17/04/2020

Qu'a vu et touché Thomas ? Jn 20, 19-31 (2ème dimanche de Pâques)


Qu’a vu Thomas ? Où a-t-il mis la main et le doigt ? S’il a vu le corps de Jésus, s’il l’a touché, comment peut-il devenir croyant ? On ne peut pas croire quand on voit, il n’y a pas de place à la foi lorsque l’on sait. « Cesse d’être incrédule, deviens croyant. » Ce qui est à croire est par définition ce à quoi l’on n’a pas accès, ce que l’on ne peut saisir, ni par les sens, ni par l’intelligence.
A penser que Thomas a vu, ne s’interdit-on pas de croire ? N’est-ce pas ce que nous disons si souvent, « je suis comme saint Thomas, je ne crois que ce que je vois » ? Mais précisément nous ne croyons pas. Thomas n’a pas cru les frères, comment pouvait-il croire son Seigneur et Dieu ? Ne serait-ce pas les frères qui lui donnent de voir le Seigneur ?
Croire n’est pas un mode faible du savoir : je crois que c’est vrai, au sens de je ne suis pas sûr que ce soit vrai, mais on ne sait jamais... Soit on sait, soit on ne sait pas qu’une chose est vraie. Que signifierait savoir à moitié que quelqu’un est vivant ?
Croire, c’est faire confiance, se livrer à la parole de l’autre. Croire, c’est toujours un rapport à l’autre, aux autres, auxquels on fait confiance, on s’en remet. Croire n’est pas un verbe d’opinion comme disent les grammairiens, mais un verbe de relation.
Il n’y a pas même besoin d’une relation privilégiée pour croire. Lorsque vous demander l’heure à quelqu’un dans la rue, vous le croyez. Et cela vous permet de savoir si vous avez le temps de faire ceci ou cela. Lorsque vous demandez votre route à quelqu’un vous, le croyez. Vous faites ce qu’il vous dit, vous vous en remettez à lui. Et s’il y a erreur, vous pensez que vous vous êtes trompés, ou qu’il y a eu une incompréhension, un manque de précision, pas que l’autre vous aurait menti pour vous perdre.
Nous ne croyons pas que Jésus est le fils de Dieu, né d’une vierge, ressuscité des morts. Nous ne croyons pas tout cela, parce que croire ne signifie pas savoir des choses, même religieuses. Une doctrine n’est pas la foi. La foi, c’est l’attachement à une personne. C’est notre engagement pour une personne. Je te crois. « Sur ta parole, je vais jeter les filets » (Lc 5, 5) de ma vie ; sur sa parole, « à cause de Jésus » (2 Co 4, 5), je me détermine.
Si ce que nous appelons foi jamais n’entre en ligne de compte pour prendre des décisions, si nous n’agissons jamais « à cause de Jésus » ‑ en dehors du culte ‑ sommes-nous disciples ? L’insistance sur les choses à croire et sur la pratique cultuelle ne nous dispenserait-elle pas de croire ? Stratégie pour nous convaincre nous-mêmes que nous sommes croyants alors que nous ne sommes, dans les faits, pas attachés à Jésus, puisque nous ne lui faisons pas confiance, puisque sa vie ne change rien à la nôtre. Nous le laissons mort.
C’est cela qu’a vu Thomas. La parole des autres le taraude ; il ne l’a pas crue mais il l’a entendue, et il ne cesse d’y penser, une semaine durant. Malgré la mort de Jésus, il finit par entrevoir qu’il pourrait mener sa vie « à cause de Jésus ». Ses yeux s’ouvrent. Il commence à identifier le crucifié, avec la plaie au côté et les marques des clous ‑ cela traumatise, la vue d’un corps supplicié ‑ au vivant. Vivant non comme un revenant ou la dissipation d’un cauchemar au réveil, vivant d’une façon totalement inouïe qui réoriente la vie. C’était nécessaire après l’horreur de la mort de Jésus et tout ce qu’elle avait foutu en l’air, trois ans d’une vie à côtoyer cet homme, son ami, son jumeau ! Cela nous apparaît peut-être moins utile, à nous qui n’avons pas connu le Galiléen selon la chair.
Thomas reconnaît Jésus, c’est bien lui, tout ce qu’ils ont vécu ensemble est ouvert. Ce n’est pas Jésus comme avant. A-t-on jamais vu quelqu’un entrer dans une maison, les portes étant verrouillées. A-t-on jamais vu un esprit que l’on pourrait toucher ? (Par deux fois, l’évangéliste parle de ce verrouillage. Qu’est-ce qui est enfermé, empêché pour Thomas ?)
Sur la parole des autres, transmission de la parole de Jésus, ce qui avait commencé peut se déployer, ce qui était verrouillé s’ouvre. La Bonne Nouvelle de Jésus n’est pas arrêtée par sa mort parce qu’il est, lui, la Bonne Nouvelle, l’évangile de Dieu. Ce n’est pas une doctrine, des choses à croire, mais l’attachement à Jésus qui fait vivre. Il serait donc vivant…

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