. Il souffre la persécution de ses propres coreligionnaires.
On pourra dire que c’est accidentel, et que, parfois, les
croyants et leurs chefs ne sont pas fidèles, que, parfois, ils agissent en
pécheur et contre l’évangile au point de traquer le prophète qui, parmi eux et
d’entre eux, tente de faire entendre la voix de Dieu là où elle ne résonne plus
d’avoir été confisquée, étouffée, trafiquée. Pour ses intérêts économiques et idéologiques,
le peuple de Dieu travestit la parole de Dieu et la fait mensonge. Serait-ce
cela le péché contre l’Esprit Saint ?
L’explication ou excuse est insuffisante. Cela revient trop
fréquemment pour que l’on parle d’accident. Ou, plus justement, le péché n’est
pas accidentel dans le peuple des croyants. Il est structurel. Le péché n’est
pas qu’une affaire personnelle. Il y a des structures de péché avait déjà
reconnu Jean-Paul II, pensant à la violence des Etats, à la violence et à l’injustice
des rapports Nord-Sud. Ce qui se passe avec les migrants ne relève pas
seulement de notre responsabilité individuelle, ni de celle des chefs d’Etats, assurément
engagées, mais aussi à une injustice et un déni d’humanité engendré par les
structures sociales. On peut penser aux violences faites aux femmes, à l’ostracisation
des homosexuels, au racisme, etc.
On doit en dire autant de la pédophilie dans l’Eglise, et de
toutes les violences dont se rendent coupables souvent des clercs, qui sont
protégés par d’autres chrétiens, évêques, prêtres, laïcs ou communautés. Si l’on
veut en sortir, ce n’est pas seulement en jugeant les coupables ‑ criminels
ou complices plus ou moins actifs, ne serait-ce que par non-dénonciation de
crimes. Certes cela est nécessaire. Mais il faut encore s’en prendre au peuple
de Dieu comme tel, comme peuple, en le soumettant à une analyse critique, une
dénonciation aussi implacable que celles d’Ezéchiel et de Jésus. Les structures
de pouvoir, qui n’existent pas sans ceux qui les acceptent les yeux plus ou
moins fermés, plus ou moins complaisamment, doivent être a priori suspectées,
ou du moins, connaître des contre-pouvoirs indépendants. La fête des courtisans
et de leurs princes, constamment dénoncée dans toutes les cultures, devrait être
finie depuis si longtemps… au moins dans l’Eglise.
Et Jésus « s’étonna de leur manque de foi ». Un peuple
de croyants qui n’a pas la foi. Comment le ou les peuples que Dieu s’est
choisis pourraient-ils ne pas avoir la foi ? La réponse de l’évangile est claire :
les gens savent qui est Jésus. Les meilleurs ennemis de Jésus, si l’on peut
dire, ce sont ceux qui le connaissent, son village, sa famille. « "N’est-il
pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude
et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ?" Et ils
étaient profondément choqués à son sujet. »
Si nous savons qui est Jésus, c’est la fin. Lacan le disait,
« tu es ma femme » est un ordre de meurtre, « tuez ma femme » !
« Tu es mon Seigneur » pareillement. Ainsi donc, les disciples de
Jésus, loin de savoir qui il est, à l’instar des esprits mauvais, sont ceux qui
le cherchent et le quêtent. Quand le peuple de Dieu se fait propriétaire de son
Dieu, c’est foutu, c’est fini. Et c’est si souvent le cas, et cela ne peut être
que le cas, structurellement, tant demeurer croyant est périlleux, lorsque l’on
pourrait savoir, mieux, posséder la vérité.
Se dire disciples de la vérité ne peut qu’engendrer la
violence et le péché tant que les disciples de la vérité ne confessent pas,
dans le moment même de leur confession de foi, qu’ils n’y connaissent rien à
cette vérité, qu’elle leur échappe et qu’ils la quêtent, qu’être disciples de
la vérité, ce n’est pas la connaître mais la chercher, ce n’est pas la posséder
mais se laisser posséder par elle, ce que l’on appelle croire.
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