Lecture du livre de Job (3 à 14, passim)
Job ouvrit la bouche et maudit
le jour de sa naissance.
Il prit la parole et dit :
Périsse le jour qui me vit naître et la nuit qui a dit : « Un
garçon a été conçu ! »
Ce jour-là, qu'il soit
ténèbres,
que Dieu, de là-haut, ne le
réclame pas,
que la lumière ne brille pas sur lui ! […]
Étendu sur ma couche, je me dis
: « À quand le jour ? »
Sitôt levé : « Quand
serai-je au soir ? »
Et des pensées folles m'obsèdent jusqu'au crépuscule. […]
C'est pourquoi je ne puis me
taire,
je parlerai dans l'angoisse de
mon esprit,
je me plaindrai dans l'amertume de mon âme. […]
Ah ! je voudrais être étranglé : la mort plutôt que mes douleurs ! […]
Car c'est tout un et j'ose dire
:
il fait périr de même l'homme
intègre et le méchant.
Quand un fléau mortel s'abat soudain, il se
rit de la détresse des innocents.
Dans
un pays livré au pouvoir d'un méchant, il met un voile sur la face des juges.
Si ce n'est pas lui, qui donc alors ? […]
Puisque la vie m'est en dégoût,
je veux donner libre cours à ma
plainte,
je veux parler dans l'amertume de mon âme.
Je dirai à Dieu : Ne me
condamne pas,
indique-moi pourquoi tu me prends à partie.
Est-ce bien, pour toi, de me
faire violence,
de rejeter l'œuvre de tes mains et de favoriser les desseins des méchants
? […]
L'arbre conserve un espoir, une fois coupé,
il peut renaître encore et ses rejetons
continuent de pousser.
Même avec des racines qui ont vieilli en
terre et une souche qui périt dans le sol,
dès
qu'il flaire l'eau, il bourgeonne et se fait une ramure comme un jeune plant.
Mais l'homme, s'il meurt, reste inerte ;
quand un humain expire, où donc est-il ? […]
L'homme une fois couché ne se relèvera
pas,
les
cieux s'useront avant qu'il ne s'éveille, ou ne soit réveillé de son sommeil.
Oh ! Si tu m'abritais dans les enfers, si tu
m'y cachais, tant que dure ta colère,
si tu me fixais un délai, pour te
souvenir ensuite de moi :
-
car, une fois mort, peut-on revivre ?
De l’évangile selon saint Matthieu (11, 28-30)
En ce temps-là Jésus prit la parole et dit :
« Venez à moi, vous
tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai.
Chargez-vous de mon joug et
mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez
soulagement pour vos âmes.
Oui, mon joug est aisé et
mon fardeau léger. »
Quand le malheur s’acharne,
quand la souffrance et le drame s’abattent sur nous, il y a notre cri.
Pourquoi ? Pourquoi
moi ? Pourquoi nous ? Pourquoi notre enfant ?
Pour certains d’entre nous,
la vie est plus dure que pour d’autres. C’est déjà un sentiment d’injustice.
Mais si l’on vient à perdre un enfant, et un second…
Quels mots ?
« Maudit soit le jour
de ma naissance ». Que j’en finisse. Les enfers sont plus accueillants que
la vie sur terre.
Votre cri, nous l’avons
entendu avec les mots de Job. La vie comme douleur, la vie comme souffrance. Votre
cri, avec celui de Job, est parole de Dieu.
Franchement, disiez-vous,
je n’y crois pas.
Et comment pourriez-vous
croire un Dieu qui fait mourir ? Comment pourrions-nous croire un Dieu qui
tient la vie des hommes dans sa main et les fait mourir quand ça lui chante.
Votre cri comme celui de
Job sauve Dieu de l’horreur. Dieu fait les hommes pour la vie.
Que répondre à votre
cri ?
Rien. Il nous faut nous
taire.
Il ne faut pas vous
répondre pour faire taire votre cri. Ce serait violence encore et blessure et
douleur que de répondre pour que cesse votre cri. Le cri des parents devant
leur enfant mort résonne, insupportable : « Une voix dans Rama s'est
fait entendre, pleur et longue plainte : c'est Rachel pleurant ses enfants
; et elle ne veut pas qu'on la console, car ils ne sont plus. » Massacre
des innocents.
Nous taire.
Nous taire et être là avec
vous. En silence, si vous le voulez bien, vous prendre dans nos bras, et
pleurer avec vous. Et crier avec vous. Partager votre douleur, votre
hébétement.
Si nous sommes dans cette
église, ce n’est pas seulement pour que votre enfant reçoive une sépulture, ne meure
pas comme un chien. C’est pour que nous puissions être avec vous. Nous taire et porter le fardeau de votre douleur, autant que faire se
peut, avec vous.
Depuis le livre de Job,
depuis la mort de Jésus et son « pourquoi » « Mon Dieu, mon
Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », les chrétiens sont athées du
Dieu qui fait mourir. Mais ils s’adressent à Dieu. Leur plainte se dresse
devant lui. Mon Dieu. Tu m’as abandonné. Votre cri est non seulement parole de
Dieu mais aussi prière.
« Il faut dire que ce
n’est pas Dieu ». C’est ce que m’avait dit un tout jeune marié au décès de
sa femme.
Le croirez-vous ? Me
croirez-vous ? Un Dieu qui fait mourir n’est pas Dieu. Il ne mérite pas
qu’on croie en lui, il ne faut pas croire en lui.
Jésus est passé en faisant
le bien. Et ceux qui sont écrasés par le douleur, la souffrance, l’injustice ou
le sentiment d’injustice, Jésus, sans condition, s’approche d’eux. Parce qu’on
n’est pas des chiens ! Parce que tout humain est digne. Parce que la mort,
de quiconque, d’une enfant, c’est une catastrophe. Parce que le fardeau est
trop lourd.
Pouvez-vous trouver auprès
de lui un peu de repos ?
Pouvez-vous croire que nos
bras sont ceux de Jésus pour vous ? Nos pleurs sont ceux de Jésus pour votre enfant ?
Survivre, disiez-vous. Oui,
nous sommes en mode survie. Puisse la mort de votre enfant ne pas engloutir la
vie. La vie pourra-t-elle être plus forte, pour vous, pour vos
amis, votre famille ? Malgré les drames, aidons-nous à vivre ! La vie
vaut mieux que tout, malgré la mort ; la vie est plus que la mort.
La résurrection commence
ici, dans votre vie, à reconstruire, à res-susciter de quoi vivre, comme un
souffle sur des braises quasi éteintes qui peinent à rougeoyer. Jésus prend
avec vous le fardeau. Allez à lui, vous qui peinez sous le poids de la vie ;
il veut pour vous, malgré les épreuves, même les plus impossibles, que vous
viviez. Mon Dieu veut la vie pour vous. Me croirez-vous ?
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