12/07/2019

C'est maintenant qu'il faut aimer. Le bon samaritain (15ème dimanche du temps)


Que dois-je faire pour obtenir en héritage la vie éternelle ?
La question surprend. Qui est préoccupé de la vie éternelle ? S’il n’y a pas de vie après la mort, la question ne se pose pas ; s’il y en a une, comment serait-il possible de ne pas y avoir part ? Le Dieu de la vie ne veut pas qu’un seul de ceux qu’il aime ne se perde. Le non radical du jugement contre le mal détruit le mal en nous et dans la création et rend la vie à la vie. Nous ne comprenons pas plus la question du légiste ‑ comment hériter de la vie éternelle à coup sûr ‑ que sa peur d’une possible damnation, effrayante, à éviter par tous les moyens.
Peut-être sommes-nous heureusement sortis de ces histoires. La religion archaïque de la rétribution ne fait plus guère sens. Elle demeure comme une superstition lorsque la peur du gendarme céleste sert de tuteur moral à une conscience inquiète. Un savoir catéchétique dont la vérité est orthodoxie et non vie la maintient, au moment même où, pourtant, on interroge sur la vie. Hypocrisie, voilà le piège. Si Dieu est amour, si Dieu est vie et vérité, la question du légiste n’a pas de sens.
Et précisément, la question du légiste est un piège. « Un docteur de la Loi se leva et mit Jésus à l’épreuve en disant : "Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ?" » Et le texte ajoute peu après qu’il veut se justifier. Comment hériter de la vie éternelle est décidément une mauvaise question, une question piège.
C’est Jésus lui-même qui vide la question de son sens et défait, ici, le piège du légiste. Sa prédication de la miséricorde, spécialement dans l’évangile de Luc, ne permet pas de penser la damnation. Il s’agit de « faire la miséricorde », comme dit le texte, et Dieu ne se dispense pas de pratiquer ce qu’il commande, voir la misère avec le cœur, être pris de compassion spécialement envers les moribonds, à moitié morts.
Jésus permet au légiste de sortir du piège où il s’enfermait lui et sa relation avec Jésus. C’est déjà cela le salut, la vie éternelle. Sa manière de lire les Ecritures lui fait corriger la perversion de sa question. Aimer Dieu et aimer le prochain. Aimer et tout est dit des Ecritures et de la vie. Aimer, et les arguties dogmatiques s’effondrent, querelles picrocholines de ceux qui, même très religieux, n’ont pas compris ou ne veulent pas comprendre qu’avec Dieu, c’est une question d’amour, comme avec le prochain. De légiste à légaliste il n’y a qu’un pas. La religion comme ce que nous avons à faire pour être en règle est une impasse perverse.
Il voulait avoir part à la vie, la recevoir en héritage, trouver un truc pour qu’elle ne lui échappe pas, la posséder. Il pense de surcroît se justifier, se rendre juste. Or tous savent qu’on ne s’est jamais procuré la vie, elle se reçoit. On ne se rend pas juste, on est rendu juste, justifié.
Ce n’est pas un statut ‑ prêtre, lévite, bon croyant, etc. ‑ qui fait que l’on hérite de la vie éternelle. C’est une question d’amour. Non pas un remerciement, une rétribution parce qu’on aurait bien aimé. Cela n’a pas de sens. Aimer, cela veut dire la gratuité, l’excès, complètement, « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. »
T’occupe pas de la vie demain, parce que la vie éternelle, la vie avec Dieu, c’est maintenant. Occupe-toi de maintenant : aime ! C’est maintenant qu’il faut aimer. Il n’existe qu’une vie, éternelle, avec Dieu. (Il ne s’agit pas de biologie, comme pour l’homme à moitié mort tombé aux mains des bandits. Vivre, c’est autre chose que subvenir à ses besoins.) Vivre c’est la gratuité, l’excès à la folie, non une affaire de cellules ou de cœur qui bat. Puisque toi, ta vie n’est pas en danger, ne t’affole pas de ce qui t’arriverait après la mort. Vis, aime, à l’excès, « de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence. »
Vis, aime, à l’excès comme ce samaritain. Vis, non pour t’assurer que tu es pur ou en bonne santé ‑ même malade on peut vivre ‑, que tu n’attrapes pas de maladie. Tu n’es pas en permanence en danger de mort ! Sois le prochain de tout homme comme de Dieu, aime. Aime et tu vivras, non comme conséquence ou rétribution. Aimer, c’est vivre, vivre éternellement, comme Dieu, avec Dieu.

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