L’archevêque de Munich, dans une interview, il y a trois ans, se demandait comment des évêques, en France et en Allemagne, avaient engagé Dieu à assurer la victoire de leur camp lors de la guerre de 14-18. Ces baptisés étaient-ils chrétiens ?
Pendant des siècles, on était convaincu, mortalité infantile aidant, qu’il fallait être baptisé au plus tôt. Ainsi échappait-on à la faute originelle et à l’enfer. L’enjeu était de taille ! Le baptême était-il une condition de vie ou une condition nécessaire, et non suffisante, pour la vie après la mort ?
Il est anachronique de juger de la foi des pères à partir de nos évidences culturelles et théologiques qui, sans doute, paraîtront bien sottes et naïves ou erronées et coupables, à nos enfants. Mais on peut s’interroger sur le mythe d’une Europe chrétienne puis déchristianisée. Pour être déchristianisé, il faut l’avoir été. En outre, un continent, un pays, peut-il être chrétien ? Qui peut vivre de l’évangile, si ce n’est des hommes et des femmes ? Des institutions peuvent-elles être chrétiennes autrement qu’à transformer l’évangile en idéologie pourvoyeuse d’identité ou de grand-récit ?
La sécularisation toujours plus radicale a sans aucun doute des limites, y compris… sectaires, mais elle est aussi un bien, non seulement comme distinction du politique et du religieux, plus justement, du pouvoir et du religieux, mais plus encore pour l’évangile.
Nous nous lamentons sur le recul de l’Eglise dans la société. Mais nous interrogeons-nous sur la place de l’évangile dans nos vies ? L’évangile change-t-il nos vies ? Nous sommes baptisés, certes, peut-être même pratiquants (de l’eucharistie dominicale), mais sommes-nous chrétiens, pratiquants de l’évangile ?
Certains avancent que le recul de l’évangile dans les sociétés précipite leur décadence, leur déchéance morale. Les siècles passés furent-ils plus vertueux, moins corrompus ? L’état de droit est une tâche jamais définitivement acquise, dont les Grecs ou les Romains, non chrétiens, pourraient être parmi les inventeurs. Nos démocraties paraissent si fragiles ; aux Etats-Unis, un président en fin de mandat, baptisé, met en péril l’une des plus grandes démocraties dans le monde.
Nous disons et vivons que, spécialement dans les épreuves, la foi nous aide. Mais n’est-ce pas de l’auto-persuasion, illusion ? Les baptisés traversent-ils mieux l’adversité que les autres ? Et nous pourrions n’être que de ceux qui ont besoin d’une ritualité de type mythologique, là où d’autres privilégient d’autres ritualités, y compris anti-ritualistes.
L’imprégnation de nos vies par l’évangile, la conformation de nos vies à celle de Jésus, n’est pas une affaire de rite baptismal. Le baptême, comme plongeon dans la vie du Christ n’est pas un rite, mais une vie, ou plutôt une mort. « Ou bien, ignorez-vous que, baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que tous nous avons été baptisés ? » (Rm 6, 3)
Etre baptisés, est-ce une immersion dans la mort du Christ Jésus ? Nous laissons-nous conformer en disciples par l’évangile ? Assurément, parmi les baptisés, tous n’ont pas été, ne sont pas chrétiens. Qu’est-ce qu’être plongé dans la mort avec le Christ, plongé dans sa mort ?
J’ai bien conscience de mes marottes, de ce que, dimanche après dimanche, je me répète, ne parviens pas à me renouveler. Je vous prie de m’en excuser. Etre plongés dans sa mort, c’est comme lui, laisser Dieu passer devant. Et comment, si ce n’est en laissant les autres passer devant. « Quiconque ne porte pas sa croix et ne vient pas derrière moi ne peut être mon disciple. » (Lc 14, 27). Il ne s’agit pas de mortification, de dolorisme. Les autres d’abord est le seul remède au coupable et originel « moi d’abord ».
L’autre n’est pas meilleur que moi, telle n’est pas la question. (Lévinas parle d’être otage de l’autre.) Pour que le monde soit vivable, que l’on soit baptisé ou non, la leçon évangélique s’impose, l’autre devant. Alors nous sommes chrétiens, baptisés ou non. Je ne nous conforterai pas en parlant des conséquences, de la joie et de la vie reçues à donner plus qu’à recevoir, parce qu’il faut que je m’arrête. J’ai déjà dit l’enjeu, que le monde soit vivable, et bien. N’est-ce pas ce que tous souhaitent à échanger des vœux de « bonne année » ?
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