Lorsque la liturgie instrumentalise les Ecritures, c’est
très dangereux. Nous n’écoutons plus les textes. Nous assenons une doctrine,
qui dès lors n’est plus un enseignement, mais une idéologie. Le texte est
chimistré, bidouillé, violenté. Comment être plus certain de ne pas l’écouter ?
On cherche un parallèle à l’évangile des tentations ; Gn 2-3 raconte une
histoire de salut. Le protagoniste en est le Seigneur qui part à la recherche
de l’humanité. Depuis les premiers instants de l’humanité, si l’on peut dire, Dieu
sort au jardin de la terre à sa rencontre.
Ce dont il s’agit en ces tout premiers chapitres n’est pas
ce qui arrive, mais ce que nous sommes, des vivants confrontés au mal. L’antique
récit, par sa mise en forme comme narration, essaie de dire ce qu’est le mal. Même
si certains fruits sont poison, manger celui du jardin n’est pas en soi le
problème, mais bien plutôt que l’homme et la femme prennent ce qui est réservé.
A vivre de recevoir, à la gratuité du don, nous préférons n’avoir de compte à
rendre à personne, quitte à nous servir, à passer devant tout le monde, à
confisquer ce monde. Le fruit de l’arbre indique la loi élémentaire ; je
ne suis pas le tout de la création, je ne peux m’imposer et tout faire mien,
tout confisquer. La loi humaine ne peut être « moi d’abord ».
Le péché n’est pas originel à être le premier, ou à marquer toute l’histoire
de ses conséquences, mais il est le péché, le seul, aujourd’hui comme hier. L’actualité
du récit est saisissante. Le mal, le mal commis, quelle que soit sa forme, c’est
toujours se prendre pour le centre du monde (on se retrouve au milieu du
jardin), ne penser qu’à soi, « moi », « moi d’abord », au
point de mépriser et de nier tout le reste, tous les autres. La manière d’exploiter
la planète dans la crise écologique entre exactement dans ce cadre, comme les
injustices sociales, les délits et les crimes. Prenez le volant, ce laboratoire de l’humanité sauvage, et vous verrez la
vigueur destructrice du « moi d’abord ».
Ce « moi d’abord », comme un pli, est inscrit en
nous dès la naissance. On n’y échappe pas, et c’est même ainsi que l’on survit
durant les premiers heures et semaines. On comprend que l’on parle d’un fait
originel ! L’évangile redit la loi, au iota près : celui qui garde sa
vie la perdra, celui qui ne renonce pas à lui, « lui d’abord » ne
peut pas être disciple.
Voilà le mal, le nôtre, « moi d’abord ». Qu’est-ce
qui en fait un péché ? Le péché, c’est « moi d’abord » alors
même que l’on prononce le nom de Dieu. La question du péché ne se pose pas si
Dieu n’est pas invoqué. Il y a faute, crime, meurtre. Mais pour que l’on parle
de péché, il faut que le « moi d’abord » ose parler de Dieu.
Non seulement, avec le mal commis, il y a l’horreur, mais ce mal est
commis avec Dieu à la bouche, ou dans le cœur ! Voyez le scandale. Tout
péché est sacrilège. Un disciple de Jésus qui pèche non seulement comment le
mal, mais, puisqu’il a Dieu au cœur, traine ce nom dans la fange. Le péché c’est,
même sans les mots, dans les actes, dire « merde » à Dieu. Quelle
violence ! Comment ne pas l’avoir en horreur ?
Il ne s’agit pas plus qu’au début de la Genèse de permis et de
défendu. Il ne s’agit rien moins que de s’en prendre à Dieu. C’est une gifle pour
lui… comme à la passion. Outre le mal, nous piétinons celui qui, premier,
existe à se retirer, à se faire dernier. Jamais de « moi d’abord »
chez Jésus, image du Père.
Que se passe-t-il, parvenus à cette extrémité ? Forcément, la
mort. Non une punition ; Dieu ne punit personne. Le « moi d’abord »
fait disparaitre les autres et nous-mêmes, parce que personne n’existe sans les
autres. La crise écologique est crise anthropologique, humaine, humanitaire. A
ne penser qu’à nos intérêts, notamment financiers, nous tuons les populations
dont la terre est détruite, et, à court terme, nous-mêmes et nos enfants.
Dans ce monde que le « moi d’abord » fait mort, vallée de
larmes, Dieu s’engage. Le récit de la Genèse le raconte : « où es-tu ? ».
Il cherche l’homme pour le tirer du chaos où il s’est vautré. Nous y sommes, à
notre deuxième lecture (Rm 5, 12-19), que je me suis en définitive contenté de
commenter : « là où le péché avait abondé, la grâce a surabondé. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire