08/09/2023

Ekkèsia, comment ? Mt 18, 15-20 (23ème dimanche du temps)

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 Danse macabre, La Chaise-Dieu (avant 1470)

 

Comment tenir ensemble les deux parties de notre évangile (Mt 18, 15-20) ? Soit on commente le dispositif de correction fraternelle, soit l’on est attentif à l’exaucement de la prière et à la présence du Seigneur, dès que deux disciples se réunissent. Comment les conseils pour que personne ne soit séparé de la communauté ne sont-ils pas en contradiction avec le fait qu’il suffirait d’être trois, voire seulement deux, pour qu’au milieu, Jésus soit là ? Faut-il à l’ekklèsia autant que possible l’unanimité et ne perdre personne ou peut-elle se réduire à sa plus simple expression, deux personnes ?

La question est redoublée par le double contexte du chapitre : le souci de ne perdre ni d’écarter aucun des petits ‑ c’est là que chez Matthieu prend place la parabole de la brebis perdue ‑ et l’inéluctabilité du conflit : « Malheur au monde à cause des scandales ! Il est fatal, certes, qu’il arrive des scandales. »

Dans notre situation de grandes fracturations sociales et aussi ecclésiales, la difficulté de tenir ensemble ces affirmations contraires et même contradictoires intrigue grandement. L’ekklèsia, comme le monde, ne peut échapper à la rupture et l’opposition. Faut pas rêver ! Leçon de réalisme : il n’y eut jamais d’Eglise édénique. C’est se fourvoyer que d’idéaliser les premières communautés chrétiennes. Cela n’empêche ni la prière ni la présence du Seigneur ; il en faut seulement deux ! Et cependant, on ne pourra jamais trouver ordinaires ou banals le scandale et la division.

Je note une autre contradiction. Il faudrait traiter les sectateurs en publicain et païen. Or, dans le reste de l’évangile, y compris de Matthieu, Jésus est l’ami des publicains, ils mangent avec eux ; avec les prostituées et les pécheurs aussi. Cela lui est assez reproché. Il fait voler en éclat les exclusions, les déterminations ; les païens eux aussi sont sauvés, à preuve la multiplication des pains chez eux comme pour les Judéens. Publicain et païen ne peuvent être le type de celui avec qui l’on ne veut ni ne doit rien avoir à faire.

A bien lire le texte, le frère que l’on exclut ne peut être l’un de ces petits mais bien celui par qui le scandale arrive. Le problème, c’est qu’il ne suffit pas d’être petit pour ne pas causer scandale ni d’être l’assemblée pour ne pas causer de scandale. Que se passe-t-il quand ce qu’il faudrait exclure, c’est l’ekklésia même qui pactise avec l’anti-évangile ? Que se passe-t-il quand l’ekklèsia se moque du petit et est cause de scandale, quand la vérité migre avec les frères que l’ekklèsia a rejetés et qui, deux ou trois, sont réunis « vers son nom » ?

Il est une contradiction, plus grande encore, entre le texte et ce que nous vivons. La prière est-elle exaucée, même lorsque l’on s’y met à deux ? La présence nous rejoint-elle au milieu, dès lors que l’on serait deux ou trois ? J’ai bien peur qu’il faille répondre par la négative. Le chapitre suivant l’affirme sans ambages : « pour les hommes, c’est impossible »

Je suis bien embêté de ne savoir que poser des questions. J’entends au moins dans ces multiples contradictions le signe de contradiction qu’est l’évangile. Il empêche de penser en rond. Il n’est pas un système de penser, un référentiel stable, qu’il faudrait adopter mais une énergie, une dynamique, comme une marche qui cause le déséquilibre pour une mise en mouvement. L’évangile ne peut accepter, et d’abord chez les disciples, la division qui pourtant est inévitable. Il ne peut accepter le scandale, et d’abord chez les disciples, qui pourtant est fatal. Il ne peut qu’exiger, et d’abord chez les disciples, l’accueil des plus petits, qui pourtant, si rarement se pratique. Il ne peut que mander le pardon indéfiniment, et d’abord chez les disciples, qui pourtant, si peu se rencontre.

Heureusement, sa présence au milieu n’est pas liée à ce que nous faisons de bien ou de mal, mais à ce qu’il est, lui. C’est la seule manière de briser le cercle de l’impossible aux hommes. Ici je me tiens, dit le Seigneur, au milieu de vous, quoi qu’il arrive, car je ne peux me renier moi-même, car je vous aime et ne peut faire autrement. Aimer les pécheurs et les blessés me fait côtoyer le mal, et voilà bien une contradiction dont je ne sais me sortir qu’à persévérer à vous aimer. Au milieu de vous, défiguré certes, je suis le Saint.

Quant à nous, dans et de cette ekklèsia, dans le contexte de l’exclusion partout et de la possibilité pour seulement deux d’être assemblés « vers le nom de Jésus », dans le contexte du souci des petits, de la brebis perdue et du pardon indéfiniment, nous portons la blessure de l’impossible unanimité. Pour les hommes, c’est impossible. L’assemblée ekklèsia doit en faire le deuil. Catholique, elle ne sera jamais tout, « seulement selon le tout ». L’universalité (du salut), c’est le boulot de Dieu, son être.



PS après une conversation avec un confrère. Deux ou trois, c’est ce qu’il faut pour qu’il soit là. C’est le nombre pour aller chercher le frère qui a péché contre moi. Autrement dit, pour aller chercher le frère, non pas un procès, une fiche technique sur ce qui, immanquablement, au moins un certain nombre de fois, va mener à l’exclusion. C’est la présence de Jésus, par les deux ou trois réunis vers son nom, qui réconcilie et fait la communion. (Merci Alain !)

3 commentaires:

  1. Merci d'assumer le côté vraiment "incompréhensible" par moment de ce passage. C'est déjà beaucoup , plutôt que d'entendre des mièvreries. L'idée que le nombre de personnes n'est pas un moment de "condamnation" mais un moment de "communion" est bel et bien, semble-t-il, ce qui fait obstacle, donc ce qu'il faut déraciner en nous ! Toujours, au fond peut-être, la notion de "jugement" qui est en question ?

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  2. "Vers mon nom" le mot eis en grec a plusieurs sens, mais traduite par "vers" plutôt que "dans" semble très important. L'Eglise ne devient plus un cercle clos "en" Jésus, comme s'il était lui même fermé, mais une direction vers laquelle on tend, autrement dit un voyage.

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    1. Ce n'est pas tant le eis qui est traduit par vers que l'accusatif. En son nom, avec un mouvement. Normalement, il semble que l'on emploie soit un datif, soit en + datif.

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