Une personne, âgée, s’en va. On la savait croyante. Mais
qu’est-ce à dire ?
On évite de poser la question. Elle pourrait nous revenir comme un
boomerang, en pleine figure : Et toi, tu crois ? Que crois-tu ?
Que ne crois-tu pas ? Mieux vaut baisser la tête pour ne pas prendre ces
questions dans la tronche.
On se retrouve tout de même pour des funérailles à l’église. Nous
l’aimions quelques aient été nos visites ; nous nous étions engagés à ne
pas la lâcher. Et nous en sommes là, à l’église. Pour quoi faire ?
Cerise sur le gâteau, des textes choisis (1 Jn 3, 14-16 et Jn 6,
37-40) qui exhibent, de façon aussi indécente que provocante, la mythologie
chrétienne, la résurrection au dernier jour, le fils qui est descendu du ciel ou
l’incarnation, l’unité du Père et du Fils ou la Trinité. Il ne manque que la
conception virginale ! Qu’avons-nous à faire de tout cela. Ce n’est pas
seulement la tête qu’il faut baisser. Il faut faire le dos rond, attendre que
cela passe. Nous aurons rendu un hommage à la défunte et nous repartirons chez
nous.
A moins qu’il ne faille se mettre en colère contre les « les
petits propriétaires de certitudes impitoyables […] qui fabriquent des produits
conditionnés avec le mystère de la foi ». Assez des balivernes. Notre
deuil mérite mieux que des pseudos consolations en forme de dogme. La vie est
ailleurs. Il y a déjà la mort de celle que nous aimions, que l’on ne nous
assène pas encore l’agonie d’une religion à laquelle nous ne croyons pas, nous
ne pouvons pas croire, nous ne voulons pas croire.
L’effacement de Dieu n’est pas la victoire d’une société sans
repères qui rejetterait ses racines pour mieux s’étourdir dans la légèreté
d’une vie superficielle. L’effacement de Dieu est une chance pour Dieu. Car
Dieu est celui qui s’efface. Car Dieu est toujours défiguré lorsqu’il est
imposé. Le Dieu de l’évidence païenne ou des dogmes ecclésiaux grimace. Le Dieu
de l’évangile, gracieux comme tout ce qui est offert, a l’évanescence des
sourires.
La guillotine d’un barrage
a sectionné une rivière adolescente.
Malheur !
Malheur à vous hommes de grand pouvoir
qui avez fait de Dieu un lac
artificiel !
Ces mots d’un moine-poète, dénoncent les bases nautiques de nos
vies aux tranquilles loisirs et nous invitent à la fougue adolescente et
contradictoire d’une rivière et sa source. Allons à la source, si vous voulez
bien. Tâchons de remonter là où l’eau est suffisamment pure que nous puissions
rincer nos larmes et nous réconforter avec un simple verre d’eau fraiche.
Déshabillons Dieu de ses oripeaux. Il n’y a plus rien à voir. C’est
ce qu’ont vécu les disciples d’Emmaüs. « Sitôt le Seigneur en allé, nous
avons eu Vent de lui » confessaient les disciples à la Pentecôte, le soir
de la résurrection.
De l’âme d’un violon oseriez-vous
relever les empreintes
digitales ?
Nous ne prouverons rien. Nous ne confondrons pas Dieu avec la
police scientifique de l’Eglise. Nous nous tenons, étourdis, autour de ce
corps, à guetter, s’il était possible un souffle de vie encore. Non pour le
conserver, l’assigner à résidence, qu’on nous rende celle que nous aimions,
mais pour être nous-mêmes relever de nos négligences et de nos abattements, de
nos arrangements avec l’existence. Car il faut bien s’arranger, il faut bien
vivre.
Vivre, oui, pas survivre. Vivre même avec la mort, puisque l’on n’a
pas le choix. Mais vivre, coûte que coûte, parce qu’il sera trop tard, dans la
mort, pour nous livrer à l’humanité, pour la servir en nous et en tous.
Les paroles de Jésus entendues il y a un instant disent cela seulement.
Nous livrer à l’humanité pour la servir en nous et en tous ? En nous et en
tous : il ne veut en perdre aucun. Nous livrer comme il a donné sa vie.
Une vie qui défie les âges, éternelle.
Une vie donnée parce qu’une vie jalousement capitalisée est
mortelle, pour nous et pour tous. « Voici comment nous avons reconnu
l’amour ; lui, Jésus, a donné sa vie pour nous. Nous aussi, nous devons
donner notre vie pour nos frères. » L’eau de la rivière adolescente
aura-t-elle repris sa course ?
Etang de montagne en été
Sais-tu ce qu’il te manque ?
Pour devenir un
torrent ?
Une goutte de rosée.
Les citations sont extraites de G. Ringlet, Effacement de Dieu, la voie des moines-poètes, Albin Michel, Parie
2013
Seigneur,
toi qui as pleuré ton ami Lazare, tu pleures avec nous celle que nous aimons.
Béni sois-tu de te faire l’un d’entre nous, aujourd’hui dans cette église.
Seigneur,
toi qui as aimé cette terre, vécu les soubresauts de la politique partisane et
de la géopolitique, béni sois-tu. Tu ne nous abandonnes pas dans nos tentatives
de faire aujourd’hui du monde une maison commune, accueillante à tous.
Seigneur,
toi dont l’Eglise fait le héraut de la famille, tu as trouvé trop étroits les
liens du sang et du clan. Béni sois-tu. Ta famille, hier comme aujourd’hui,
c’est l’humanité tout entière, appelée à devenir fraternité.
Seigneur,
toi qui t’effaces pour que chacun devienne libre et responsable de lui-même et
des autres, béni sois-tu de nous donner ton Esprit pour que nous quêtions les
traces de ton amour aujourd’hui.
Réflexion décapante, parfois désopilante mais toujours dense.
RépondreSupprimerMerci de me donner à réfléchir !
Désopilante ?
RépondreSupprimerBonjour Patrick, rien à voir avec ce texte, mais lorsque vous parlez de mythologie chrétienne quant à au transfert de "pouvoir"(sacrement ordination) au sein de la hiérarchie de l'Eglise que faut-il en penser ?
RépondreSupprimerEt que répondre aux prêtres qui soutiennent cette vision là qui pensent notamment avoir quelque chose de plus ?
Je parle de mythologie chrétienne lorsque les affirmations du dogme ne font plus sens et sont assénées cependant comme vérités. Elles deviennent des sortes de météores sans aucun rapport non seulement avec le mystère de la foi mais encore notre propre discipline du Christ.
RépondreSupprimerJe parle aussi de mythologie lorsque se met en place l'irrationnel ou l'arbitraire des affirmations. La foi ne peut être contraire à la raison (même si rien ne justifie la foi.)
Après, prétendre "avoir quelque chose de plus", il faudrait demander à Lacan ce qu'il en pense !