07/06/2019

L'Esprit pour mettre le monde dans le bon sens (Pentecôte)


Luc est le seul de tous les auteurs du Nouveau Testament à diffracter dans le temps la richesse de Pâques, la puissance de la résurrection. La résurrection de Jésus est autant élévation ou glorification du Fils, Ascension, que don de l’Esprit. C’est la Pentecôte.
Cinquante jours après Pâques, on célèbre dans le judaïsme le don de la loi. Luc situe en ce jour le don de l’Esprit. De la loi à l’Esprit, il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour comprendre le déplacement. La loi, spécialement religieuse, peut trop souvent être lettre qui tue, ainsi que le dit Paul, une observance religieuse, coquille vide de sens. Ainsi, nous le disons, « nous avons tout fait », parce que nous avons été baptisés, communiés et mariés à l’Eglise. Trois moment, c’est cela le tout ? L’Esprit, lui, est liberté. C’est pour être libres que nous avons reçu l’Esprit de sainteté, non trois fois dans la vie, mais chaque jour de la vie.
La liberté de l’Esprit n’est pas laxisme, toute puissance infantile, ce que je veux quand je veux comme je veux. Elle libère nos capacités à aimer, notre aptitude à la gratuité. Nous ne pouvons aimer les frères que parce que nous sommes libres. Aimer de force, c’est une violence insoutenable ; ce n’est pas aimer. Le commandement de l’amour n’est possible qu’à condition d’être prière : s’il te plaît, aime-moi. C’est ainsi que Dieu nous prie, gratuitement.
Pentecôte c’est l’inverse de Babel. Pas d’uniformité à Pentecôte, quand tous sont obligés de parler la même langue, n’avoir qu’un seul langage, pas une oreille qui bouge, comme en dictature. Au contraire, chacun dans sa langue, chacun à sa manière, peut s’exprimer, libre pour inventer de nouveaux chemins de fraternité, et tous comprennent.
Voilà deux belles affirmations : celle de notre liberté, celle de notre possibilité à nous entendre, à nous comprendre. Et même une troisième. Cette liberté et cette entente sont la résurrection de Jésus, l’Esprit « qui donne la vie », vivifiant, (Dominum et vivificantem).
Affirmations gratuites pourrons-nous penser, si peu vérifiées. Bien sûr, si vous les prenez pour des descriptions de ce que vous vivez. Mais il ne s’agit pas de description. C’est une profession de foi. Faire profession de foi, ce n’est pas affirmer des choses contre toute évidence, des choses curieuses et invérifiables. C’est entrer dans un autre monde. Ou, plutôt, c’est vivre dans ce monde selon une autre logique que celle du monde, la loi du plus fort, la loi de l’intérêt et de l’utilité, la loi du pouvoir. Faire profession de foi, être disciples de Jésus donc, être chrétiens, c’est accepter de mener sa vie selon la gratuité, le pur don, pour le plaisir de vivre en grâce avec les frères. C’est choisir la liberté plutôt que les convenances, et même les convenances religieuses. Qui est partant ?
Etre disciples de Jésus, faire profession de foi, être chrétiens, ce n’est pas une célébration faite quand nous avons onze ans ! C’est entrer dans la confiance qu’ouvre l’amour du Père. Si nous l’aimons, nous comprendrons combien il nous aime. « Il faut croire pour comprendre », comme il faut faire confiance pour savoir combien les autres nous aiment.
Que de liberté avons-nous besoin pour reverser les évidences du monde ! Il est plus difficile que cela d’être libre ! La servitude volontaire a bien des adeptes ! Ce qui ne vaut rien est ce qui n’a pas de prix, comme on dit ; ainsi le dessin que cet enfant m’a offert l’autre jour à la fin de la messe ou les colliers de nouilles des fêtes des mères. Ce qui ne sert à rien, est gratuit, est le plus important. Cela ne sert à rien de croire. Dieu n’est pas un truc dont on se sert. C’est juste la vie, comme tous ceux que nous aimons.
Faire profession de foi, être disciples de Jésus, être chrétiens, c’est choisir de renverser le monde, ou plutôt, de remettre le monde sens-dessus-dessous à l’endroit. Alors qu’on voit bien que la logique du fric, du pouvoir et de l’intérêt nous mène à notre perte et à celle de la planète, nous avons bien des raisons de renverser le monde ! Etre disciples de Jésus, habités par l’Esprit de liberté, c’est être de ceux qui veulent remettre le monde dans le bon sens. Le croyez-vous ?
Sinon, que tous sortent et que l’é(E)glise s’effondre ! Les sages qui calculent leurs intérêts ne peuvent comprendre. « Il faut croire pour comprendre », faire confiance à l’Esprit « qui donne la vie ». Il faut être pauvre et avoir tout reçu comme des enfants. « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? ». L’Esprit a été répandu en nos cœurs pour que nous renversions les montagnes, celles du diktat du fric, de l’intérêt et de la loi du plus fort, pour que nous tracions dans les steppes la route de la fraternité. Le croyons-nous ?

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