Est-il possible dans l’Eglise qu’il y ait des gens qui
enseignent les autres en tenant des propos qui sèment le trouble ? Est-il
possible que, non seulement il n’y ait pas la communion, mais que certains fomentent
la zizanie ? Ce n’est pas d’aujourd’hui : « Des gens […] enseignaient
les frères […]. Cela provoqua un affrontement ainsi qu’une vive discussion, engagée
par Paul et Barnabé contre ces gens-là ».
Il ne s’agit pas de rêver une uniformité totalitaire, mais d’espérer
une unanimité, des décisions qui rassemblent parce que l’avis de tous a été
écouté et pris en compte.
Si l’enseignement de « ces gens-là » est l’origine
de l’affrontement, ce sont Paul et Barnabé qui engagent la « vive
discussion ». Faut-il entendre qu’ils sortent l’Eglise de l’affrontement
en suscitant le débat ou que la discussion en rajoute à la dispute ?
Jamais les disciples n’ont tous pensé pareil et l’on n’est
pas toujours parvenu à sauver une même expression de la foi. Mais aujourd’hui,
le peu de prise en compte des avis des uns et des autres, la confiscation de la
parole ecclésiale, devenue parole officielle de l’Eglise, par les évêques et le
Pape, redoublent l’affrontement et empêchent que l’on engage la discussion.
Non que tous les évêques pensent de même, mais que lorsqu’ils
ne partagent pas l’avis dit officiel, ils se taisent. C’était du moins le cas
jusqu’à l’actuel pontificat. On voit désormais des évêques, des cardinaux, se
lever contre le pape. Eglise aussi mondaine que le monde qu’elle condamne.
Aux factions et divisions de tout temps s’ajoutent un
rapport à la vérité et un individualisme qui nous affectent tous. Le rapport à
la vérité est fondamentalement problématique parce que la multiplicité des
cultures, compliquée par les positionnements géopolitiques et les intérêts
économiques, rend inéluctable le conflit des interprétations. Même sur des
points élémentaires, il est quasi impossible de se mettre d’accord.
L’individualisme exacerbé fait que chacun réclame que son avis
personnel compte autant que tous les autres, voire davantage puisqu’il convient
qu’on ne puisse l’omettre alors même qu’il serait ultra-minoritaire. Les « faits
alternatifs » sont une stratégie des minorités et, dans le monde
globalisé, toute opinion est forcément minoritaire.
« Dieu est mort », le Dieu vérité, garant du sens.
Le conflit des interprétations est le régime de vérité de notre temps, et si ce
conflit peut mener à la discussion c’est beaucoup sans quoi, c’est… la violence ;
nous le voyons tous les jours. Est-il possible d’en sortir ? Dans l’Eglise,
et dans le monde, la violence du plus fort est-elle notre seul avenir ? Sommes-nous
condamnés aux guerres, aux crises sociales et politiques, comme aux
impossibilités de l’Eglise à « rechercher l’unité ».
« Recherchez l’unité ». C’est ainsi que Paul
introduit l’hymne de la lettre aux Philippiens. Le Christ Jésus, bien que de
condition divine, se fait obéissant jusqu’à la mort infamante de la croix. L’unité
et la vérité, l’unité qui ne s’assoit pas sur la vérité mais au contraire se
fonde en elle, ce n’est possible que par la croix, ou, avec un terme neutre,
laïc, par le renoncement, l’effacement ; « faire la vérité dans l’amour » ;
histoire de premiers derniers.
Et si l’Eglise parvenait à la concorde et la paix non pas d’abord
pour elle, mais comme signe pour le monde que la communion est possible. L’Eglise
n’est rien eu égard à la communion dans la vérité. Il ne s’agit pas de se
retirer des débats, des combats et affrontements, par l’abstention par exemple,
mais de livrer sa personne considérée comme des balayures, en vue de la
concorde. Avoir raison contre tous, c’est avoir tort. Il n’y a de vérité que
partagée, non pas au sens d’un « à chacun sa vérité », mais de ce que
tous ont en partage.
Il faut des témoins de la vérité qui ne soient pas des
violents, fous furieux, preneurs d’otage des autres ou de leur avis, que l’on
soit évêque ou pape, que ce soit l’Eglise. Un témoin c’est un martyr. La vérité
ne s’offre que dans la faiblesse ; la force la fait mensonge.
L’Eglise dans le monde de ce temps est encore appelée à se faire
la servante de l’humanité en étant la servante de la vérité. Elle ne peut crier
plus fort que les autres ; elle deviendrait un clan parmi d’autres à
défendre ses intérêts particuliers, comme tous les autres, alors que son
Seigneur est Seigneur du ciel et de la terre. Elle ne peut éructer ses avis ni
fulminer ses insultes, « culture du déchet » ou « culture de
mort ». Prendre part aux débats de société est une nécessité. C’est servir
la vérité, permette qu’on s’entende, engager, comme Paul et Barnabé, la
discussion. Notre Eglise doit s’effacer, et ses idées avec elle, derrière sa
mission, le service de la vérité, c’est-à-dire de l’humanité. Alors, par elle,
c’est l’Esprit saint qui aura parlé et sera écouté.
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