Qu’en est-il de l’historicité de cette prière (Jn 17, 20-26) ?
Sans doute pas grand-chose ! Comment l’évangéliste a-t-il pu recueillir les
paroles de l’intimité de Jésus avec le Père ? La prière est-elle d’ailleurs
d’abord des mots ? N’est-elle pas davantage une disposition de toute la
personne, tournée vers Dieu, comme le Verbe, ainsi que le dit le premier verset
de l’évangile, est « vers le Père » ? Cette prière est un
commentaire de ce verset premier : « Au commencement était le Verbe,
et le Verbe était (tourné) vers Dieu, et le Verbe était Dieu. »
Jean rapporte ce qu’il a compris de l’attitude de Jésus qui
est (tourné) vers le Père autant qu’il est pour nous. La prière de Jésus montre
l’orientation de toute sa personne vers le Père et, en même temps, son désir d’union
avec ceux que le Père lui a donnés.
Le découpage liturgique que nous venons d’entendre, termine la
prière par ces mots : « pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en
eux, et que moi aussi, je sois en eux. » Nous sommes tellement habitués à
dire que Dieu est amour que nous ne nous rendons plus même compte de l’énormité
de l’affirmation. La mission du Fils se réduit, si l’on peut dire, à une seule
chose, manifester, par l’union de Jésus avec « les siens », l’amour
dont Dieu nous aime.
Que Dieu aime les hommes, cela n’a rien d’évident, non
seulement si l’on parcourt l’histoire des religions ou les discours actuels des
religions. Mais dans le christianisme aussi, il semble que l’on n’ait cessé de
l’ignorer, qu’il ait été nécessaire de le redécouvrir. Le Traité de l’Amour de Dieu de François de Sales en 1615 et la
dévotion au Sacré Cœur (à partir de 1673) ont été des tournants dans ce retour
à l’évangile selon lequel « Dieu est amour ».
Cela ne saute pas aux yeux ! On ne voit guère la bonté
de Dieu avec tout ce qui arrive de malheur et de mort ! Mais Dieu n’est
pour rien là-dedans. Il n’est pas davantage pour le bien que nous pourrions
voir. C’est surtout que, si nous croyions pour de vrai que Dieu est amour, nous
serions obligés de changer de vie. Si nous continuons à craindre Dieu, à le
penser comme un juge inique ou inflexible, prêt à détruire qui s’oppose à lui,
c’est que cela nous va très bien parce que point n’est besoin de changer pour
un tel dieu-commun. Confesser le Dieu amour, c’est finalement plus radical,
plus exigeant.
Dire que Dieu est amour ce n’est pas lui attribuer ce qui
serait bon, l’amour. C’est faire de l’amour ce à partir de quoi nous devons nommer
Dieu. Pour dire ou savoir quelque chose de Dieu, prenez l’amour pour modèle, sans
tout ce qui vient l’abimer ou le détruire. L’amour unit, « ils ne sont
plus deux, mais un ». Ainsi Dieu : « Qu’ils soient un en nous,
eux aussi, […] comme nous sommes un : moi en eux, et toi en moi. »
« L’amour prend patience, l’amour rend service, il ne
jalouse pas, il ne plastronne pas, il ne s’enfle pas d'orgueil, il ne fait rien
de laid, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il n’entretient pas
de rancune, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il trouve sa joie dans la
vérité. Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout. L’amour
ne disparaît jamais. »
Remplacer tout par Dieu : « Dieu prend patience, Dieu
rend service, il ne jalouse pas, il ne plastronne pas, il ne s’enfle pas
d'orgueil, il ne fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite
pas, il n’entretient pas de rancune, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais
il trouve sa joie dans la vérité. Il excuse tout, il croit tout, il espère
tout, il endure tout. Dieu ne disparaît jamais. » Est-ce bien ce que nous
pensons et croyons lorsque nous pensons à Dieu ? L’amour est communion. Ainsi,
il nous faut penser Dieu. L’amour se donne. C’est ainsi que nous croyons Dieu.
Il nous aime gratuitement. C’est pour cela qu’il se donne à nous.
Etre unis à Dieu, ainsi que Jésus prie, c’est pour nous être
un avec l’amour. Il nous aime et nous devons nous aimer les uns les autres. Il
nous aime pour que nous nous aimions les uns les autres. C’est encore mal dit.
Nous nous aimons les uns les autres, et c’est lui. La prière de Jésus nous
oblige à changer de Dieu. Quand Jésus prie, Dieu n’est plus le même. Il ne se connaît
que là où l’on aime ou désire l’amour. « Qu’ils deviennent ainsi
parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as
aimés comme tu m’as aimé. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire