Matthieu est le seul des quatre évangiles à utiliser le mot Eglise. (Luc utilise le mot mais le réserve aux Actes des Apôtres). Paul avait introduit le terme dans la langue des chrétiens. Mais dans les années 70 à 100, le mot n’est pas indispensable pour les disciples. Certains n’en ont pas besoin, ne serait-ce que parce qu’ils ont d’autres manières de parler d’eux avec Jésus : la voie, la fraternité par exemple.
Nous sommes aujourd’hui au contraire tellement habitués au mot Eglise que nous ne l’entendons plus. Nommer les disciples avec Jésus Eglise, c’est désigner notre assemblée en union, en communion avec toutes les autres, comme l’appelée. L’Eglise est la communauté ou la communion des appelés par Dieu, des appelés avec Jésus.
L’usage exceptionnel du mot Eglise dans les évangiles devrait nous aider à entendre ce qu’il a de surprenant. Quelles conséquences que d’être désignés, avec et pour les autres, comme celle qui est appelée, convoquée ? L’Eglise, ce n’est pas les appelés mais celle qui est appelée. Ce n’est pas même la communauté qui est appelée, puisqu’elle naît de l’appel.
Dans ce passage original de Matthieu se situe la confession de foi à Césarée racontée aussi par Marc et Luc. Il est inadmissible que le récit soit mutilé et que l’on ne puisse en entendre que la première partie. Pierre qui confesse Jésus, Pierre sur la foi de qui l’Eglise est fondée, est traité de Satan par Jésus quelques versets plus loin.
Séparer la confession de foi et la fondation de l’Eglise du rabrouement de Pierre par Jésus, c’est évidemment construire un discours à la gloire de Pierre qui non seulement n’est pas le texte évangélique, mais conduit l’Eglise au long des siècles aux pires infidélités. Le découpage liturgique est coupable de la même faute que les pires péchés de l’institution ecclésiale, romaine en particulier. Je reviendrai la semaine prochaine sur le fait que celui sur la foi duquel l’Eglise est fondée soit dans le même temps traité de Satan.
Je voudrais éclairer un peu ce qu’est la foi de Pierre. Aujourd’hui, pour un catholique, la foi de Pierre est l’institution papale, ce qui la justifie. Evidemement, cette compréhension est anachronique. De pape, il n’est pas question dans les années 80, une trentaine d’années après la mort et la résurrection de Jésus. La foi de Pierre ne peut désigner, au moins historiquement, au moins scripturairement, l’institution papale.
Pierre, avec les onze autres, c’est ceux que Jésus appelle. On retrouve l’Eglise, ou plutôt « son » Eglise. L’Eglise n’existe pas, il n’existe que l’Eglise de Jésus. Ces Douze sont uns avec Jésus, sont appelés à être avec Jésus. On ne peut voir Jésus sans les siens. On ne devrait pouvoir présenter l’Eglise sans Jésus. La légende du Grand inquisiteur montre à l’envi ce qu’est l’Eglise sans Jésus, en contradiction avec Jésus, condamnatrice de Jésus.
Jésus n’existe pas sans cette totalité, douze, à la fois précisément identifiée, à la fois laissée dans le flou ; on ne sait dresser une liste parfaite, seule la moitié est bien identifiée. L’appelée, l’Eglise ne se définit pas de façon exhaustive et stable. Comme si la totalité n’était pas si totale, seulement indiquée symboliquement, à travers un chiffre. Et encore, ils ne sont plus que onze après la défection de Judas, puis douze avec le choix de Matthias, à moins que ce ne soit avec Paul. Impossible de savoir. N’allons donc pas trop nous préoccuper de qui est l’Eglise. Ce sfumato comme l’aurait peint Léonard de Vinci est constitutif de l’Eglise.
Pierre, ce n’est pas Pierre. La preuve, il s’appelle Simon ! Pierre, c’est une figure, un type. Pierre ne représente pas tant les Douze, tous ceux qui sont avec Jésus ; il est plutôt un déguisement, une posture, une manière d’exister que chacun revêt ou assume dès lors qu’avec les autres et Jésus, il est disciple, ils sont l’Eglise. « La pierre est tout disciple du Christ auprès duquel se désaltéraient ceux qui buvaient de la pierre spirituelle qui les suivaient. » (Origène)
De sorte que la foi de Pierre, c’est ce qui fait qu’ensemble, nous nous recevons, avec les autres et pour tous, appelés à être avec Jésus. Voilà ce sur quoi est fondée l’Eglise. Rien n’est dit ici des ministères, pas davantage du magistère. Ce dont parle l’évangile, c’est Jésus. Notre attachement à Jésus, non pas individuel, mais où chacun est appelé avec les autres, est ce qui fonde « son » Eglise, ce qui la rend possible, même deux mille ans après sa mort.
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