15/09/2023

Ceci n'est pas une histoire de pardon Mt 18, 21-35 (24ème dimanche du temps)

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« C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur. » Parole d’évangile ! La loi du talion est trop étroite aux yeux de notre humanité ; comment concernerait-elle Dieu en son inépuisable justice ?

Non, ce n’est pas vrai, Dieu ne nous traite pas comme nous traitons nos frères, surtout quand c’est pour les écraser. Il ne faut pas toujours lire au premier degré, surtout s’il s’agit d’une parabole. D’autant que, dans cette parabole, tout est de travers : un règlement de comptes, la disproportion des dettes, la délation, la colère. Le maître fait "justice" à cause de la délation. Last but nos least - c’est à vomir - le comportement final du maître. Il agit de la même manière  que le serviteur et fait pire en revenant sur sa parole. Il n’accepte d’être favorable que pour ceux qui sont fréquentables ou supposés tels, qu’à condition que…

Dieu pardonne tout, à condition que... On entend cela si fréquemment. Sans quoi, ce serait trop facile. Et si le joug du Seigneur était léger… Le conditionnel divin, le conditionnel que la religion la plus détestable et les autorités cléricales imposent à Dieu, est une déclaration d’athéisme et y conduit. Qui se comporte pire que l’exécrable serviteur ne peut être dieu. Le serait-il qu’il faudrait, au nom de l’évangile, ne pas le croire, être athée. Il n’est pas le dieu du pardon mais celui de l’hypocrisie bourgeoise, inique mais politiquement correcte, violente, mais socialement acceptable. Il y a quelques prélats docteurs en ce dieu-là qui déclarent François ignare en théologie voire hérétique !

Ce dont parle Jésus, ce dont il témoigne par toute sa vie, ce dont sa passion est pratique, c’est que le pardon n’est pas une affaire de justice, mais de vie, de justification. S’il faut être im-peccable pour être pardonné ce n’est pas une histoire de pardon ! 

Je sais bien, avec la pédocriminalité, on a appris, si besoin était, qu’il n’y avait pas de pardon sans justice. Mais ce n’est pas la question, si ce n’est celle de ces mêmes prélats qui ont couvert les criminels. Pourquoi faudrait-il leur pardonner ? Qui sont-ils pour commander le pardon ? Au nom de quoi ? Que les criminels soient empêchés de nuire, c’est la moindre des choses. Qu’ils soient autant que possible accompagnés, guidés vers la fin de leur pulsion de destruction, c’est ce qui ne se fait quasi jamais. Mais est-on pardonnable que parce que l’on s’est repenti et que l’on a purgé dix ans, vingt ans ? A-t-on payé sa dette ? On ne paye jamais semblable dette. Quant au maître qui livre le serviteur au bourreau, il demeure à jamais le commanditaire du bourreau, et la société qui enferme à vie.

Jésus considère le coupable en ami. « Mon ami » dit-il à Judas. « Il est l’ami des publicains et des pécheurs. » Il fait confiance à Pierre qui l’a trahi. Je ne sais s’il pardonne ; ce n’est pas dit. Peut-on pardonner à qui détruit, tue, viole ? Un autre que la victime peut-il pardonner ? Simon Wiesenthal, dans ses Fleurs du soleil, a de quoi penser que non.

La question de Pierre est un piège, diabolique. Ne supportant pas qu’il faudrait ne pas rompre « avec le frère qui a péché contre » lui, il pose la question : le pardon, jusqu’où ? Il tend un piège sous forme de question, histoire de croire qu’il veut être enseigné. Ainsi les pharisiens. A question stupide, réponse stupide, à question pernicieuse, réponse retorse pour détordre la logique faussée. La parabole oblige à sortir de la conditionnalité de Dieu. Si Dieu nous pardonne comme nous pardonnons, nous sommes fichus.

Notre parabole ne parle pas de pardon ; elle n’est pas un discours, un enseignement, mais un attentat qui fait sauter la mesquinerie fallacieusement préoccupée de pardon. Elle est un exercice spirituel pour nous faire abandonner les calculs. Le pardon n’est pas décompte d’apothicaire. Il s’agit d’autre chose, de « deux ou trois réunis vers son nom ». L’humanité assemblée, littéralement ecclésiale, oblige à changer de regard, parce qu’il est au milieu.

« Tournés vers son nom », considérer le frère, le pécheur, comme un semblable, même quand le crime est horrible, génocide. Non pour sauver l’autre, cela n’est pas de notre ressort et n’est peut-être pas possible, mais parce que ce sont des humains qui ont fait cela et que nous luttons pour que cela ne recommence pas, ou le moins possible. Considérer l’humanité de l’inhumanité ; ils sont hommes, et femmes. Devant eux, nous voulons le demeurer. Aller chercher les frères qui ont péché contre nous ‑ Pierre voudrait l’empêcher. Et nous ? ‑ parce que nous voulons espérer que ceux contre qui nous avons péché viendront nous chercher, parce que « deux ou trois tournés vers son nom », c’est l’humanité nouvelle, réconciliée.

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