La transfiguration (Mt 17, 1-9) tient une place originale
dans la mission de Jésus. Son récit relève d’un genre littéraire bien défini,
celui des théophanies, des apparitions de Dieu. A peine ces mots prononcés, il
faut s’arrêter. Dieu pourrait-il donc apparaître ? Si l’on en croit
l’évangile de Jean, qui ne raconte pas la transfiguration, « Dieu, personne
ne l’a jamais vu ». Une théophanie est donc une sorte d’impossibilité. On
ne sera pas étonné que, dans le premier Testament, nul ne puisse voir Dieu sans
mourir (Ex 33, 20).
Autre point d’arrêt. On parle de théophanie, d’apparition de Dieu,
à propos d’un homme, Jésus. Même si le catéchisme nous explique que Jésus est
Dieu, cela ne peut nous empêcher d’être surpris. Cette théophanie concerne un
homme.
Pour interpréter correctement la transfiguration, il faut la lire
avec ces impossibilités. Elles ont un sens théologique. Ne pas les prendre en
compte, c’est passer à côté de ce que le texte veut dire. La double violence narrative
‑ dépassement de l’impossibilité de la théophanie et usage de la
théophanie pour un homme ‑ est assumée. S’y arrêter, se confronter au tour
de force textuel fait entrer dans ce dont le récit témoigne.
Bien des textes évangéliques paraissent assez aisément
actualisables : on peut imaginer la scène, s’y projeter, se voir rencontré
par Jésus, accueillir pour soi ce qu’il dit à ses interlocuteurs. Mais, avec la
transfiguration, épisode si étrange par rapport à la vie ordinaire, comment se
sentir concerné ? Suffirait-il d’apprendre quelque chose sur Jésus, hier ?
En quoi cela nous concernerait-il aujourd’hui ?
La transfiguration peut être comprise comme modèle pour ce que l’on
appelle la vie spirituelle, la vie dans l’Esprit, une des formes de la
rencontre du disciple avec Jésus comme un vivant. Si nous suivons cette piste,
que pourrions-nous apprendre de la vie dans l’Esprit ?
Les impossibilités du texte deviennent celles de la vie de disciple.
Il y a une impossibilité à en parler… et pourtant il faut en parler.
Impossibilité d’en parler parce que cela ne relève pas de la description.
Impossibilité parce que l’on ne sait jamais ce dont il s’agit : les
illusions sont légion dans la vie dans l’Esprit et, avec elles, les
escroqueries dont l’actualité ecclésiale manifeste qu’elles ne sont ni rares ni
systématiquement débusquées.
Dans les Ecritures, il est plus fréquent de dire la non-évidence de
la rencontre avec Dieu, le vide où il nous laisse, que l’évidence de sa présence. Ce n’est pas
pour rien que ces rencontres sont si souvent l’objet d’un songe. Ainsi, Jacob,
se réveillant, constate-t-il : « Dieu était là, et je ne le savais
pas. » (Gn 28, 16) On ne sait
jamais quand Dieu est là. Toute affirmation tonitruante de la présence de Dieu
sent le frelaté. Ainsi Jésus donna-t-il cet ordre aux disciples : « Ne
parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité
d’entre les morts. »
Le récit de la transfiguration met en scène l’incompréhension des
disciples. A n’être pas déboussolé, voire perdu, par la rencontre avec Jésus
comme un vivant, il est certain que la prétendue rencontre n’a rien voir avec Dieu.
Luc précise que Pierre ne savait pas ce qu’il disait.
Il existe d’autres types de rencontres des disciples avec Jésus
comme vivant : chacun sait que la rencontre avec le frère est rencontre
avec Jésus. « Ce que vous avez fait, ou non, à l’un de ces petits qui sont
les miens, c’est à moi, que vous l’avez fait, ou non. » C’est pourquoi, il
faut redescendre de la montagne. La vie avec Jésus comme vivant, la vie
spirituelle, ne se limite pas à la montagne, au songe. La vie avec Jésus comme
vivant, c’est la vie tout entière, dans l’Esprit, dont le service des frères.
« Si quelqu’un dit : "J’aime Dieu" et qu’il déteste son
frère, c’est un menteur : celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne
saurait aimer le Dieu qu’il ne voit pas. » (1 Jn 4, 20)
La rencontre avec Jésus comme vivant, d’après le récit de la
transfiguration, ne semble n’avoir qu’un but : entendre l’amour du Père se
déclarer pour Jésus. Et c’est renversant : « Quand ils entendirent
cela, les disciples tombèrent face contre terre. » Alors Jésus relève les
disciples, et il n’y a plus rien à voir, on est sorti du rêve.
Plus de visage brillant comme le soleil ni de vêtement blanc comme
la lumière. Avec la mort de Jésus jusqu’à sa résurrection en nous, sa place reste
marquée par un grand vide, une blessure. Heureusement, il y a les frères pour
vivre avec lui, sans quoi on pourrait croire que la vie spirituelle, la vie avec
lui n’est qu’un songe.
- Seigneur, que l’éclat de
ton visage se reflète sur celui de l’Eglise dans son effort de conversion pour
être toujours davantage la servante de l’amour du Père.
- Seigneur, que l’éclat de
ton visage éclaire le monde et donne aux femmes d’être véritablement reconnues,
jusque dans l’Eglise, à l’égal des hommes et que cesse l’évidence du droit de
ces derniers à organiser les sociétés sans elles.
- Seigneur, que l’éclat de
ton visage fasse reculer en nous les ténèbres de la désespérance et du
sentiment de déréliction. Ton absence en ce monde est la trace de ta présence.
- Seigneur, que l’éclat de
ton visage réchauffe ceux qui sont dans la peine et le désarroi. Qu’ils
puissent entrevoir un monde où ils ont eux aussi une place.
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