22/04/2022

Croire ou savoir, il faut choisir (2ème dimanche de Pâques)

Il y a bien des manières d’être incrédule, de ne pas croire. Ainsi, y a-t-il de nombreux croyants qui ne croient pas ! Ce qu’ils ratifient est un système du monde, quelque chose qui donne du sens, et la solidité de ce système vaut preuve de la vérité de ce qu’ils n’ont plus besoin de confesser, puisque c’est prouvé. Comme pour Thomas, les preuves remplacent la foi, un système, qui permet l’illusion de vivre dans un univers ferme, consistant, avec un but.

Certes, il faut que ce que nous confessions résiste à la bêtise, tienne la route rationnellement. Comment pourrait-on mettre sa foi dans n’importe quelle stupidité ? Il n’est cependant pas certain que notre foi soit sens, et encore moins qu’elle puisse l’être. Nous croyions malgré ; malgré le mal, malgré le non-sens.

On attribue à Tertullien une expression qu’il n’a jamais littéralement employée même si elle rend justement compte de sa pensée : credo quia absurdum, je crois parce que c’est absurde. Tertullien n’était pas un illuminé : Plus les choses seraient absurdes, ou contraire à la science, plus il y croirait. Non, il sait que le chrétien est disciple du Verbe, du logos, qui est autant parole que mesure, raison que principe d’agencement. Mais il sait aussi que l’on n’est pas amoureux au terme d’une équation ou d’un raisonnement, le plus brillant soit-il.

Il sait que l’on n’est pas disciple du Christ parce que c’est rudement intelligent, quand bien même cela n’est pas rien. On est disciple du Christ parce que l’on accepte de se laisser saisir par son amour, comme en amitié, comme en conjugalité. On aime l’autre pour l’autre, on aime Dieu parce qu’il est Dieu, non parce que son enseignement serait formidable.

C’est souvent la belle cohérence de la doctrine chrétienne qui a attaché à la foi, et attache encore certains. Et pourquoi pas, mais est-ce là ce qui fait le disciple ? Thomas, repenti, ne peut que déclarer son attachement à Jésus. Les raisons pour ou contre se sont dissipées. Il est en face de son Seigneur et son Dieu, c’est tout (au deux sens de l’expression).

Lorsque le système du monde n’a plus besoin de Dieu pour tenir, il ne faut pas s’étonner de ce que les disciples ne soient plus majoritaires. Il faut même s’en réjouir. Désormais, ils ne sont pas disciples d’un ordre social, mais, folie de la croix, d’une personne morte il y a deux-mille ans, amoureux de Dieu, comme Madeleine. C’est ce qui permettait à Dostoïevski d’écrire que si on lui prouvait l’erreur du Christ, il le préfèrerait cependant à la vérité. Démontrer le Christ c’est le tuer ; réclamer des preuves d’amour n’est pas aimer.

Pour croire, pour être disciple, il faut ne plus rien savoir. Credo qui absurdum. Ne plus rien savoir de ce que l’on doit penser du catéchisme ou du dogme, de l’incarnation, de la résurrection. Nous n’avons plus aucune certitude, parce que les certitudes prennent la place de la foi, et que là où il y a preuve, il n’y a plus d'espace pour la foi, la confiance.

Je ne suis pas certain que les dix autres soient plus croyants que Thomas. Comme lui, ils croient parce qu’ils ont vu. Ils ne croient donc pas. Voir ou croire, il faut choisir ! Croire ou savoir, il faut choisir. Tous sont invités à lâcher les certitudes, à se faire pauvre de tout, pour héberger l’inconnu qui vient, dans la gratuité de celui qui s’offre et la gratuité réciproque, conséquence, de celui qui accueille.

Ce faisant, nous effaçons la frontière, comme un mur, qui serait censée distinguer les croyants des autres. Ou plutôt, nous la déplaçons. Elle ne se cale pas sur un contenu ratifié ou non, mais sur un style de vie, la dépossession y compris de ce que nous avons de plus cher, pour faire place à l’autre. L’autre, bien sûr, c’est le Dieu différent que l’on ne peut accueillir si l’on sait trop bien qui il est. L’autre, c’est tout autre, parce que c’est à apprendre la gratuité de l’hospitalité que l’on a quelque chance de rencontrer Dieu. C’est ainsi qu’Abraham accueillit son Dieu. On raconte en effet que pour l’accueillir, il lui avait fallu le quitter.

Puis-je, en ce dimanche électoral, finir en citant l’épître aux Hébreux ? « Que demeure l’amour fraternel ! N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges. Souvenez-vous de ceux qui sont en prison, comme si vous étiez prisonniers avec eux. Souvenez-vous de ceux qui sont maltraités, car vous aussi, vous avez un corps. » (He 13, 1-3)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire