26/09/2023

« Aux jours si joyeux du temps pascal… » Ste Thérèse de l'Enfant Jésus (Dimanche 01 10 23)

Au carmel, solennité qui l'emporte sur le dimanche

La « petite » Thérèse. Est-ce si sûr, vue la dimension de son désir, la taille de son ambition, être tout. La « petite » Thérèse. Comment dans ce dix-neuvième siècle prude et corseté, dans la mièvrerie et la piété qui dispensent de croire, en toute tranquillité d’esprit et bonne conscience, ne pouvait-elle pas ne pas être névrosée au plus haut degré ? Si tous sont chrétiens, c’est que personne ne l’est, écrit Kierkegaard une cinquantaine d’années plus tôt. Le choix de suivre Jésus ne vient pas d’un état civil ni d’un extrait de baptême.

Un père lavette est son roi. Le clergé sait et gouverne, les femmes sont écartées de l’autel et du savoir, à moins de la fortune ou d’une force de caractère incroyable ‑ c’est le cas de Thérèse. Comme pour tant de femmes pendant des siècles, la claustration est libération. Le catholicisme se perçoit en état de siège. Offenbach, Labiche et autres dénoncent et rient de l’hypocrisie. Grégoire XVI et Pie IX, enfermés et enfermant, émasculent tout ce qui n’est pas la religion des pères, celle pratiquée en fait par les grands-parents, souvent païenne, attachement affectif et identitaire, guerre contre le « moderne ». Et pourtant, le monde est à aimer : Dieu, lui, l’a aimé, tant aimé.

Thérèse aime le monde ; elle aime « son » condamné à mort, ses sœurs et la terre entière, elle veut être missionnaire ; elle veut être prêtre aussi. Entre l’athéisme des uns et la trahison de l’Eglise, comment croire ? Il n’y a que des opposants et des résistants ; ils pensent pareil, ont les mêmes champs de bataille. Un jour, ce n’est plus possible ; un jour, la maladie devient symptôme et ouvre une nouvelle façon de croire. A quel prix ! Semaine sainte 1896, elle a vingt-trois ans ; il lui reste un an et demi à vivre.

« Aux jours si joyeux du temps pascal, Jésus m’a fait sentir qu’il y a des âmes qui n’ont pas la foi, qui par l’abus des grâces perdent ce précieux trésor, source des seules joies pures et véritables. Il permit que mon âme fût envahie par les plus épaisses ténèbres et que la pensée du Ciel si douce pour moi ne soit plus qu’un sujet de combat et de tourment… Cette épreuve ne devait pas durer quelques jours, quelques semaines, elle ne devait s’éteindre qu’à l’heure fixée par le Bon Dieu et… cette heure n’est pas encore venue. »

Beaucoup en sont là. Comme Thérèse, qu’ils le sachent ou non, ils ne peuvent pas renoncer au « nom qui est au-dessus de tout nom », « le seul par qui nous puissions être sauvés », par qui la vie est rendue à sa promesse, vie éternelle, ici et maintenant, dans le déploiement de ses miroitements infinis. Ils ne peuvent renoncer à Jésus.

Ils veulent croire, contre toute évidence et justification, l’amour ; ils veulent croire l’amour malgré les prises de corps et les viols ; ils veulent croire que l’amour guérit, fait (re)naître, sauve. « Je veux, je veux que ce soit vrai, je veux désespérément la vérité de ce que je veux croire : faiblesse de celui qui ne parvient pas à se résigner au froid constat ; et pourtant, dans cette faiblesse même, l’émergence infime, tremblante de ce je ne sais quoi qui est plus fort que la mort : l’amour d’un amour où commence une humanité enfin délivrée. »

Thérèse n’est pas dans une crise religieuse. C’est sa vie tout entière qui vacille. La possibilité humaine d’exister, c’est exactement cela : l’amour donné par Dieu, Dieu lui-même. La perte de cet amour serait la fin de tout. Quand Jean dit « nous avons connu l’amour », il ne dit pas qu’il sait ce qu’est l’amour. « C’est comme d’un pianiste qui adore la musique qu’il joue et qui pourtant doit s’astreindre, tous les matins, à de rudes exercices jusqu’à en grimacer de douleur. / Dieu est cet Inconnu, par-dessous le gouffre de l’absence, qui s’éveille en nos cœurs et nos mains, lorsque nous nous faisons proches du prochain. »

« Ils et elles sont nombreux à se tenir là, dans le grand deuil de Jésus-Christ, dans un vendredi saint interminable. Et, par-delà celles et ceux qui le ressentent, jusqu’au sentiment de la déréliction, il y a la masse de ceux qui ne sentent rien, ou plus rien, et qui sont pourtant dans l’ombre de cette grande mort. »

« Il n’y a plus de jugement. Mais ce lieu-là est celui de la critique extrême, où tout ce qui fait figure en ce monde, savoir et pouvoir, religion et sagesse, est éprouvé à cœur par le feu de la mort. Ce jugement-là est sans accommodement ; il tranche, il sépare. Il met à mal le mélange où nous sommes, la continuelle hypocrisie, le bricolage de la vie fausse. Mais il ne s’entend avec justesse que dans ce lieu extrême. Transposé ailleurs, il prend fatalement l’allure d’une condamnation des autres ‑ ou de nous-mêmes, qui ne mène logiquement qu’à la destruction de l’amour. »

Peut-on longtemps tenir ainsi ? Thérèse meurt si vite. Marie Noël pourrait indiquer que c’est possible. C’était, il est vrai, une autre époque...

 

Les citations sont extraites pour la première des Manuscrits autobiographiques, pour les suivantes de M. Bellet, Thérèse et l'illusion, DDB, Paris 1998.

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