06/03/2020

Le rêve de la vie spirituelle Mt 17, 1-9 (2ème dimanche de carême)


La transfiguration (Mt 17, 1-9) tient une place originale dans la mission de Jésus. Son récit relève d’un genre littéraire bien défini, celui des théophanies, des apparitions de Dieu. A peine ces mots prononcés, il faut s’arrêter. Dieu pourrait-il donc apparaître ? Si l’on en croit l’évangile de Jean, qui ne raconte pas la transfiguration, « Dieu, personne ne l’a jamais vu ». Une théophanie est donc une sorte d’impossibilité. On ne sera pas étonné que, dans le premier Testament, nul ne puisse voir Dieu sans mourir (Ex 33, 20).
Autre point d’arrêt. On parle de théophanie, d’apparition de Dieu, à propos d’un homme, Jésus. Même si le catéchisme nous explique que Jésus est Dieu, cela ne peut nous empêcher d’être surpris. Cette théophanie concerne un homme.
Pour interpréter correctement la transfiguration, il faut la lire avec ces impossibilités. Elles ont un sens théologique. Ne pas les prendre en compte, c’est passer à côté de ce que le texte veut dire. La double violence narrative ‑ dépassement de l’impossibilité de la théophanie et usage de la théophanie pour un homme ‑ est assumée. S’y arrêter, se confronter au tour de force textuel fait entrer dans ce dont le récit témoigne.
Bien des textes évangéliques paraissent assez aisément actualisables : on peut imaginer la scène, s’y projeter, se voir rencontré par Jésus, accueillir pour soi ce qu’il dit à ses interlocuteurs. Mais, avec la transfiguration, épisode si étrange par rapport à la vie ordinaire, comment se sentir concerné ? Suffirait-il d’apprendre quelque chose sur Jésus, hier ? En quoi cela nous concernerait-il aujourd’hui ?
La transfiguration peut être comprise comme modèle pour ce que l’on appelle la vie spirituelle, la vie dans l’Esprit, une des formes de la rencontre du disciple avec Jésus comme un vivant. Si nous suivons cette piste, que pourrions-nous apprendre de la vie dans l’Esprit ?
Les impossibilités du texte deviennent celles de la vie de disciple. Il y a une impossibilité à en parler… et pourtant il faut en parler. Impossibilité d’en parler parce que cela ne relève pas de la description. Impossibilité parce que l’on ne sait jamais ce dont il s’agit : les illusions sont légion dans la vie dans l’Esprit et, avec elles, les escroqueries dont l’actualité ecclésiale manifeste qu’elles ne sont ni rares ni systématiquement débusquées.
Dans les Ecritures, il est plus fréquent de dire la non-évidence de la rencontre avec Dieu, le vide où il nous laisse, que l’évidence de sa présence. Ce n’est pas pour rien que ces rencontres sont si souvent l’objet d’un songe. Ainsi, Jacob, se réveillant, constate-t-il : « Dieu était là, et je ne le savais pas. » (Gn 28, 16) On ne sait jamais quand Dieu est là. Toute affirmation tonitruante de la présence de Dieu sent le frelaté. Ainsi Jésus donna-t-il cet ordre aux disciples : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »
Le récit de la transfiguration met en scène l’incompréhension des disciples. A n’être pas déboussolé, voire perdu, par la rencontre avec Jésus comme un vivant, il est certain que la prétendue rencontre n’a rien voir avec Dieu. Luc précise que Pierre ne savait pas ce qu’il disait.
Il existe d’autres types de rencontres des disciples avec Jésus comme vivant : chacun sait que la rencontre avec le frère est rencontre avec Jésus. « Ce que vous avez fait, ou non, à l’un de ces petits qui sont les miens, c’est à moi, que vous l’avez fait, ou non. » C’est pourquoi, il faut redescendre de la montagne. La vie avec Jésus comme vivant, la vie spirituelle, ne se limite pas à la montagne, au songe. La vie avec Jésus comme vivant, c’est la vie tout entière, dans l’Esprit, dont le service des frères. « Si quelqu’un dit : "J’aime Dieu" et qu’il déteste son frère, c’est un menteur : celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne saurait aimer le Dieu qu’il ne voit pas. » (1 Jn 4, 20)
La rencontre avec Jésus comme vivant, d’après le récit de la transfiguration, ne semble n’avoir qu’un but : entendre l’amour du Père se déclarer pour Jésus. Et c’est renversant : « Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre. » Alors Jésus relève les disciples, et il n’y a plus rien à voir, on est sorti du rêve.
Plus de visage brillant comme le soleil ni de vêtement blanc comme la lumière. Avec la mort de Jésus jusqu’à sa résurrection en nous, sa place reste marquée par un grand vide, une blessure. Heureusement, il y a les frères pour vivre avec lui, sans quoi on pourrait croire que la vie spirituelle, la vie avec lui n’est qu’un songe.




- Seigneur, que l’éclat de ton visage se reflète sur celui de l’Eglise dans son effort de conversion pour être toujours davantage la servante de l’amour du Père.
- Seigneur, que l’éclat de ton visage éclaire le monde et donne aux femmes d’être véritablement reconnues, jusque dans l’Eglise, à l’égal des hommes et que cesse l’évidence du droit de ces derniers à organiser les sociétés sans elles.
- Seigneur, que l’éclat de ton visage fasse reculer en nous les ténèbres de la désespérance et du sentiment de déréliction. Ton absence en ce monde est la trace de ta présence.
- Seigneur, que l’éclat de ton visage réchauffe ceux qui sont dans la peine et le désarroi. Qu’ils puissent entrevoir un monde où ils ont eux aussi une place.

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