Qu’avons-nous besoin des commandements de Dieu lorsque c’est
la grandeur de l’homme de découvrir en lui la loi morale et de s’y tenir ?
Pourrions-nous avoir les commandements de Dieu à la bouche quand les disciples
ne sont pas meilleurs que bien des hommes et des femmes qui se contentent de
suivre la voix de leur conscience ? Pourquoi recourir au Sinaï ou à la
surenchère de Jésus – eh bien, moi je vous dis ?
Il n’est pas sûr que la loi
morale en nous suffise. S’est-elle jamais imposée à l’instar du ciel étoilé au-dessus de nous ? Kant
et les Lumières sont allés bien vite en besogne. L’Europe ‑ et que dire
des autres pays ! – ne cesse de violer la convention de Genève de
1951 sur l’accueil des réfugiés. Où sont la morale et la conscience ? Les
Etats-Unis autorisent l’usage des mines anti-personnel. C’était il y a dix
jours, juste un an après leur dénonciation du traité de non-prolifération des
armes nucléaires. Où sont la morale et la conscience ?
Les Occidentaux pleurent de voir l’ordre mondial renversé, oubliant
qu’ils l’avaient établi à leur seul avantage. Les populations plébiscitent le nationalisme
pour se défendre, encouragées par les extrêmes politiques. On parle de
grand-remplacement. Mais comment vouloir la mondialisation pour soi seul ?
Peut-on continuer à exiger une part toujours plus grosse du gâteau ? Est-il
décemment possible de pleurer la fin d’une civilisation qui n’a érigé ces
grands principes moraux qu’à s’asseoir dessus, qui défend les droits de l’homme
sans remettre en cause son hégémonie culturelle, économique, religieuse et
politique ?
Il n’est pas sûr que la loi morale suffise. Est-ce à dire qu’il
faudrait revenir à l’hétéronomie, une loi imposée par Dieu, commandements
divins ou charia ? Rien ne garantit que cela irait mieux. Si notre époque
est apocalyptique, les précédentes l’ont été tout autant. En outre, si les
croyants respectaient la loi divine, cela se saurait !
La surenchère de Jésus dans l’évangile (Mt 5, 17-37) pourrait
illustrer la vanité de la loi divine qu’il mène à sa dernière extrémité, là où elle
se défait tant elle devient… extrême. Les commandements, avec Jésus, débordent
une impossible morale et provoquent à l’amour.
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu » ‑ cela va de soi – ne s’entend
pas comme un viol ‑ « toi, aime-moi ! » ‑ mais comme
une prière : « s’il te plaît, aime, moi », une déclaration d’amour :
« je t’aime, veux-tu de moi ? ».
Quel sens cela a-t-il de chercher à faire le bien, de vivre en paix
avec les frères, au nom de la foi ? La réponse tient en une expression que
d’aucuns trouveront minimaliste, voire dépréciative, mais qui a pour elle d’être
proposée par Paul : « à cause de Jésus » (2 Co 4, 5).
Alors même que nous voulons recueillir la loi morale en nous à écouter la voix de la conscience, nous
sommes engagés à la conversion, à la
recherche de la vie bonne avec et pour autrui dans des institutions justes « à
cause de Jésus ». Si cela ne change pas grand-chose à notre comportement,
cela décale le sens de notre volonté de justice. Non seulement nous sommes
attelés à la construction d’un monde plus humain, mais nous faisons signe vers
un ailleurs.
L’homme n’est pas le dernier mot de l’homme, « l’homme passe l’homme,
infiniment »... tout en restant homme ; pour ne pas faire la bête,
nous nous gardons de faire l’ange ! Nous confessons que l’humain est
lui-même à être ouvert à ce qu’il n’est pas. Donner le nom de Jésus à ce qui
déborde l’homme pour le rendre plus humain, c’est inscrire la quête du bien dans
la contingence, loin des grandes théories si aisément piétinées ; c’est nommer
l’au-delà de tout nom pour l’arracher
à l’innommable, à l’immonde.
Nous ne sommes pas la mesure de toute chose. L’homme n’est pas la
mesure de toute chose. A le croire, nous détruisons la planète. A le croire,
cela ne nous empêche pas de massacrer nos semblables, de mépriser ceux qui sont
sans recours. « A cause de Jésus » nous fait passer derrière, comme
lui. Même sans la foi, nous aurions beaucoup à gagner de vivre « à cause
de Jésus ».
Et si nous nous risquons à confesser que Jésus est chemin vers l’au-delà
de tout, vivre « à cause de Jésus », c’est compter avec celui que nul
n’a jamais vu et qui veut la vie pour nous. Vivre « à cause de Jésus »
c’est inscrire dans l’ordinaire des jours la bonté originelle.
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