21/06/2019

Eucharistie : nous vénérons les corps meurtris (Fête du corps et du sang du Seigneur)


Un dimanche pour fêter l’eucharistie, c’est aussi curieux qu’un dimanche de la Trinité ! Tous les dimanches sont une célébration du Dieu Trinité, et l’eucharistie n’est pas le but ou le thème d’un dimanche, voire des dimanches. « Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne ».
Nous mangeons le pain et buvons la coupe pour proclamer la mort du Seigneur. C’est du moins ce qu’écrit Paul au moment même où il rappelle ce qu’il a reçu de la tradition eucharistique. Est-ce bien cela ? Communions-nous pour proclamer la mort du Seigneur ?
Tout va mal pour l’eucharistie depuis longtemps, depuis au moins que l’on considère les espèces consacrées comme dignes d’adoration. Il ne s’agit évidemment pas de mépriser l’eucharistie. Aucun des baptisés n’y pense. Mais l’eucharistie est devenue une idole dans notre catholicisme ; nombre de comportements à son égard son idolâtriques. S’il n’y a pas quelque chose à tenir ou à voir, à toucher ou à vénérer, ce n’est pas une religion ! Or les évangiles nous laissent avec le vide du tombeau. Circulez, il n’y a rien à voir ! « Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel ? »
Et si nous voulons absolument vénérer le corps du Seigneur, adorez, comme l’on dit désormais, absolument, ce sont les plaies des pauvres qu’il faut soigner, l’humiliation des migrants qu’il faut combattre, toute détresse qu’il faut soulager.
Revenons au texte. « Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. » En communiant, nous proclamons la mort du Seigneur. Quelle drôle d’idée, n’est-ce pas ? Ce n’est pas la gloire du ressuscité que prêche Paul et à laquelle nous communions.
Pourquoi proclamer la mort du Seigneur ? Parce qu’elle est l’indice décisif de ce qu’il s’est uni à nous jusqu’à l’extrême, jusque dans notre anéantissement, drame de la vie au point de la rendre méprisable, insensée et vaine, paroxysme de tout ce qui est raté voire foutu. Jésus n’aime pas l’homme quand c’est un héros, quelqu’un de bien. Ou du moins, il aime l’homme toujours, y compris lorsqu’il est à l’agonie, dans le gouffre du mal, subi ou commis.
Nous proclamons la mort du Seigneur parce qu’en elle rien de ce qui est humain n’est perdu. Nous proclamons la mort du Seigneur parce qu’en elle, Dieu lui-même dit la valeur infinie de ce que détruisent en nous la mort, le mal, le péché, notre mal ou celui dont nous sommes les victimes. La personne en fin de vie, perdue et défigurée par une dégénérescence cérébrale, l’enfant handicapé, la victime bousillée par les violence sexuelles ou psychologiques, les martyrs toutes ces semaines au Burkina et de par le monde, tous ont prix aux yeux de Dieu. Voilà pourquoi nous proclamons la mort du Seigneur.
… Ici, il faut marquer un silence. … Nous vénérons les corps meurtris…. Je revois la Madeleine du Greco qui ne peut atteindre le corps pendu au gibet de son Seigneur, mais essuie de son mouchoir le pied de la croix. La communion au corps livré et au sang versé est affaire de dignité, notre propre dignité. Voilà l’eucharistie, si du moins l’on en croit Paul.
C’est que l’eucharistie n’est pas une chose, les espèces consacrées, mais une action. Prenez et mangez, prenez et buvez. Il n’y a rien à regarder. Il faut recevoir celui qui se donne et jusqu’à un certain point s’impose. Il s’offre, pourrions-nous l’ignorez ? Son corps blessé, allons-nous le contourner comme le lévite et le prêtre de la parabole ?
Il ne se donne pas dans le pain et le vin. Le pain et le vin sont le sacrement de ce que dans notre vie, nous avons à découvrir sans cesse : il se donne. Vous ne le voyez pas se donner ? Avez-vous vu son corps souffrant ? Regardez bien. Alors, de tout ce que vous aurez reçu à servir, vous serez repus, comblés. Alors il faudra en urgence faire eucharistie, rendre grâce, dire merci. Si nous rompons le pain et buvons à la coupe, c’est pour dire merci, non de ce morceau de pain et de cette gorgée de vin, mais de tout ce que toujours et partout il donne, son corps brisé et livré, son sang répandu et versé.

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