Un dimanche pour fêter l’eucharistie, c’est aussi curieux qu’un
dimanche de la Trinité ! Tous les dimanches sont une célébration du Dieu
Trinité, et l’eucharistie n’est pas le but ou le thème d’un dimanche, voire des
dimanches. « Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette
coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne ».
Nous mangeons le pain et buvons la coupe pour proclamer la
mort du Seigneur. C’est du moins ce qu’écrit Paul au moment même où il rappelle
ce qu’il a reçu de la tradition eucharistique. Est-ce bien cela ?
Communions-nous pour proclamer la mort du Seigneur ?
Tout va mal pour l’eucharistie depuis longtemps, depuis au
moins que l’on considère les espèces consacrées comme dignes d’adoration. Il ne
s’agit évidemment pas de mépriser l’eucharistie. Aucun des baptisés n’y pense. Mais
l’eucharistie est devenue une idole dans notre catholicisme ; nombre de
comportements à son égard son idolâtriques. S’il n’y a pas quelque chose à
tenir ou à voir, à toucher ou à vénérer, ce n’est pas une religion ! Or
les évangiles nous laissent avec le vide du tombeau. Circulez, il n’y a rien à
voir ! « Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel ? »
Et si nous voulons absolument vénérer le corps du Seigneur,
adorez, comme l’on dit désormais, absolument, ce sont les plaies des pauvres qu’il
faut soigner, l’humiliation des migrants qu’il faut combattre, toute détresse
qu’il faut soulager.
Revenons au texte. « Chaque fois que vous mangez ce
pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à
ce qu’il vienne. » En communiant, nous proclamons la mort du Seigneur. Quelle
drôle d’idée, n’est-ce pas ? Ce n’est pas la gloire du ressuscité que
prêche Paul et à laquelle nous communions.
Pourquoi proclamer la mort du Seigneur ? Parce qu’elle
est l’indice décisif de ce qu’il s’est uni à nous jusqu’à l’extrême, jusque
dans notre anéantissement, drame de la vie au point de la rendre méprisable,
insensée et vaine, paroxysme de tout ce qui est raté voire foutu. Jésus n’aime
pas l’homme quand c’est un héros, quelqu’un de bien. Ou du moins, il aime l’homme
toujours, y compris lorsqu’il est à l’agonie, dans le gouffre du mal, subi ou
commis.
Nous proclamons la mort du Seigneur parce qu’en elle rien de
ce qui est humain n’est perdu. Nous proclamons la mort du Seigneur parce qu’en
elle, Dieu lui-même dit la valeur infinie de ce que détruisent en nous la
mort, le mal, le péché, notre mal ou celui dont nous sommes les victimes. La
personne en fin de vie, perdue et défigurée par une dégénérescence cérébrale, l’enfant
handicapé, la victime bousillée par les violence sexuelles ou psychologiques, les
martyrs toutes ces semaines au Burkina et de par le monde, tous ont prix aux
yeux de Dieu. Voilà pourquoi nous proclamons la mort du Seigneur.
… Ici, il faut marquer un silence. … Nous vénérons les corps
meurtris…. Je revois la Madeleine du Greco qui ne peut atteindre le corps pendu
au gibet de son Seigneur, mais essuie de son mouchoir le pied de la croix. La
communion au corps livré et au sang versé est affaire de dignité, notre propre dignité.
Voilà l’eucharistie, si du moins l’on en croit Paul.
C’est que l’eucharistie n’est pas une chose, les espèces
consacrées, mais une action. Prenez et mangez, prenez et buvez. Il n’y a rien à
regarder. Il faut recevoir celui qui se donne et jusqu’à un certain point s’impose.
Il s’offre, pourrions-nous l’ignorez ? Son corps blessé, allons-nous le
contourner comme le lévite et le prêtre de la parabole ?
Il ne se donne pas dans le pain et le vin. Le pain et le vin
sont le sacrement de ce que dans notre vie, nous avons à découvrir sans cesse :
il se donne. Vous ne le voyez pas se donner ? Avez-vous vu son corps
souffrant ? Regardez bien. Alors, de tout ce que vous aurez reçu à servir,
vous serez repus, comblés. Alors il faudra en urgence faire eucharistie, rendre
grâce, dire merci. Si nous rompons le pain et buvons à la coupe, c’est pour
dire merci, non de ce morceau de pain et de cette gorgée de vin, mais de tout
ce que toujours et partout il donne, son corps brisé et livré, son sang répandu
et versé.
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