15/01/2021

Voici l'agneau de Dieu (2ème dimanche du temps)

L’évangile de Jean, après le prologue, s’ouvre sur le témoignage du Baptiste. D’abord, il est soumis à la question, véritable interrogatoire qui laisse deviner celui de la passion de Jésus et son martyre, à lui Jean. Réponse en forme de négation ; il n'est rien de connu, une voix seulement. Ensuite, le lendemain, alors que Jésus entre en scène, le témoignage devient message, profession de foi : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ».

L’expression doit être importante puisqu’elle est de nouveau employée, quelques versets plus loin, toujours un lendemain : « voici l’agneau de Dieu ». (Jn 1, 29 et 36). Nous ne savons encore rien de Jésus, l’évangile commence tout juste. Quelle drôle d’expression ! Vous imaginez la surprise des interlocuteurs de Jean. C’est la nôtre.

L’expression de Jean se retrouve comme telle à la messe, avec une prière assez curieuse, introduite au 7ème siècle dans la liturgie eucharistique à Rome. On voit la soudure ; elle s’adresse à Jésus, alors que la prière sur le pain et le vin qu’elle achève s’adresse au Père. La prière vient de Syrie, apportée par les chrétiens chassés par l’expansion de l’Islam. Pour eux, la fraction du pain n’est plus geste de partage, mais symbolise la mort de Christ. A Rome, cette interprétation ne sera guère admise avant le second millénaire et l'agnus est un chant de l'assemblée pendant que le prêtre communion. La formule de l’évangile est encore reprise dans l'invitation à confesser la foi, juste avant la communion.

Le mot agneau que Jean emploie ne se retrouve plus dans l’Evangile et seulement deux autres fois dans le Nouveau Testament. Il n’est pas davantage utilisé dans le Premier Testament grec. Un passage-clef cependant, le chant du serviteur d’Isaïe : Comme un agneau conduit à l’abattoir. Nous avons confirmation que dès le début de l’évangile, la passion se dessine.

En Isaïe, le serviteur est rémission pour tous. « Ce sont nos souffrances qu'il portait et nos douleurs dont il était chargé. […] Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes en s'accablant lui-même de leurs fautes. » La dimension sacrificielle n’est pas décisive. Le texte, en tout cas, n’est pas cultuel. Mais ce n’est pas pour rien si, dans la chronologie de Jean, Jésus meurt le jour du repas de la Pâques ‑ il est l’agneau de la pâque ‑, alors que dans les autres textes, il meurt après avoir partagé le repas pascal.

Le sacrifice, ce n’est pas ce que nous entendons en un sens second, le fait de se sacrifier pour ses enfants, le fait de tout sacrifier à une passion. Le sacrifice est un dispositif cultuel qui permet à l’humanité de ménager la divinité, de se la concilier. Le mot latin entend que le sacrifice est ce qui fait du sacré. Et le sacerdoce préside à la fabrication du sacré.

Mais comment imaginer que Dieu aurait besoin de la mort de Jésus pour nous sauver ? Comment Dieu pourrait-il réclamer un sacrifice humain ? Notre petite prière de l’agneau de Dieu est lourde de questions plus que délicates.

Peut-on, doit-on parler de la mort de Jésus comme d’un sacrifice ? J’ai bien plutôt l’impression que l'expression du texte johannique est une subversion des sacrifices. Dieu ne veut pas de nos sacrifices. Nous l’avons entendu dans le psaume : « tu ne voulais ni offrande ni sacrifice ». Et nous pourrions multiplier les citations du Premier Testament.

La première lecture ne raconte pas la vocation de Samuel, mais le remplacement du sacerdoce du prêtre Eli et de ses fils corrompus, pouvoir prétendu sur la divinité, le remplacement du culte par la prophétie, la parole. Avec Samuel, c’est la fin des sacrifices pour l’écoute de la parole. Il ne faudrait pas que nos eucharisties fassent penser que le sacrifice est plus important que la parole !

L’évangéliste refuse que la mort de Jésus fasse du Père un dieu sanguinaire qui réclame le sacrifice humain du fils. S’il a envoyé Jésus dans le monde, c’est par amour pour ce monde qu’il a tant aimé. Jésus est son envoyé comme le bien aimé. Par deux fois dans Jean, il est dit que « le père aime le fils ».

Ce n’est pas l’homme qui offre à Dieu (une victime en sacrifice) pour se concilier Dieu. C’est Dieu qui donne (le fils au monde) qui crée et se concilie le monde, c’est Dieu qui se donne au monde par amour de ce monde. Peut-on, doit-on parler de sacrifice, si c’est Dieu qui s’offre, si c’est Dieu qui passe derrière ? « Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Et qui n’aime-t-il pas ? L’homme n’offre rien et Dieu donne tout. Dieu se donne et l’homme est invité à le recevoir.

L’agneau n’est plus la figure du sacrifice sanglant, mais celle de la douce faiblesse. Pour que Dieu s’offre sans écraser celui à qui il s’offre, il ne peut que se faire sans défense et muet comme l’agneau de l’abattoir, comme Jésus au prétoire.

1 commentaire:

  1. "A vin nouveau, des outres neuves", dit le texte de l'évangile de la liturgie d'aujourd'hui.
    Pas de rapport immédiat avec votre texte pour dimanche dernier.
    Mais ce texte d'aujourd'hui me fait m'interroger sur l'Eglise...

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