Luc est le seul de tous les auteurs du Nouveau Testament à diffracter
dans le temps la richesse de Pâques, la puissance de la résurrection. La résurrection
de Jésus est autant élévation ou glorification du Fils, Ascension, que don de
l’Esprit. C’est la Pentecôte.
Cinquante jours après Pâques, on célèbre dans le judaïsme le
don de la loi. Luc situe en ce jour le don de l’Esprit. De la loi à l’Esprit,
il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour comprendre le déplacement. La loi,
spécialement religieuse, peut trop souvent être lettre qui tue, ainsi que le
dit Paul, une observance religieuse, coquille vide de sens. Ainsi, nous le
disons, « nous avons tout fait », parce que nous avons été baptisés,
communiés et mariés à l’Eglise. Trois moment, c’est cela le tout ? L’Esprit,
lui, est liberté. C’est pour être libres que nous avons reçu l’Esprit de
sainteté, non trois fois dans la vie, mais chaque jour de la vie.
La liberté de l’Esprit n’est pas laxisme, toute puissance infantile,
ce que je veux quand je veux comme je veux. Elle libère nos capacités à aimer,
notre aptitude à la gratuité. Nous ne pouvons aimer les frères que parce que
nous sommes libres. Aimer de force, c’est une violence insoutenable ; ce n’est
pas aimer. Le commandement de l’amour n’est possible qu’à condition d’être prière :
s’il te plaît, aime-moi. C’est ainsi que Dieu nous prie, gratuitement.
Pentecôte c’est l’inverse de Babel. Pas d’uniformité à
Pentecôte, quand tous sont obligés de parler la même langue, n’avoir qu’un seul
langage, pas une oreille qui bouge, comme en dictature. Au contraire, chacun
dans sa langue, chacun à sa manière, peut s’exprimer, libre pour inventer de
nouveaux chemins de fraternité, et tous comprennent.
Voilà deux belles affirmations : celle de notre
liberté, celle de notre possibilité à nous entendre, à nous comprendre. Et même
une troisième. Cette liberté et cette entente sont la résurrection de Jésus, l’Esprit
« qui donne la vie », vivifiant, (Dominum
et vivificantem).
Affirmations gratuites pourrons-nous penser, si peu
vérifiées. Bien sûr, si vous les prenez pour des descriptions de ce que vous
vivez. Mais il ne s’agit pas de description. C’est une profession de foi. Faire
profession de foi, ce n’est pas affirmer des choses contre toute évidence, des
choses curieuses et invérifiables. C’est entrer dans un autre monde. Ou,
plutôt, c’est vivre dans ce monde selon une autre logique que celle du monde,
la loi du plus fort, la loi de l’intérêt et de l’utilité, la loi du pouvoir.
Faire profession de foi, être disciples de Jésus donc, être chrétiens, c’est
accepter de mener sa vie selon la gratuité, le pur don, pour le plaisir de
vivre en grâce avec les frères. C’est choisir la liberté plutôt que les
convenances, et même les convenances religieuses. Qui est partant ?
Etre disciples de Jésus, faire profession de foi, être
chrétiens, ce n’est pas une célébration faite quand nous avons onze ans !
C’est entrer dans la confiance qu’ouvre l’amour du Père. Si nous l’aimons, nous
comprendrons combien il nous aime. « Il faut croire pour comprendre »,
comme il faut faire confiance pour savoir combien les autres nous aiment.
Que de liberté avons-nous besoin pour reverser les évidences
du monde ! Il est plus difficile que cela d’être libre ! La servitude
volontaire a bien des adeptes ! Ce qui ne vaut rien est ce qui n’a pas de
prix, comme on dit ; ainsi le dessin que cet enfant m’a offert l’autre
jour à la fin de la messe ou les colliers de nouilles des fêtes des mères. Ce qui
ne sert à rien, est gratuit, est le plus important. Cela ne sert à rien de
croire. Dieu n’est pas un truc dont on se sert. C’est juste la vie, comme tous
ceux que nous aimons.
Faire profession de foi, être disciples de Jésus, être
chrétiens, c’est choisir de renverser le monde, ou plutôt, de remettre le monde
sens-dessus-dessous à l’endroit. Alors qu’on voit bien que la logique du fric,
du pouvoir et de l’intérêt nous mène à notre perte et à celle de la planète,
nous avons bien des raisons de renverser le monde ! Etre disciples de
Jésus, habités par l’Esprit de liberté, c’est être de ceux qui veulent remettre
le monde dans le bon sens. Le croyez-vous ?
Sinon, que tous sortent et que l’é(E)glise s’effondre !
Les sages qui calculent leurs intérêts ne peuvent comprendre. « Il faut
croire pour comprendre », faire confiance à l’Esprit « qui donne la
vie ». Il faut être pauvre et avoir tout reçu comme des enfants. « Qu’as-tu
que tu n’aies reçu ? ». L’Esprit a été répandu en nos cœurs pour que
nous renversions les montagnes, celles du diktat du fric, de l’intérêt et de la
loi du plus fort, pour que nous tracions dans les steppes la route de la
fraternité. Le croyons-nous ?
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