Notre vie est désorganisée par le virus. Notre vie paroissiale
aussi. Même si ce ne sont pas les rencontres chrétiennes qui nous étouffent, nous
aimons nous retrouver, même peu nombreux, le dimanche pour la messe, un samedi
ou un vendredi de temps en temps pour les groupes de caté ou d’aumônerie, le
mardi pour le MCR et le groupe biblique, etc.
Au long des semaines à venir, nous allons avoir soif les uns des
autres. Nous allons manquer. Manquer de communautés, de rencontres. Pas
seulement les chrétiens, mais les chrétiens aussi. Comment allons-nous vivre
ensemble sans nous voir ? Il y a tant à inventer. Comment, dans la situation
actuelle, vivre en chrétien ?
Pas sûr que l’évangile de ce jour (Jn 9) nous apporte les
réponses. En revanche, il nous éclaire sur notre actuelle confrontation au mal
avec ce virus, avec cette autre confrontation au mal, celle du handicap, une
cécité de naissance. D’où vient le mal ? Pourquoi le mal ? Pourquoi
le mal est-il contagieux alors qu’il s’agirait de se serrer les coudes ? Qu’est-ce
que Jésus peut au mal ? Impossible de répondre à toutes ces questions en
quelques lignes.
Le mal dont on parle ici, handicap ou virus, ne relève pas du mal
moral, celui dont nous sommes à l’origine. La réponse, souvent entendue, ne
vaut pas : il y aurait le mal parce que nous sommes créés libres. Dans le
cas des catastrophes naturelles, des gens malades, des virus ou de la mort, la
réponse tombe à côté.
On avancera le péché originel. Ce serait une punition de Dieu, ou
en sa version profane, une vengeance de la nature. Si jamais Dieu est pour
quelque chose dans ce virus, il est urgent d’arrêter de lui faire confiance !
Le virus n’est ni une épreuve qu’il nous ferait subir, ni quoi que ce soit qui
viendrait de lui. En Jésus, Dieu continue à mourir à chaque décès causé par ce
virus. Dieu est de notre côté, depuis toujours.
Jésus ne répond pas à la question de l’origine du mal. Elle lui est
pourtant posée : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il
soit né aveugle ? » Ce n’est pas le problème : « Ni lui, ni ses parents
n’ont péché. » Circulez, il n’y a rien à voir de ce côté. La question du
mal n’est pas celle de son origine, de son pourquoi, de ce qu’auraient fait ou
non les gens (la fameuse liberté). La réplique au mal, c’est comment on le fait
reculer.
La suite est déconcertante. « Mais c’était pour que les œuvres
de Dieu se manifestent en lui. » On ne saurait comprendre que le mal existe
pour qu’on voie que Jésus en est vainqueur ! Ce serait abject. D’autant
que ce virus, ce n’est pas Jésus qui en sera vainqueur, mais les scientifiques,
les médecins, tous ceux qui permettent que la vie continue dans les magasins,
les livraisons, le ramassage des ordures, etc. et chacun par le confinement.
La fin du texte en rajoute : « Je suis venu en ce monde
pour rendre un jugement : que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que
ceux qui voient deviennent aveugles. »
Devant le mal, c’est l’heure du jugement. Qui es-tu lorsque ta vie et
celle des autres est menacée ou du moins chamboulée ? Quand le mal est là,
chacun est confronté à la vérité de son existence. Non qu’il y ait du mal pour
que nous soyons confrontés à la vérité de notre existence ! Ce serait
absurde, abject. Mais quand le mal est là, c’est sûr, nous sommes confrontés à
qui nous sommes. On voit qui sont les
aveugles, qui ferment les yeux aux autres et ne pensent qu’à eux, à leur stock
de papier hygiénique et de nouilles, à leur confort en refusant un strict
confinement.
Certains vont mourir, tous sont privés, un peu, de leur liberté. Le
mal est là, obstiné, irréversible. Comment ne pas sombrer de son côté ? Comment
ne pas pactiser avec lui, ajoutant au virus, le mépris et la haine des autres ?
La guérison de l’aveugle né, c’est déjà le procès de Jésus, la haine contre
lui. Le mal contamine, il passe de cet aveugle, victime, à Jésus victime. Comment
ne pas se laisser contaminer, non par le virus, mais par le mal ? Comment vivre
en paix dans nos maisons ? Cela ne sera pas toujours facile, pas seulement
pour les enfants. Comment soutenir les associations qui viennent en aide à ceux
qui n’ont pas de chez eux, SDF et migrants ? Comment continuer les
distributions de nourriture ? Comment ne pas profiter du système (puisque
l’Etat paye, pourquoi se casser les pieds à bosser ?). La délinquance et l’ultralibéralisme
ont vite fait de voir toutes les opportunités que leur offrait le virus ! Le
racisme s’en donne à cœur joie : c’est la faute aux Chinois !
Chaque existence est confrontée au mal à un moment ou
à un autre. Nous le sommes actuellement ensemble, non seulement en France, mais
dans le monde. Comment ne pas succomber au mal ? C’est un moment de
vérité, un kairos comme disent les
théologiens en parlant grec. Notre existence est mise en lumière ‑ ce n’est
pas pour rien qu’il s’agit dans l’évangile d’un aveugle. Comme toujours, même
si nous ne le voyions pas souvent, ‑ encore une question de cécité ‑ l’astre d’en haut vient nous visiter pour
illuminer ceux qui habitent les
ténèbres et l’ombre de la mort, pour conduire nos pas au chemin de la paix.
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