13/05/2022

Amour, puissance et service (5ème dimanche de Pâques)

Le chapitre 13 de Jean ouvre la deuxième partie de l’évangile, construite comme un long discours de Jésus au cours du repas qui précède son arrestation. Un prologue, un peu solennel, est suivi par le lavement des pieds, puis par le bouleversement de Jésus produit par la désignation de Judas comme traître. Enfin, les quelques lignes que nous venons d’entendre (Jn 13, 31-35) énoncent pour la première fois le commandement de l’amour. La liturgie nous empêche d’entendre les trois derniers versets, l’annonce de la trahison de Pierre.

Est-il possible de comprendre quelque chose à quelques versets coupés de leur contexte ? On dirait que l’on transforme l’évangile en une série de vérités ou de préceptes qui feraient sens indépendamment de la situation où ils prennent place. Pourquoi Jean prendrait-il la peine de raconter le dernier repas, de mettre en Cène l’enseignement de Jésus, si c’est pour n’entendre que des numéros, des paragraphes de catéchisme !

Oui, c’est important, ce commandement de l’amour. Tellement, que c’est ce que beaucoup retiennent de l’évangile et de Jésus : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.

Mais tout n’est pas dit par ces quelques mots pourtant si décisifs. Et ce d’autant moins que le commandement est répété deux fois au chapitre 15. Il faut percevoir l’originalité des occurrences, comme autant de diffractions de sens, en tenant compte du contexte de chacune.

Le chapitre 13, c’est un repas où l’on ne mange pas, parce que l’agneau pascal n’est pas une nourriture à poser sur la table. Ce chapitre, c’est Jésus serviteur et la résistance des disciples. Si la compréhension mondaine du maître et Seigneur l’emporte ‑ ce que montre le comportement de Pierre refusant que plus grand que lui se fasse son esclave ‑ le commandement nouveau n’a plus rien d’une histoire d’amour ; il relève du viol. On ne peut imposer d’aimer qui que ce soit, surtout si celui qui est à aimer est un maître et Seigneur, violent, puissant, tyran. Seul l’amoureux, dans sa faiblesse, désarmé, serviteur, peut dire : aime-moi, parce que son commandement est une prière.

Ce qui rend le commandement de l’amour possible, c’est la condition de serviteur. On ne joue pas avec l’amour, on ne triche pas avec l’amour, sans quoi, on le bafoue et le pervertit. Le commandement de l’amour ne fait sens qu’avec le service et le dénuement. C’est précisément pour cela que le contexte du commandement, avec le service, est aussi celui de la trahison. Qui veut se faire esclave ? Etre comme Jésus, maître et Seigneur, assis à sa droite ou à sa gauche, oui, sans doute, mais être esclave, il ne faut pas pousser.

L’amour serviteur ne concerne pas deux personnes, disons la conjugalité ou l’amitié, mais la société, ou du moins l’Eglise. « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » Le commandement de l’amour comme tout l’évangile a la dimension, non de l’intime et du privé, mais politique et public. C’est ainsi qu’il est missionnaire, anticipation du paradis : « À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »

Dans le renversement du maître et Seigneur en esclave se joue une seconde inversion, insurrection, résurrection, glorification dit notre texte. La glorification du Fils n’est pas la louange, le culte, les bonnes paroles en faveur de Jésus. Sa glorification est précisément son statut de serviteur. A quel moment Jésus ressuscite ? Dans l’évangile de Jean, c’est au moment du service, et sa résurrection, sa glorification est définitive dans le paroxysme du service, la mort ignominieuse de la croix.

Nulle part, il n’est dit que Jésus se sacrifie. Il donne sa vie pour ceux qu’il aime, plus grand amour. Le don par Jésus de sa vie est une constante de son existence. Il est l’homme donné jusqu’au bout, et c’est dans cet extrême de l’amour, sens de sa vie, qu’il est relevé, glorifié. Dans cet ultime don est récapitulé tout ce qu’il a vécu. A quelques heures de sa mort, c’est déjà la glorification : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt. »

Parce que le service comme l’amour est don, la glorification du Fils est celle du Père autant que notre relèvement, notre résurrection. Irénée de Lyon le dit expressément. « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant. »

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