21/05/2022

Nous sommes là, avec nos morts...

Nous sommes là avec nos défunts, stupides, abrutis par l’irréversible de la séparation, de la douleur. C’est fini, nous ne les reverrons plus. C’est fini, nous n’entendrons plus le son de leur voix. Il n’y aura plus de gestes d’affections, ultimes possibilités de communiquer avec ceux que la vieillesse, la maladie ou le coma nous avaient parfois déjà partiellement retirés.

Et les chrétiens sont sommés de dire une espérance. S’ils n’en sont pas capables, à quoi bon ce cinéma de la religion, ce qu’ils prétendent la foi ? Il faudrait dire que l’on se reverra, que l’on se retrouvera. Il faudrait dire que partis, les défunts sont seulement dans la pièce d’à côté, bien vivants, avec nous.

Et c’est vrai, ils continuent de vivre… en nous. Nous ne cessons de penser à eux. Plus on vieillit, plus on vit avec les morts. Tant de ceux que nous avons connus et aimés ne sont plus. Il y a du vrai dans l’animisme. Les ancêtres vivent ailleurs et autrement. Ils nous ont construits ; nous sommes un peu d’eux. Les tenir vivants, c’est ne pas mourir soi-même. Le culte des morts consiste à nous en séparer, parce que l’on ne vit pas avec des corps en décomposition, et cependant, puisqu’ils nous habitent, à prendre soin d’eux, au point de partager avec eux un peu de la boisson qui rassemble amis ou familles, de les réchauffer d’un nouveau manteau, d’ajuster une couverture pour qu’ils n’aient pas froid.

Nous vivons avec nos morts, leur parlant, les imaginant nous parler, revivant les sentiments que nous avons autrefois partagés avec eux à de nouvelles occasions auxquelles ils ne participent pas et dont leur absence embrume nos yeux.

Non, ce n’est pas le corps seulement qui est mort et l’âme qui serait libérée, comme le pensaient non sans pertinence les anciens Grecs. Car un homme, une femme, sans son corps, ce n’est pas un homme, une femme, mais un monstre, une grotesque fantasmagorie. Si les hommes et les femmes sont vivants, en ce monde et autrement, c’est par ce que leur permet d’être eux-mêmes, ce corps, les sentiments, douleurs sans doute, jouissance heureusement.

Il y a avec Jésus et la culture juive un réalisme historique, matérialiste, démythologisant. Tu es poussière et retournes à la poussières. Pascal et son pari invitaient à faire comme si la vie après la mort, la résurrection était vraie. On n’y perdrait rien, parce que vivre en disciples, c’est faire de ce monde un paradis, je veux dire, un lieu où Dieu s’exclame, voyant tout ce qu’il a fait : c’est très bon. Bénédiction.

Je me moque de l’après la mort. Sorti plus que les Modernes du monde enchanté des religions, qui croit encore aujourd’hui à la résurrection ? Comment la vie après la mort ne pourrait-elle pas être autre chose qu’une consolation, un arrière-monde au goût de revanche ou de récompense, rétribution. Je renverse le pari. C’est ici et maintenant qu’il faut que le cœur de pierre soit ôté par un Esprit de vie de notre chair et qu’un cœur de chair y bâte aux rythmes d’une humanité qui peine sur le chemin du bonheur.

La vie avec le Ressuscité, si elle a sens, c’est maintenant, pas demain quand nous ne serons plus là. C’est maintenant la résurrection, ou peu me chaut. La résurrection, ce n’est pas un lieu ou un moment ‑ on s’en serait douté si cela concerne l’éternité ‑ c’est une personne. « Je suis la résurrection et la vie, dit Jésus à Marthe. Crois-tu cela ? »

Et nous n’aurions rien perdu à parier sur Jésus pour faire de ce monde son paradis, et nous n’aurions perdu à parier sur Jésus à crier et crever de l’enfer que nous savons nous faire vivre, que ce Jésus, après la mort, nous accueille ou non en sa vie. Déjà, nous pouvons vivre de sa vie.

Jésus ne soulage pas la douleur de la perte de nos morts. Inconsolé, il pleure son ami Lazare. Il nous convie à donner notre vie. « Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » ‑ en donnant cette vie, tous sont susceptibles d’être de ceux qu’on aime. Célébrer des funérailles pour les chrétiens, c’est comme depuis le baptême, s’engager à vivre dans ce monde comme Jésus, pour les autres. Alors, nous avons un peu idée de ce que serait la vie après la mort.

 

 

 

Lecture du livre du prophète Ézéchiel (chap 36)
La parole du Seigneur me fut adressée :
« Ainsi parle le Seigneur Dieu :
    Je vous prendrai du milieu des nations,
je vous rassemblerai de tous les pays,
je vous conduirai dans votre terre.
    Je répandrai sur vous une eau pure,
et vous serez purifiés ;
de toutes vos souillures, de toutes vos idoles,
je vous purifierai.
    Je vous donnerai un cœur nouveau,
je mettrai en vous un esprit nouveau.
J’ôterai de votre chair le cœur de pierre,
je vous donnerai un cœur de chair.
    Je mettrai en vous mon esprit,
je ferai que vous marchiez selon mes lois,
que vous gardiez mes préceptes
et leur soyez fidèles.
    Vous habiterez le pays que j’ai donné à vos pères :
vous, vous serez mon peuple,
et moi, je serai votre Dieu. »

    


De l’évangile selon saint Jean (chapitre 11)
Lorsque Marthe apprit l’arrivée de Jésus, elle partit à sa rencontre, tandis que Marie restait assise à la maison.
Marthe dit à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je le sais, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. »
Jésus lui dit : « Ton frère ressuscitera. »
Marthe reprit : « Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. »
Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »
Elle répondit : « Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. »

Ayant dit cela, elle partit appeler sa sœur Marie, et lui dit tout bas : « Le Maître est là, il t’appelle. » Marie, dès qu’elle l’entendit, se leva rapidement et alla rejoindre Jésus. Il n’était pas encore entré dans le village, mais il se trouvait toujours à l’endroit où Marthe l’avait rencontré. Les Juifs qui étaient à la maison avec Marie et la réconfortaient, la voyant se lever et sortir si vite, la suivirent ; ils pensaient qu’elle allait au tombeau pour y pleurer.
Marie arriva à l’endroit où se trouvait Jésus. Dès qu’elle le vit, elle se jeta à ses pieds et lui dit : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. »

Quand il vit qu’elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé, et il demanda : « Où l’avez-vous déposé ? » Ils lui répondirent : « Seigneur, viens, et vois. » Alors Jésus se mit à pleurer.

Les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! » Mais certains d’entre eux dirent : « Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? »

 

4 commentaires:

  1. Je reçois un message de Christophe C.

    Patrick, je respecte ton point de vue quand tu dis que tu te moques de l'après-mort. C'est tout à fait ton droit. Pour ce qui me concerne, sur ce sujet , je ne partage pas du tout ton discours c'est-à-dire ces limites philosophiques que tu poses a priori, ta façon de trancher cette question. Je reconnais que je n'ai pas vraiment d'arguments décisifs à t'apporter. Je te retourne ta critique : c'est le doute qui me fait y croire (ou vouloir y croire). La question de l'après mort est peut-être une question pré-moderne, indécrottablement métaphysique et donc dépassée dans notre culture d'aujourd'hui (j'observe toutefois que tout le monde n'est pas nietzschéen en pratique, loin de à), je continue à me la poser. Jusqu'à ce qu'on m'apporte la preuve du contraire, j'estime qu'il n'y a de réponse définitive dans un sens ou un autre et que je suis fondé à croire qu'il y a quelque chose après la mort et à espérer que, oui, nous nous retrouverons après la mort dans une modalité dont j'ignore tout. "Nous serons pour toujours avec le Seigneur." (1 Th 4, 17) Ça n'a rien de dégueulasse de réconforter les hommes et le femmes avec cette parole-là, j'en suis intimement convaincu.

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    1. Le pari que je fais, retourné par rapport à celui de Pascal, n'est peut-être pas si éloigné de ta position. Faisons de ce monde, avec ce qui est en notre pouvoir, et pourquoi pas avec l'Esprit, un "paradis". Et si un monde après nous accueille, alors, nous aurons tout gagné.
      Ce n'est pas, que le ciel existe ou pas, nous n'avons rien à perdre ici à faire comme si il existait, histoire de ne pas le rater. Cela est trop une théologie de la rétribution, ou une manière de faire sens sur la terre que par le surnaturel. C'est : que le ciel existe ou pas, nous n'avons pas d'autres choix que d'en faire un "paradis". Et si paradis il y a, tant mieux.

      Quant à consoler, oui, mais pas avec des fadaises. Là encore, je pense que nous sommes pas loin d'être sur la même ligne.

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  3. Grâce à un autre lecteur, je découvre ces propos de Maurice Zundel :

    «Le vrai problème n’est pas de savoir si nous vivrons après la mort, mais si nous serons vivants avant la mort».
    M. Zundel, A l’écoute du silence, Téqui, Paris, 1979, p. 53

    « Une autre vie ça ne m’intéresse pas. Je crois à la vie d’un Autre en moi, à la vie d’un Autre. C’est là la vraie question. »
    M. Zundel, Ton visage, ma lumière, DDB, Paris 2000, p. 146.

    « L’au-delà est au-dedans. Il n’est pas «après» (…), il est ici, maintenant, dans un présent qui demeure et qui est appelé, normalement, à demeurer à jamais. »
    M. Zundel, Le problème que nous sommes, Fayard, Paris 2000, p. 111.

    Cela dit bien ce que j'essayais de formuler dans mon homélie.

    Cf. https://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2005-2-page-43.htm

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