26/07/2019

La prière (17ème dimanche du temps)


Il y a 1600 ans environ, en 412, une veuve du nom de Proba, demandait à Augustin, évêque d’Hippone, comment prier. Faut-il comprendre que, attachée à la prière, Proba n’y trouvait pas son compte ? Qu’elle demandait, selon les dispositions de l’évangile que nous venons d’entendre (Lc 11, 1-13) mais n’obtenait pas ?
Dans un monde qui s’explique très bien sans Dieu, pour nous aussi chrétiens, où Dieu n’intervient pas de façon magique et où les lois de la nature s’appliquent implacablement, la prière est encore plus problématique, entre magie superstitieuse et inutilité décourageante menant à son abandon. Pourtant, nous croyons que Dieu sait ce dont nous avons besoin avant même que nous le lui demandions (Mt 5, 8) et qu’il n’est pas en retard pour nous exaucer (2P 3, 9). Il n’est pas un fonctionnaire tatillon qui ne traite que les demandes bien formulées ; il n’a pas besoin que nous le harcelions de nos cris pour daigner les écouter (Lc 18, 7).
« Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »
Dans la version de Luc, c’est l’Esprit Saint que donne le Père à ceux qui le lui demandent. Nous devrions nous le rappeler. Mais la réponse risque d’être trop courte ou rapide. Pourquoi donc demander, sans cesse, si le Père connaît notre besoin ? Pourquoi continuer à prier, si nous savons très bien que la prière, ça ne marche pas ?
Lorsque je me confie à un ami, à un parent, quelqu’un qui compte pour moi, je lui dis mes joies, mes peines, mes soucis et préoccupations. C’est la maladie voire la fin de vie, c’est les enfants ou les parents, c’est l’avenir professionnel, c’est l’entente entre les peuples, c’est la paix sur terre, c’est le respect de tout homme, toute femme, tout enfant, quels que soient la couleur de sa peau, sa richesse, son sexe ou son orientation sexuelle…
Tels sont « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses » que nous partageons avec ceux que nous aimons. Ce partage ne change rien à la situation. Mais que serait une joie que nous ne pourrions partager ? Combien plus écrasés serions-nous à porter seuls le poids des souffrances et des blessures, les nôtres et celles de l’humanité ? Ce partage à l’aimé, à l’ami, ne change rien mais change tout. Expression de l’amour et de l’amitié, il les renouvelle.
Et c’est ce que nous vivons avec Dieu, et c’est cela la prière. Nous ne parlons au Seigneur que de ce qui nous importe, quitte à apprendre à ouvrir nos préoccupations toujours plus largement, parce qu’on ne prie en parlant à Dieu de la pluie et du beau temps, conversation entretenue artificiellement, pour meubler les blancs, à vide, pour éviter les vrais sujets. Tout est bon dans la prière ‑ il n’y a qu’à voir les psaumes ! ‑ pourvu qu’on soit dans la vérité de nos vies, que l’on cherche à être dans la vérité de nos existences.
Qu’est-ce que cela change ? Tout parce que c’est recevoir la vie, même au moment de mourir, que de s’en remettre ainsi dans la confiance à celui qui par son don est source de toute vie, à celui qui est don ‑ c’est lui-même qu’il donne ‑, est vie, créateur comme dit le credo. Nous comprenons ce que veut dire qu’il donne l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent.
Cela ne change rien, parce qu’il faudra mourir. Cela ne change rien parce que Dieu ne peut agir dans le monde. S’il le pouvait mais ne le faisait pas, ne serait-il pas inconséquent, coupable et stupide de le prier ? Il pourrait sauver les enfants de la faim et ne le ferait pas, mais donnerait de gagner au loto ? Je ne veux pas de ce Dieu, je n’y crois pas, j’en suis athée.
« C’est à nous que les mots sont nécessaires, pour appeler notre attention sur ce que nous demandons mais non pour en instruire le Seigneur et le fléchir. » écrit encore Augustin. En quêtant, en désirant l’aimé, en apprenant à l’aimer, les mots et les préoccupations finissent par ne plus importer. On tâche seulement de se rendre disponible et s’accroît en nous l’amour de Dieu, notre désir de lui s’excite comme dit encore Augustin. La prière n’est pas bavardage, flot de paroles ou de prières, mais dilatation du désir de Dieu.
Parfois, écrit Thérèse de Jésus à ses filles, les seuls premiers mots de la prière du Seigneur suffiront à nous rendre disponibles à celui que nous cherchons, que nous désirons et qui nous manque tant. « Notre Père… »
Et si le temps pour la prière est achevé par le silence que les mots d’un colloque auront instauré, nous remettrons à plus tard la récitation de la suite, nous continuerons encore à exciter en nous le désir de la vie bienheureuse qu’il est lui-même et qu’il s’apprête à nous donner autant que nous sommes préparés à la recevoir.

5 commentaires:

  1. Sans aucunement le désir d'être agressif je m'étonne que dans votre exposé vous affirmiez d'une part
    "Dans un monde qui s'explique très bien sans Dieu..."
    et d'autre part
    "Pourquoi donc continuer à prier si nous savons très bien que la prière çà ne marche pas"
    Pour ma part, je n'ai pas d'explication au fait que l'univers existe et ce même si je rois au "Big Bang"
    Quant à la prière et son efficacité ou son absence apparente d'efficacité il me semble qu'Augustin s'exprime très bien la-dessus notamment dans sa lettre à Proba

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    1. Je ne sais si j'affirme. Au moins le deuxième point que vous levez est une interrogation.
      Moi, je ne crois pas au Big bang, parce que le Big bang n'est pas objet de foi et que la foi au Dieu créateur n'est pas explication de pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien, mais confession d'un Dieu qui est don, source, vie.
      Enfin, vous dites qu'Augustin s'exprime très bien dans sa lettre à Proba. C'est exactement ce que je pense et écris dans ce texte.
      Du coup, je ne vois pas bien l'objet de votre étonnement.

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    2. Comme vous faisiez dimanche dernier le lien entre Marthe et Marie et le Samaritain, « mon ami, prête-moi... je n’ai rien à lui offrir «  nous fait avancer dans la relation : Seigneur est appelé Père puis mon ami.. reconnaître que je n’ai rien à offrir à celui qui vit un besoin.
      Prête moi 3 pains ... je ne suis pas sure de pouvoir te les rendre mais je crois que ces 3 pains m’aideront à devenir prochain de tel ou telle ....

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    3. Pourquoi pas, mais il me semble qu'il faudrait pouvoir lier plus fermement la fin du chapitre 10 avec cette parabole de 11, pour vous suivre.
      Entre Le samaritain et Marthe et Marie, il n'y a pas "d'espace", ça s'enchaîne. Entre 10 et 11, il y a l'échange des disciples avec Jésus sur la prière, puis le Notre Père, et enfin, les petites paraboles. N'est-on pas passé à autre chose ?

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  2. Moi j'ai aimé votre intervention sur la prière. Parce qu'elle est humaine et exprime parfois le découragement mais qu'elle garde l'espérance en fin de compte.

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