28/12/2012

La conception virginale ignorée de Marie elle-même ? (Dimanche de la Ste Famille)


Les lignes de Luc (2, 41-52) que nous venons de lire sont d’une importance capitale pour comprendre les évangiles de l’enfance, ces deux premiers chapitres de Luc et de Matthieu, qui relèvent d’un genre littéraire original, à mille lieues de la biographique.
Déjà l’ensemble de l’évangile n’est pas une biographie, une vie de Jésus, mais le témoignage de foi des communautés chrétiennes primitives. Les premiers versets de la première lettre de Jean expriment bien l’intention des auteurs du Nouveau Testament : « Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons, afin que vous aussi soyez en communion avec nous. Quant à notre communion, elle est avec le Père et avec son Fils Jésus Christ. Tout ceci, nous vous l'écrivons pour que notre joie soit complète. Or voici le message que nous avons entendu de lui et que nous vous annonçons. »
Cette annonce est certes transmission de ce qu’ils ont vu et touché, entendu et contemplé. Elle rapporte ce qui s’est passé, mais non pas comme le ferait une caméra de surveillance vidéo, qui ne sait pas ce qu’elle filme, mais dans un double but, la communion avec Dieu et la joie des messagers.
Matthieu et Luc ouvrent leur évangile par le récit de l’enfance de Jésus. Ni l’un ni l’autre n’en ont été les témoins. On ne sait de quelqu’un qu’il est un grand homme qu’une fois qu’il est devenu adulte. C’est trop tard pour être présent et faire un reportage sur sa naissance ! Nous ne savons donc rien de l’enfance de Jésus d’un point de vue biographique.
Au mieux les évangélistes ont-ils pu se renseigner. Luc cherche d’ailleurs à donner des repères historiques assez précis, situant la naissance de Jésus lors du recensement ordonné par l’empereur Auguste, Quirinus étant gouverneur de Syrie. Mais le récit ne prétend pas rapporter des faits. Il veut laisser deviner l’enjeu de ce qui sera raconté dans la suite, comme dans une sorte d’ouverture, de porche. Il veut aussi donner des clefs pour comprendre : La nouvelle alliance n’est pas nouvelle au sens où elle ne se comprend que dans le cadre de la première alliance. Ainsi les prophètes sont-ils sans cesse cités, soit très explicitement, soit par allusion, soit comme trame du récit.
Marie et Joseph nous sont aujourd'hui présentés comme le modèle, des croyants: ils cherchent Jésus et ne peuvent le trouver qu'au troisième jour, après la résurrection !
L’épisode de Jésus avec les docteurs de la loi, qui a sa propre logique, constitue aussi la conclusion des deux premiers chapitres de Luc, de son évangile de l’enfance. Toute de suite après on fait un saut d’une trentaine d’années pour découvrir l’activité du Baptiste au bord du Jourdain.
Le lecteur est au courant de ce qu’il est convenu d’appeler la conception virginale, la grossesse de Marie qui n'a pas connu d’homme. Il a lu le récit de l’annonciation ; il a entendu l’annonce aux bergers. Allez savoir ce que ces derniers ont compris. Car avouez, quand vous êtes bergers dans un coin paumé de Palestine, que comprenez-vous lorsque vous entendez : « Je vous annonce une grande joie, aujourd’hui, dans la maison de David, vous est né un sauveur, c’est le Messie, le Seigneur, et voilà le signe qui vous est donné, vous trouverez un nouveau né couché dans une mangeoire. »
Déjà, les anges, ce n’est pas commun, mais en plus ces salades de Messie et de nouveau-né dans une crèche, c’est incompréhensible. Le message n’est pas pour les bergers mais pour les lecteurs. Pour nous. Et nous ne comprenons qu’à ne pas savoir notre histoire sainte ou notre catéchisme. Nous ne comprenons qu’à accepter de reconnaître que nous ne comprenons pas, que c’est incompréhensible, ou du moins que cela ne veut rien dire.
Vous ne me croyez pas ? C’est là que la conclusion de l’évangile de l’enfance trouve toute son importance. Comment Marie peut-elle ne rien comprendre à ce que lui répond Jésus : « Pourquoi donc me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père ? » S’il y en a une qui doit comprendre, c’est bien elle. Mais elle ne connaît pas son catéchisme ! On dirait pourtant qu’elle a oublié comment elle a conçu cet enfant ! Cet incroyable.
Sauf si Luc n’a pas parlé de la conception virginale, quelles que soient les apparences. De fait, Marie ne semble pas au courant de la conception virginale. Luc indique le chemin que devra prendre la confession de foi : il y a quelque chose à chercher quant à l’identité de Jésus. La virginité de Marie ne dit rien des organes génitaux de Marie. Que les pervers passent leur chemin ! Elle indique qu’il y a quelque chose à chercher du côté d’une humanité qui, après avoir été mère, après avoir donné la vie dans tant de douleurs et pour tant de douleurs, donné la chair à ce Jésus aussi, se trouve restaurée, virginisée, par la venue de Jésus. Pourra-t-on croire que l’humanité, si vieille, retrouve la jeunesse et la fécondité, la joie d’enfanter le nouvel Adam, celui dont justement Luc, dans le chapitre suivant fait remonter l’arbre généalogique à Adam ?
Pas de biographie dans ces lignes, pas d’histoire de sainte famille, ou alors la sainte famille, c’est l’humanité, c’est la vocation de l’humanité. Il y a l’histoire d’un homme Jésus, qui vient rendre à une très vieille femme, usée, cassée, parfois joyeuse aussi, lubrique peut-être, faite pour la joie certainement, la promesse d’une jeunesse, une jeunesse pleine de promesses.





Pour l’Eglise dont nombre des enfants se sentent agressés par les options de la société contemporaine. Qu’elle choisisse le chemin du Christ, renonce aux démonstrations de force, continue à manifester son amour pour tous, à commencer par ses ennemis.

Pour l’humanité dont tant d’hommes et de femmes ignorent que Dieu les aime. Qu’ils aient la possibilité d’entendre une parole de vie. Qu’ils rejettent l’intolérance qui leur interdit toute rencontre avec le Vivant qui fait vivre.

Pour les familles. Qu’elles soient des lieux de paix et de respect, d’épanouissement et de croissance. Pour les familles déchirées, celles qui sont des machines à détruire. Pour les femmes battues, les enfants humiliés.

Pour les homosexuels, en particuliers chrétiens, qui, au cours de ces derniers mois, n’ont guère été respectés dans leur vie et dans leur foi. Qu’ils aient comme chacun de nous la force de persévérer dans la foi et l’amour de leurs frères.

24/12/2012

Il n'y avait pas de place pour eux dans la salle commune. (Lc 2,7)

Avez-vous déjà fait attention à cette mention, laissée comme au hasard par l'évangéliste ? Il n'y avait pas de place pour eux dans la sale commune (Lc 2,7)
Pour un curé en chaire le soir de Noël, avoir sous les yeux plein de gens qu'il ne voit jamais, quoi de mieux qu'une telle mention ? Et vous, vous allez accueillir Jésus ? Et vous qu'on ne voit jamais, serez-vous comme les juifs, n'êtes-vous pas comme les Juifs, à refuser d'accueillir Jésus ?
Mais quelle honte ! Pourquoi culpabiliser les gens, alors que Jésus est venu pour les malades et non pour les bien-portants, alors qu'il est venu chercher ce qui était perdu et ne l'a jamais condamné, n'a jamais culpabilisé.
Quelle honte, comme si les Juifs du premier siècle n'auraient pas accueilli cette femme sur le point d’accoucher. Le cœur le plus dur aurait prêté son allée d'immeuble ou un coin de l'appartement pour qu'une femme puisse donner la vie.
Non, s'il n'y a pas de place dans la salle commune, c'est pour une autre raison. Il faut s'étonner de cette mention de l'évangéliste. Il faut ne pas savoir pourquoi il n'y a pas de place, il faut ne pas imaginer trop facilement que les hommes refusent d'accueillir. Dans une telle situation, une femme qui enfante, on accueille, hier comme aujourd'hui, même quand on est un criminel.
Alors, pourquoi n'y a-t-il pas de place ? L'évangéliste ne donne aucune piste, ne laisse pas entendre que ce serait un refus d'accueil.
Il n'y a pas de place car celui qui vient, celui qui naît est le créateur de l'univers. Quelle auberge pourrait l'accueillir ? Il n'y a pas de place parce que celui qui crée le monde ne peut tenir dans le monde.
Parce que aussi, celui qui ne tient pas en place, ne risque pas d'être arrimé à une place. Il n'a pas d'endroit où poser la tête. Il ne risque pas de trouver une place dans la salle commune.
La mention de l'évangéliste, l'absence de place dans la salle commune, ne fait honte à personne. Pauvre curé qui ne sait que culpabiliser pour tenter de remplir son église, et qui la vide à culpabiliser ! Les gens ont trop bien compris que Jésus ne parle pas comme cela. Que Jésus n'est pas avec ce curé.
La mention de la salle commune est une profession de foi. Il n'y a pas de place parce que celui qui naît est le créateur. Celui qui naît ne peut tenir dans aucune salle, commune ou privée, grande ou petite, parce qu'il est celui qui a fait toute chose, tout lieu.
Laissons là la culpabilité, passons à la profession de foi. Le créateur naît dans la créature. Le créateur se fait créature.
Il y a autre chose encore. La salle commune ne peut le recevoir, parce que celui qui naît n'a rien de commun. Nous ne pouvons le réduire au connu. Il est inassimilable. Il est hors du commun.
Impossible de le tenir dans une religion, dans un culte, dans une idéologie, dans un modèle de société -la chrétienté-, dans un modèle de famille -bourgeois, avec une père et une mère que l'on croit fidèle pour ne pas voir l'horreur. Il est l'étrange, il est l'étranger. Il doit le demeurer
Nous ne sommes pas venu célébrer cette fête de Noël pour le déjà connu, mais pour tenter d'approcher ce qui est hors du commun et pourtant si proche. Et ceux d'entre nous qui viennent si peu en prennent à leur tour plein leur grade, s'ils pensent savoir ce qu'ils font maintenant. Nous sommes venus pour nous interroger. Nous ne sommes pas chrétiens une fois pour toute, parce que nous avons été baptisés. Nous devenons chrétiens, ou nous ne le sommes pas.
Le chrétien n'est pas celui qui sait qui est Jésus, mais celui qui s'étonne, qui cherche à comprendre. Vous remarquerez que tous ceux qui ne croient pas en Jésus sont ceux qui ne se posent pas de question à son sujet, qu'ils soient athées... ou religieux. Mais les disciples de Jésus, s'étonnent. Pourquoi donc n'y a-t-il pas de place pour lui dans la salle commune ?
Le voilà parmi nous, le hors du commun, celui qui a façonné le ciel et la terre.
Profession de foi et étonnement devant l'hors du commun. Voilà les ingrédients de Noël. Profession de foi et étonnement, c'est cela fêter Noël.

Au commencement était le Verbe (Noël)

Au commencement était le Verbe.
Les cinq premiers mots de l’évangile de Jean, la première parole qui dit que la parole est première, qui dit la parole première. Ce verbe premier qui vient en premier est une énigme. Affirmation si simple, semble-t-il. Premiers mots qui ont bien plus d’un sens, comme s’il fallait brouiller le verbe du commencement : au commencement était le verbe.
Comment traduire ? Au commencement, dans un commencement, dans le principe, au principe, pour commencer, pour commander ou pour régir ? Le verbe être, au temps de la durée depuis le passé, comment le rendre ? Au commencement existait le verbe, il y avait le verbe, au commencement c’était le verbe, au commencement le verbe ?
Quant au mot "verbe", quant à la parole "parole", elle peut signifier mot, parole, discours, raison, proportion, mesure, etc. Au commencement était le verbe, au commencement était la raison, etc.
Cinq petits mots dont seul le mot "verbe" indique désormais la curiosité, et qu’il est trompeur de prétendre entendre tranquillement, facilement, comme "c’est Noël ce soir", "le chat est sur le paillasson", "la température est douce cette nuit", "tout va très bien Madame la marquise".
Au commencement était le Verbe. Comme principe, la raison. D’abord la proportion. L’origine c’est le discours. Au commencement, il y avait la parole. Traductions possibles parmi bien d’autres.
La préposition est peut-être le plus simple des mots à comprendre, localisation spatiale, temporel ou logique. Elle est le premier mot du texte. A l’origine, dans le commencement, en principe. Elle est aussi la première d’une série impressionnante dans les versets qui suivent. La première proposition est une demeure, un dedans, un espace, peut-être grand, mais délimité. Au commencement semble dire, in nuce, au cœur pour traduire.
Vous pardonnerez ces leçons de grammaire pour une homélie de Noël, mais enfin, l’évangile lui-même l’impose : au commencement était une histoire de mots, d’un mot en cinq mots, un petit discours, une petite règle, de grammaire, de logique, d’anthropologie, de théologie... Au commencement était le Verbe.
Commencement, verbe, les deux mots un peu plus typés, si je puis dire. Des mots biens de chez eux, des mots qu’on fait sien. Mais lorsque ce verbe est venu chez les siens, les siens ne l’ont pas reçu. C’est le problème des gens typés, de n’être pas reçus ! Est-ce que Jean et Luc disent la même chose : il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune ? Ce qui est commun, pourtant, n’est-ce pas sien aussi ?
Je ne m’arrête que sur le deuxième mot, c’est-à-dire le cinquième, verbe, logos. C'est le dernier mot dont les autres disent qu’il est premier, au commencement. Dernier, premier, retournement bien évangélique ! La parole ne peut normalement venir au commencement. Pour parler, pour raisonner ou donner des lois, des proportions, pour faire des calculs, il faut quelqu’un d’abord, en premier. Une parole au commencement, c’est impossible. Qui parle ? Et à qui ? Qui raisonne ? Et à propos de quoi ? Qui mesure et quoi ?
Pourtant, il n’y a pas d’hésitation possible. C’est bien le verbe qui est au commencement. Nous ne savons pas ce que cela signifie, mais la chose est claire, la parole est au commencement. Il faut accepter l’incroyable. C’est d’abord la relation. Dit ou fait de dire, peu importe, le logos sort du commencement qui semblait l’enfermer pour mieux exprimer sa priorité. D’abord la parole. La parole depuis toujours sort de l’enfermement de la solitude. Depuis toujours, la parole est relation. En principe, sortir du principe. En principe, en finir avec les principes. En règle générale, seulement la relation, qui est toujours si particulière.
Ces quelques mots sibyllins vont durer longtemps, même si la lumière éclaire tout homme. L’excès de lumière ne permet pas mieux de voir que l’origine de la parole de comprendre.
Pour que la parole soit relation, y a-t-il autre possibilité que la chair ? Y a-t-il relation sans la chair ? Dire que la parole est relation, dire qu’au commencement était la raison ou la parole, c’est dire que parole et raison sont chair. Qui donc a jamais entendu une parole sans chair ? Qui donc a déjà pensé sans chair. Tournée vers Dieu, divine, cette raison est chez elle dans la chair, chez les hommes. Lorsque l’homme parle, Dieu se devine. Lorsque l’homme pense, Dieu vient à l’idée. C’est bien chez les siens qu’il est venu.
La parole demeure au commencement. Elle demeure de nouveau : et il a demeuré parmi nous. Pour demeurer, il sort, il vient chez, il est tourné vers, il est ce par quoi… relation qui dès le commencement unit le ciel et la terre, ainsi qu’au commencement, Dieu créa le ciel et la terre.
Il demeure mais ne tient pas en place. Voilà pourquoi il ne peut y avoir de place pour lui dans la salle commune. Il habite chez nous, non pour que nous soyons bien au chaud avec lui, mais pour nous sortir de nos évidences, sécurités, principes, règles, calculs. Ne pleurons pas des gens ingrats ou de l'auberge trop petite. Réjouissons-nous de ce qu'il ne puisse qu'être de sorti, dehors, dès le commencement hors du commencement. Il habite chez nous pour que nous parlions, pour que nous soyons en relation, pour que la terre et le ciel, séparés, sans confusion soient cependant unis, sans division.
Au commencement était le Verbe, et c’est la vie au cœur des ténèbres. La vie était la lumière des hommes qui luit dans les ténèbres.

22/12/2012

Visitation (4ème dim de l'avent)

Un moment de grâce, un moment de joie.

Une jeune femme, forcément parente ‑ dans une humanité dont Dieu est le père, tous sont de la même famille ‑ une jeune femme débarque chez une aïeule. Inattendue, la visite est aussi douce qu’une caresse.
Elle est venue, et elles ont dit l’essentiel, et elles ont vécu de l’essentiel. Une rencontre où chacune était à sa juste place, sans artifice, si heureuse d’être elle-même en vérité. Une amitié si forte que l’on aurait pu la toucher. Un moment d’unité comme une bénédiction.
Les mots eux-mêmes n’en reviennent pas : ils ne savent plus que bénir. Tu es bénie entre toutes les femmes et le fruit de tes entrailles est béni. Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. (Lc 1, 39-35)
C’était un soir, après une journée de travail. L’un de nous deux avait une bonne centaine de kilomètres à faire. Je suis en avance. Il fait froid et j’attends dans un bar de banlieue. Les différences raciales, culturelles, sociales à tout instant pouvaient faire de ce refuge un enfer, transformer l’intrus en ennemi. La paix est aussi fragile qu’une boule de noël, aussi risquée que la marche du funambule sur sa corde. Pourtant, on aurait pu toucher le souci de paix ; on voulait profiter du moment de l’apéro. L’endroit en devient improbable : qui peut croire qu’il existe au cœur d’une vilaine cité des coins de paradis ?
Il arrive, plus tôt que ce que j’avais pensé. J’étais en train d’écrire mon homélie. Visitation. Nous ne le savions pas aux premiers mots, à la poignée de mains. Nous le saurons pendant le repas. La vie non dissimulée, la vérité de nos expériences, de nos existences.
D’abord la joie des retrouvailles, puis les mots qui font qu’il n’y a plus deux mais un, un dialogue, une rencontre, qui n’existe que de deux, mais pour ne faire qu’un. Qui est Marie, qui est Elisabeth ? On ne distingue plus qui est qui pour qui. Que s’est-il dit, je le sais, mais ne m’en souviens plus. Je le sais, mais ne parviens pas à le reconstituer. Dès le lendemain, disant dans une autre rencontre ce moment, impossible d’en retrouver les mots. Demeurait une profonde émotion. L’enfant tressaillit d’allégresse en mon sein.
Comme si le mystère ne pouvait se dire, seulement se partager. Et c’est encore ce qui se passa ce lendemain ou l’autre ne sut rien mais comprit qu’il y avait eu visitation, bénédiction.
C’est l’amour, ou l’amitié, ou la grâce de la paternité, de la maternité, ou de la fraternité. C’est la rencontre. Ne restent que quelques bribes de conversation et Marie s’en retourna chez elle. Visite qui brûle le cœur. La trace du feu demeure. Ce n’est pas le sang qui fait vivre à irriguer le corps, mais le mystère de la rencontre, la grâce de la visitation qui met désormais les corps en route, une fois retournés chez eux.
Ainsi donc de Marie-Elisabeth, de la visite du frère, de la sœur, de la fille. Et nous avons vécu cela et nous avons vu que cela était bon. Nous nous sommes repus de cette bénédiction.
Ce que ces versets si réalistes et pourtant non historiques racontent ‑ mensonges romantiques et vérité romanesque ‑ l’évangile le rapporte en vue de cette vérité qu’il faut tâcher de désigner.
Dieu a visité son peuple, lira-t-on quelques versets plus loin (Lc 7,16) ; Jésus passait alors au milieu du peuple. Et il passe encore ; l’inattendu d’une venue, la même grâce, la même caresse qui révèle chacun à lui-même, découvert et sans crainte, la même jubilation des seules paroles possibles, celles de la bénédiction.
Marie, la femme, la vivante, jeune, qui vient rendre visible la vie de la vieille femme, au bord de la mort, sans honte désormais d’enfanter si tard, heureuse d’être visitée, d’être reconnue, de voir ses longues années prendre consistance par l’illumination du visiteur.
Dieu a visité son peuple. Le vivant toujours renouvelant rend visible la fécondité de nos vieilles vies. Nous sommes désormais sans honte d’avoir été ce que nous sommes, heureux d’être visités, d’être reconnus, de voir nos années perdre le caractère vain qui les font buée et trouver la consistance où se pose la lumière, La lumière.
Nous nous sommes quittés comme il séjourne un temps chez les siens et s’en retourne chez lui. Le cœur brûlé, nous vivons du mystère de cette visitation, de cette bénédiction. Dieu a visité son peuple. Heureux ceux qui croient à l’accomplissement de ces paroles.

16/12/2012

Quelques extraits de la Constitution pastorale sur l'Eglise dans le monde de ce temps


1. Les joies et les espoirs (Gaudium et spes), les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. Leur communauté, en effet, s’édifie avec des hommes, rassemblés dans le Christ, conduits par l’Esprit Saint dans leur marche vers le Royaume du Père, et porteurs d’un message de salut qu’il faut proposer à tous. La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire. 

3 1. De nos jours, saisi d’admiration devant ses propres découvertes et son propre pouvoir, le genre humain s’interroge cependant, souvent avec angoisse, sur l’évolution présente du monde, sur la place et le rôle de l’homme dans l’univers, sur le sens de ses efforts individuels et collectifs, enfin sur la destinée ultime des choses et de l’humanité. Aussi le Concile, témoin et guide de la foi de tout le Peuple de Dieu rassemblé par le Christ, ne saurait donner une preuve plus parlante de solidarité, de respect et d’amour à l’ensemble de la famille humaine, à laquelle ce peuple appartient, qu’en dialoguant avec elle sur ces différents problèmes, en les éclairant à la lumière de l’Évangile, et en mettant à la disposition du genre humain la puissance salvatrice que l’Église, conduite par l’Esprit Saint, reçoit de son Fondateur. C’est en effet l’homme qu’il s’agit de sauver, la société humaine qu’il faut renouveler. C’est donc l’homme, l’homme considéré dans son unité et sa totalité, l’homme, corps et âme, cœur et conscience, pensée et volonté, qui constituera l’axe de tout notre exposé.
2. Voilà pourquoi, en proclamant la très noble vocation de l’homme et en affirmant qu’un germe divin est déposé en lui, ce saint Synode offre au genre humain la collaboration sincère de l’Église pour l’instauration d’une fraternité universelle qui réponde à cette vocation. Aucune ambition terrestre ne pousse l’Église ; elle ne vise qu’un seul but : continuer, sous l’impulsion de l’Esprit consolateur, l’œuvre même du Christ, venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver, non pour condamner, pour servir, non pour être servi 

19 3. Certes, ceux qui délibérément s’efforcent d’éliminer Dieu de leur cœur et d’écarter les problèmes religieux, en ne suivant pas le « dictamen » de leur conscience, ne sont pas exempts de faute. Mais les croyants eux-mêmes portent souvent à cet égard une certaine responsabilité. Car l’athéisme, considéré dans son ensemble, ne trouve pas son origine en lui-même ; il la trouve en diverses causes, parmi lesquelles il faut compter une réaction critique en face des religions et spécialement, en certaines régions, en face de la religion chrétienne. C’est pourquoi, dans cette genèse de l’athéisme, les croyants peuvent avoir une part qui n’est pas mince, dans la mesure où, par la négligence dans l’éducation de leur foi, par des présentations trompeuses de la doctrine et aussi par des défaillances de leur vie religieuse, morale et sociale, on peut dire d’eux qu’ils voilent l’authentique visage de Dieu et de la religion plus qu’ils ne le révèlent.

22 5. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal

28 1. Le respect et l’amour doivent aussi s’étendre à ceux qui pensent ou agissent autrement que nous en matière sociale, politique ou religieuse. D’ailleurs, plus nous nous efforçons de pénétrer de l’intérieur, avec bienveillance et amour, leurs manières de voir, plus le dialogue avec eux deviendra aisé.
2. Certes, cet amour et cette bienveillance ne doivent en aucune façon nous rendre indifférents à l’égard de la vérité et du bien. Mieux, c’est l’amour même qui pousse les disciples du Christ à annoncer à tous les hommes la vérité qui sauve. Mais on doit distinguer entre l’erreur, toujours à rejeter, et celui qui se trompe, qui garde toujours sa dignité de personne, même s’il se fourvoie dans des notions fausses ou insuffisantes en matière religieuse. Dieu seul juge et scrute les cœurs ; il nous interdit donc de juger de la culpabilité interne de quiconque.
3. L’enseignement du Christ va jusqu’à requérir le pardon des offenses et étend le commandement de l’amour, qui est celui de la loi nouvelle, à tous nos ennemis : « Vous avez appris qu’il a été dit : tu aimeras ton prochain, tu haïras ton ennemi. Mais moi je vous dis : aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient » (Mt 5, 43-44).

36 1. Un grand nombre de nos contemporains semble redouter un lien étroit entre l’activité concrète et la religion : ils y voient un danger pour l’autonomie des hommes, des sociétés et des sciences.
2. Si, par autonomie des réalités terrestres, on veut dire que les choses créées et les sociétés elles-mêmes ont leurs lois et leurs valeurs propres, que l’homme doit peu à peu apprendre à connaître, à utiliser et à organiser, une telle exigence d’autonomie est pleinement légitime : non seulement elle est revendiquée par les hommes de notre temps, mais elle correspond à la volonté du Créateur. C’est en vertu de la création même que toutes choses sont établies selon leur ordonnance et leurs lois et leurs valeurs propres, que l’homme doit peu à peu apprendre à connaître, à utiliser et à organiser. Une telle exigence d’autonomie est pleinement légitime : non seulement elle est revendiquée par les hommes de notre temps, mais elle correspond à la volonté du Créateur. C’est en vertu de la création même que toutes choses sont établies selon leur consistance, leur vérité et leur excellence propres, avec leur ordonnance et leurs lois spécifiques. L’homme doit respecter tout cela et reconnaître les méthodes particulières à chacune des sciences et techniques. C’est pourquoi la recherche méthodique, dans tous les domaines du savoir, si elle est menée d’une manière vraiment scientifique et si elle suit les normes de la morale, ne sera jamais réellement opposée à la foi : les réalités profanes et celles de la foi trouvent leur origine dans le même Dieu. Bien plus, celui qui s’efforce, avec persévérance et humilité, de pénétrer les secrets des choses, celui-là, même s’il n’en a pas conscience, est comme conduit par la main de Dieu, qui soutient tous les êtres et les fait ce qu’ils sont. À ce propos, qu’on nous permette de déplorer certaines attitudes qui ont existé parmi les chrétiens eux-mêmes, insuffisamment avertis de la légitime autonomie de la science. Sources de tensions et de conflits, elles ont conduit beaucoup d’esprits jusqu’à penser que science et foi s’opposaient.

44 3. L’Église constate avec reconnaissance qu’elle reçoit une aide variée de la part d’hommes de tout rang et de toute condition, aide qui profite aussi bien à la communauté qu’elle forme qu’à chacun de ses fils. En effet, tous ceux qui contribuent au développement de la communauté humaine au plan familial, culturel, économique et social, politique (tant au niveau national qu’au niveau international), apportent par le fait même, et en conformité avec le plan de Dieu, une aide non négligeable à la communauté ecclésiale, pour autant que celle-ci dépend du monde extérieur. Bien plus, l’Église reconnaît que, de l’opposition même de ses adversaires et de ses persécuteurs, elle a tiré de grands avantages et qu’elle peut continuer à le faire.

92 4. Nous tournons donc aussi notre pensée vers tous ceux qui reconnaissent Dieu et dont les traditions recèlent de précieux éléments religieux et humains, en souhaitant qu’un dialogue confiant puisse nous conduire tous ensemble à accepter franchement les appels de l’Esprit et à les suivre avec ardeur. 5. En ce qui nous concerne, le désir d’un tel dialogue, conduit par le seul amour de la vérité et aussi avec la prudence requise, n’exclut personne : ni ceux qui honorent de hautes valeurs humaines, sans en reconnaître encore l’auteur, ni ceux qui s’opposent à l’Église et la persécutent de différentes façons. Puisque Dieu le Père est le principe et la fin de tous les hommes, nous sommes tous appelés à être frères. Et puisque nous sommes destinés à une seule et même vocation divine, nous pouvons aussi et nous devons coopérer, sans violence et sans arrière-pensée, à la construction du monde dans une paix véritable.

Que devient notre foi dans un monde qui vit bien sans Dieu ?

Petite conférence, reprenant des idées déjà développées dans ce blog. Il s'agissait de répondre à l'interrogation sur le sens de la vie chrétienne dans un monde majoritairement ignorant de Dieu à partir de la Constitution pastorale du dernier concile, Gaudium et spes.
Dans le post suivant, quelques uns des citations auxquelles ce texte renvoie.

1. Parmi ceux que nous aimons, beaucoup vivent sans Dieu
Rares sont les familles dont tous les membres sont des chrétiens convaincus, sans difficultés aucunes avec les normes de l’Eglise, c’est-à-dire sans divorcé qui se remarie, sans jeune qui consomme avant le mariage, sans utilisation des moyens artificiels de contraception. La sécularisation, la prise de distance par rapport, non seulement au magistère romain, mais surtout par rapport à une pratique ecclésiale de l’évangile nous touchent tous de très près.
Nous constatons que nombre de ceux qui ne se reconnaissent plus chrétiens, sinon de très loin ne vivent pas plus mal que nous. Certes, il y a des débauchés, des jouisseurs qui exploitent leurs frères ou tombent dans la dépriment. Mais malheureusement, être disciples de Jésus ne garantit pas que nous serions ni heureux ni moraux. Est-il seulement utile ici pour couper court à toute objection de rappeler les dramatiques affaires de pédophilie ?
Les plus âgées d’entre nous parlent-ils de la foi à leurs enfants ? Comment, dans quel but ? Voudrait-on, devrait-on  les convaincre ? Parlons-nous à nos frères et sœurs de cette foi ? C’est souvent bien plus difficile qu’une discussion avec des collègues de travail, voire des gens croisés dans un train ou un avion, que l’on ne reverra pas ? Au lycée, comment dire sa foi lorsque l’institution scolaire sous couvert de laïcité renvoie la religion au domaine strictement privé et donne si aisément dans la critique réductrice ?
Ainsi donc, nos pays de vieilles chrétientés ne sont plus chrétiens au sens où ils ne font plus de la vie ecclésiale la fontaine du village où ils viennent puiser l’eau qui apaisera leurs soifs et entretiendra leur désir, au sens même où ils ne font plus de l’évangile une bonne nouvelle qui changera leur vie.

2. Que faire ?
Que deviendra l’Eglise ? Que deviendra l’évangile ? Le fils de l’homme, lorsqu’il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre (Lc 18,8) ? Que devons-nous faire ? Que doit faire l’Eglise ? Les réponses sont aussi diverses qu’inefficaces semble-t-il ? Il y a ceux qui baissent les bras et pour qui la mission n’est pas leur problème, ou qui constate que de toute façon l’on ne peut rien faire. La foi étant un don de Dieu, on ne va pas la provoquer chez les autres s’ils n’ont pas reçu ce don ! Il y a ceux qui pensent que l’évangile et l’Eglise souffrent d’un problème de communication. Que l’Eglise annonce autrement l’évangile ! Les évangélistes ne doivent pas avoir le monopole des conversions, pourquoi ne pas user de leurs méthodes ? Il y a ceux qui rendent le passé responsable de cette situation. Il faut changer de pastorale, rompre plus ou moins avec le dernier concile, tenir une position non de dialogue dans lequel l’Eglise se serait perdu, mais d’affirmation de l’identité chrétienne, de visibilité par des processions, pèlerinages ou autres. Nombres de nouveaux mouvements sont nés depuis cinquante ans, fer de lance de la nouvelle évangélisation. Avec le recul, ils n’ont pas inversé la déchristianisation. Au mieux ont-ils permis à certains d’entre nous une manière différente de vivre la foi, souvent en rupture avec la pastorale tristounette ou réputée telle des paroisses.
On pourrait continuer l’énumération. Il en ressort que nous n’avons pas trouvé le remède à la déchristianisation et que nous sommes toujours moins nombreux à nous dire disciples de Jésus. Il faut dire que l’on n’est que rarement à cours d’idée de trucs qu’on pourrait faire, que l’on met souvent en place les moyens avant de réfléchir au but, aux objectifs. Les « y’a qu’à », « faut qu’on » généreux et parfois enflammés ont fait long feu.

3. On ne refera pas la chrétienté
Je crois vain, et mauvais, de vouloir reconquérir du terrain, de rêver d’une re-christianisation de l’Europe. La chrétienté, qui est grandement un mythe, ce moment où la société et l’Eglise semblent coïncider, n’est pas l’état habituel de l’Eglise. Elle relève de l’exception[1]. En outre, il ne faudrait pas que nous confondions évangélisation et christianisation. Annoncer l’évangile n’est pas construire une civilisation chrétienne, dont on connaît aussi les dérives. Puisqu’il est hors de propos de forcer quiconque croire[2], il y aura des gens, nombreux, qui n’entreront pas dans le mystère d’amitié avec le Christ. On peut dans ce cadre, sans complaisance ni acrimonie[3], se faire une idée des résistances à la foi.
Certes, il y a le refus de se convertir, de changer de vie. Mais je ne suis pas certain que les libertins soient les plus nombreux. Clairement, tout ce qui ferait l’apologie de la deshumanisation de soi et d’autrui doit être dénoncé par les disciples de Jésus. Il y a les causes de l’athéisme. Et là, les chrétiens eux-mêmes ont une part de responsabilité (GS 19 3). Il y a la mondialisation et le nécessaire pluralisme culturel si nous ne voulons pas tous finir états-uniens ou chinois. La suprématie occidentale n’est plus possible, et l’on doit reconnaître non seulement que Dieu peut associer tout homme au salut (GS 22 5), qu’il confesse ou non la foi, que les religions non chrétiennes contiennent des éléments de vérité[4], mais qu’elles sont comme telles des chemins de salut[5]. Mais tout cela, ainsi que le disent les textes, ne dispensent jamais de déboucher ou d’espérer déboucher vers la connaissance de la vérité tout entière que l’Eglise porterait, intendante des mystères du Christ, le seul par lequel tous sont sauvés.
Il y a la logique de sécularisation qui n’est pas sortie du christianisme mais de la religion. De moins en moins de gens pensent que Dieu intervient dans ce monde et le concile reconnaît la juste autonomie des réalités terrestres (GS 36). On peut penser ce monde sans Dieu, on peut penser que ce monde se tient sans que l’on en appelle à Dieu, non que cela autoriserait à le nier, mais que l’on ne voit pas Dieu à chaque coin de rue.
Mais il y a plus, la re-christianisation n’est pas possible car elle va à l’encontre de la logique de la foi. En effet, le Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés (1 Tm 2,4) c’est-à-dire partagent sa vie, est découvert par l’athéisme et le pluralisme religieux comme le Dieu non nécessaire, au sens où il ne s’impose pas, ne peut pas s’imposer. Il sera toujours le Dieu de tous que seuls quelques uns re-connaissent ou plutôt commencent à reconnaître. Ce que nous disons de Dieu n’est jamais ça, non qu’il y ait erreur, mais que pour l’heure, nous voyons de façon trouble[6]. Comment les disciples du Dieu qui se retire, se vide de lui-même, se fait serviteurs pourraient-ils être dans une situation de puissance, ne serait-ce que celle du nombre ? Comme si le nombre était contre-témoignage[7].
Le concile a entériné que l’Eglise ne coïncidait plus avec l’humanité. Le début de la constitution pastorale Gaudium et spes exprime très clairement qu’il existe un vis-à-vis de l’Eglise : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. »
Il nous faut apprendre à vivre comme le petit reste (Is 10,20-22), le sacrement du salut. C’est notre vocation.

4. Le sel de la terre ou la fin de la mission
« Le Christ ne nous demande pas de faire du nombre, mais d'avoir du goût, d'être le sel de la terre»[8]. Les chrétiens sont invités à être sel de la terre et lumière du monde. A qui servirait la lumière si tous étaient lumière ? Le plat ne serait-il pas immangeable si tous étaient sel ? Importe plutôt, comme dit l’évangile, que le sel ne se dénature pas, ne s’affadisse pas. Sans quoi, avec quoi le salera-t-on ?
Ainsi donc, notre mission, c’est d’être au service de la fraternité humaine, à cause de Jésus (2 Co 4,5). Nous ne sommes pas là pour nous servir, pour notre propre promotion, mais nous sommes là à cause de Jésus. Il y a besoin de monde pour ce service de l’humanité. C’est cela la fin de la mission : que des frères et sœurs se laissent saisir pour être au service de l’humanité à cause de Jésus. La mission passe par notre mise au service, notre engagement dans le de l’Eglise.
Quelle forme cela doit-il prendre ? Quelle forme pour la mission ? Il est clair qu’un des enjeux mondiaux, c’est le défi de la rencontre et du dialogue, la reconnaissance des droits, notamment des plus faibles et des minorités, la véritable écoute de ceux que personne n’entend. Le dialogue (GS 28, 92) est la responsabilité des disciples. Les évêques le réclament lorsqu’ils sont minoritaires ; je ne suis pas certain qu’ils sachent l’instituer dans l’Eglise.
Ce dialogue a pour conséquence que l’Eglise reconnaît qu’elle apprend de ceux qui ne partagent pas son avis, y compris, ceux qui s’opposent à elle (GS 44). La mission comme dialogue ne peut avoir la forme d’un exposé descendant de celui qui sait vers celui qui devrait tout apprendre, ne sachant rien. Chrétiens ou non, nous cherchons la vérité qui fait vivre.



[1] « Partout l’Eglise est devenue plus ou moins une Eglise dans la diaspora du monde moderne, et cette diaspora, qui est la situation ordinaire de l’Eglise […] elle doit l’accepter dans l’obéissance comme le moment historique que le Seigneur a disposé pour elle. En un certain sens, cette situation est même plus conforme à ce qu’est l’Eglise que celle où Eglise et société se recouvrent. Dans cette perspective, le Moyen Age représente davantage l’exception que la norme et la règle. » W. Kasper, La théologie et l’Eglise, Cerf, Paris 1990, p. 194.
[2] « L'Eglise s'adresse à l'homme dans l'entier respect de sa liberté : la mission ne restreint pas la liberté, mais elle la favorise. L'Eglise propose, elle n'impose rien : elle respecte les personnes et les cultures, et elle s'arrête devant l'autel de la conscience. A ceux qui s'opposent, sous les prétextes les plus variés, à son activité missionnaire, l'Eglise répète: Ouvrez les portes au Christ! », Jean-Paul II, Redemptoris missio 39 (1990).
[3] Le positionnement d’opposition au monde est rejeté au profit du dialogue. Cf. par ex. GS 3.
[4] « L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes. » Nostra Aetate 2.
[5] Cf. CTI, Le christianisme et les religions, 1997, n°82-88 et RM 28-29 ; 55.
[6] Cf 1 Co 13,12. N’oublions pas que les miroirs de l’Antiquité ne donnent pas une image aussi parfaite que nos glaces sans tain.
[7] On se rappelle que les recensements sont mal vus dans les Ecritures, Cf. 2 Sa 24,10.
[8] A. RouetVous avez fait de moi un évêque heureux, Ed. de l’Atelier, Paris, 2011.

15/12/2012

L'apocalypse, une bonne nouvelle (3ème dim. Avent)


« Par ces exhortations et bien d'autres encore, le Baptiste annonçait au peuple la Bonne Nouvelle », il évangélisait le peuple. Qu’est-ce qu’annoncer l’évangile ? Le texte que nous venons d’entendre (Lc 3, 10-18) parle de cognée à la racine de l’arbre (au verset 9), de pelle à vanner, de paille qui brûle dans un feu qui ne s’éteint pas. C’est une apocalypse !
Tenir un discours apocalyptique, certains le font, mais on peut dire que leur audience reste confidentielle. Il n’y a que quelques illuminés ou malades pour ne pas rire à entendre parler de Bugarach et de la fin du monde la semaine prochaine. Il n’y a que les extrémistes, intégristes radicaux, qui se délectent de condamnations fulminées contre notre société dont ils ne cessent de prédire la décadence, la déchéance, la fin.
Quel discours apocalyptique pourrions-nous tenir qui soit entendu comme une bonne nouvelle ? Car c’est bien cela le pari : que l’évangile soit entendu, même si c’est une apocalypse que nous annonçons.
Il n’y a qu’une solution, il me semble, non le recours à la peur, mais l’ouverture d’un espoir. Comment, en prédisant la fin, comment, par une apocalypse, susciter l’espérance ? Comme le livre de Jean, l’autre Jean. Ce dont la fin approche, ce dont la fin est inexorable, ce dont la fin ne peut être qu’attendue, espérée, ce qui est engloutie dans des catastrophes sans nom, c’est le mal.
Voilà l’apocalypse. La fin du mal, la désintégration du mal, sa disparition. Imaginez un peu. Il ne se fera plus rien de mal sur ma montagne sainte, dit le Seigneur en Isaïe. Voici que je fais toutes choses nouvelles (Ap 21,5) rapporte le visionnaire de Patmos, renchérissant sur Isaïe encore : Voici que moi, je vais faire du neuf, il bourgeonne déjà ; ne le voyez-vous pas ? (Is 43,18)
Si le mal est terrassé, si c’est la catastrophe pour le mal, si la fin du monde est naissance d’un monde de justice et de paix, alors, là, c’est une bonne nouvelle ! Et l’évangile est annoncé, à la suite du Baptiste, comme une fin, comme une apocalypse, désirée et non crainte, si ce n’est pas ceux qui pactisent avec le mal, si ce n’est pas ce qui en nous est lié au mal. C’en est fini du mal, ce doit être la fin du mal.
Il va de soi que l’annonce apocalyptique de l’évangile se fait non seulement en parole, mais aussi en acte. Car la fin du mal s’annonce par l’engagement contre le mal, par la lutte contre les injustices, par la solidarité et la paix.
Reste à envisager ce que nous devons attendre de cette annonce. Pourquoi annoncer l’évangile, pour quoi, en vue de quoi l’annoncer ? S’agit-il de faire de tous les hommes des chrétiens ? Quelle drôle d’idée. Je ne la vois nullement dans le discours de Jean. Je ne la vois nullement dans ce que nous venons de dire.
En revanche nous avons parlé de déclarer la fin du mal. Et cette lutte contre le mal, tout homme est invité à y prendre part. Nous ne sommes pas les seuls, disciples de Jésus, à la souhaiter et à y œuvrer. Mais nous, disciples de Jésus, avons reçu mission expresse d’y œuvrer, nous ne pouvons nous dérober. Nous avons aussi mission d’en manifester l’origine, les conséquences et le sens : La vie de l’homme est vraiment ce qu’elle est appelée à être quand l’humanité est une fraternité.
Jésus nous fait connaître son Dieu comme le Père qui fait de chacun de nous son enfant bien-aimé. Le Dieu de Jésus est le champion de l’adoption et par là institue l’humanité comme fraternité. Quelle fratrie si Jésus en est membre, quelle famille si Dieu en est le Père !
Nous pouvons légitiment trouver qu’il serait bien que tous connaissent ce Père, ce frère. Mais cela paraît difficile tant l’histoire pèse, tant le pluralisme culturel doit être maintenu pour lutter contre l’uniformisation de la mondialisation. Ce n’est pas même nécessaire. Pour Dieu lui-même, la fraternité est plus importante que sa reconnaissance comme Père : il importe davantage à Dieu que les hommes vivent dans l’unité et la paix qu’ils ne le reconnaissent comme Père.. Le Père, lui, a reconnu tous ses enfants ; les enfants ne reconnaissent pas tous le Père. Et alors ? Ils n’en sont pas moins ses enfants ! Et alors ? ils peuvent être heureux ! Et alors ? Ils peuvent même lui rendre un culte dès lors qu’ils sont au service de leurs frères et s’avancent sur le chemin de la vie.
Annoncer l’évangile, c’est mettre le grain de sable dans la machine à broyer les frères, c’est mettre notre grain de sel pour révéler à tous le bon goût de cette fraternité, c’est goûter nous-mêmes cette fraternité et la bonté du Père. Et qui nierait à quelques jours de Noël qu'il est bon de vivre en grâce avec les frères et de rendre grâce à notre Père ?

11/12/2012

Confesser ses péchés ou l'amour sans limite de Dieu ?

Qu’est-ce que confesser ses péchés ? La réponse est supposée tellement connue, tellement évidente aussi, qu’il est presque provocateur de poser la question. Tout le monde le sait et à quoi servirait de redire des banalités ?
Mais il n’est pas certain qu’il en aille ainsi. Un indice de cela, indice partiel certes car les choses sont complexes, la désaffection du sacrement de la réconciliation. Si le nombre de pratiquants réguliers s’établit à quelques pour cent en France, le nombre de ceux qui se confessent régulièrement parmi ces pratiquants réguliers est clairement insignifiant.
Pourquoi cette célébration ? Car il s’agit bien d’une célébration, ce qui se voit dans la liturgie pénitentielle, mais est aussi le cas pour la confession auriculaire. La restauration conciliaire demande à ce que l’on prenne le temps d’une liturgie de la parole, que l’on écoute un texte biblique, y compris au confessionnal. Qui le fait ?
La crise de ce sacrement me paraît résider dans la contradiction en laquelle nous nous enfermons. Pour être bien sûr d’être dégoûtés de la confession, d’avoir de bonnes raisons de ne pas nous y rendre, nous en faisons autre chose que ce qu’elle est.
Une célébration, cela veut dire qu’il n’y a pas autre chose à faire pendant ce temps, récitation du chapelet, adoration eucharistique, ou je ne sais quelle dévotion privée ou publique, comme si le sacrement de la réconciliation n’était pas assez important à lui tout seul. Voilà qui le disqualifie encore, sans que, bien sûr, c’était ce que l’on cherchait à faire !
Une célébration, mais de quoi ? Nous ne célébrons jamais que le Seigneur. Nous sommes venu chanter la louange du Seigneur qui restaure sans cesse en nous son image. Nous sommes venu répondre à son amour qui toujours nous précède. Point besoin du sacrement pour être restaurés. Ne croyons pas que Dieu attend le sacrement pour nous purifier ! Mais ce que Dieu ne cesse de faire, nous le célébrons, nous le confessons et ainsi l’accueillons encore. Nous sommes venu non pour dire notre péché, mais pour chanter la bonté de Dieu, pour confesser notre foi en ce Dieu qui ne cesse de nous modeler à son image.
Mais direz-vous pourquoi faudrait-il opposer confession des péchés et célébration de la bonté de Dieu ? De jure, cela ne s’oppose pas mais va au contraire de paire : je rendrai grâce au Seigneur en confessant mon péché. Et cependant, de facto, l’aveu des péchés est précisément ce qui fait que l’on déserte le sacrement, que l’on s’interdit de rendre grâce au Seigneur pour sa miséricorde, d’accueillir cette miséricorde. Nous ne voulons pas paraître avec nos vilenies devant le prêtre ou qui que ce soit ; nous pouvons nous débrouiller seul en conscience à demander pardon et le sacrement devient inutile, ne fait plus sens.
J’avais un confesseur qui pendant l’aveu disait tellement fort « ben oui, ben, oui » qu’il n’en entendait rien. Je crois que c’est exactement l’attitude du Seigneur qui ne veut rien entendre de nos péchés, qui a déjà assez souffert de voir ses enfants enlaidis par le masque du péché pour qu’il n’y ait pas encore à revenir là-dessus. Il veut restaurer en nous son image et non nous entendre nous dépeindre amochés par notre faute.
Rappelez-vous la parabole du fils prodigue. Le pécheur avait préparé son boniment : Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, je ne mérité plus d’être appelé ton fils, traite moi comme l’un de tes ouvriers. Le Père interrompt son fils car il est hors de question d’entendre l’horreur de son humiliation. Comment pourrait-il ne plus être fils ? Comment pourrait-il être traité comme un des ouvriers ? Arrêtons, ces aveux nous font nous détester alors que Dieu nous aime quoi qu’il en soit de nos fautes. Il met nos péchés au loin, aussi loin qu’est l’Orient de l’Occident, ce n’est pas pour que nous nous vaudrions dans le ressassement de nos horreurs.
Nous médisons de nous-mêmes alors qu’il s’agit de confesser la grandeur du pardon, de l’amour divin. C’est le monde à l’envers, la foi à l’envers. Il n’y a pas de quoi s’étonner que nous fréquentions si peu ce sacrement. Que le scrupuleux se convertisse, que l’obsédé de la conscience et de son examen ramasse ses billes ou bien considère ce qu’il pense le meilleur comme un péché auquel il doit renoncer de façon contrite.
Mais alors que faisons-nous devant le frère prête ? Nous venons dire la grandeur de la miséricorde de celui qui nous refait à son image. Nous pouvons exprimer le trouble où nous jette notre faute, non pas une liste de méfaits, mais telle difficulté dans notre vie dans laquelle nous voulons convoquer le Seigneur pour que ce prince de la paix vienne installer le règne de son Dieu et Père. Nous venons peut-être chercher un conseil.
Nous venons, quoi que nous disions, exprimer que de nous-mêmes, nous ne pouvons rien faire. Nous implorons la présence de celui qui doit venir renouveler la face de la terre comme il renouvelle en nous notre esprit. La sainteté, c’est lui qui nous la donne, non pas nous qui cherchons à l’atteindre. Nous pouvons seulement l’accueillir. Nous accueillons un amour tel que notre cœur bondit, plein de joie, d’avoir été refait à l’image du Créateur, du Dieu trois fois saint.

08/12/2012

Comment voir Dieu ? (2ème dim. avent)


Le prophète Isaïe que citent les versets de l’évangile de Luc (3, 1-6) ne peut supporter le monde tel qu’il est. Le mal est intolérable et n’a pas sa place sur cette terre. Les ravins non seulement doivent être comblés mais ils le seront effectivement. Fini d’en baver pour rien, de faire des détours sur des routes impraticables.
La vie de l’homme est pleine de promesses. Tout serait si bon sans la mort, sans le mal, sans la souffrance et les incompréhensions. Tout serait si beau si les activités n’étaient qu’arrêt du travail, non pas que l’on s’embêterait sans cesse, mais que l’on serait comme à l’école… ‑ selon l’étymologie ! ‑ à jouir d’activités gratuites, pour le plaisir.
La création est grosse et lourde des promesses qu’elle n’a pas tenues. C’est pour cela qu’elle se transforme en enfer, au moins parfois, qu’elle est vallée de larmes ou espace de distraction, parc à thèmes ou jardin clos qui isole du monde par des grands murs, stratégie pour que l’on ne voie rien, ne souffre rien de cette tromperie.
Il se pourrait que celui qui admire la création et en use avec joie ne soit qu’un masochiste ou un petit homme, rabattant le plaisir à l’illusion dont il croit pouvoir jouir, oubliant pour mieux dormir et ne pas déprimer, l’immensité des promesses dont elle témoigne, la générosité et la bonté sans limite du Créateur.
Isaïe n’est pas de ceux là. Non, il n’est pas bon ni normal qu’il y ait ravins et routes tortueuses pour que l’homme en bave à trimer comme un bœuf ou un âne ! C’est une assurance, cela finira : Tout homme verra le salut de Dieu.
Est-ce à dire qu’il faudrait que la création apparaisse comme horrible pour qu’un sauveur soit nécessaire et crédible ? Je crois plutôt que ceux qui n’ont pas vu l’horreur de la création, ou ceux pour qui sa beauté l’emporte sur son horreur, se sont soigneusement emmurés dans des paradis idéaux. Des milliers d’enfants meurent chaque année de faim, du palud ou que sais-je ? Mais mieux vaut ne pas le savoir. Nos pays sont prospères à en asservir d’autres, mais qui veut le voir ? On n’écoute pas RFI en Europe ou en France. Il faut aller sur internet, et qui y va ?
Tout va très bien madame la marquise. Mon neveu se drogue ; tout va très bien. Cet homme qui me méprise sûr de sa vérité ; tout va très bien. L’enfant et la femme violés ; tout va très bien. Les sans-abris et la crise ; tout va très bien. On se tue à Gaza, prison à ciel ouvert ; tout va très bien. En Syrie ? Tout va très bien. En Egypte, au Mali, au Congo, à Madagascar ; tout va très bien. La criminalité organisée elle aussi se mondialise, trafic de filles pour la prostitution, meurtres en série, corruption des pouvoirs légitimes ; tout va très bien. Les scandales de pédophilie, les abominations du fondateur des Légionnaires du Christ, les vols d’enfants en Espagne. Tout va très bien. Ne trouvez-vous pas que ce coucher de soleil sur la mer est superbe ?
Voilà pourquoi nous attendons le Seigneur. Non pas pour demain, mais aujourd’hui. Non pas le bras ballants, mais les manches retroussés pour dénoncer le mal, soulager les souffrances, combler quelques ravins et araser deux ou trois montagnes. Mais c’est un travail de titan, il faut sans cesse recommencer, tout semble renversé en un claquement de doigt. Voilà pourquoi, alors même que nous nous démenons, nous espérons, voilà que nous démenons pour espérer : tout homme verra le salut de Dieu.
C’est la prophétie du Baptiste. On ne sait encore rien de Jésus. L’évangile de Luc commence à peine. Les deux chapitres de l’enfance n’ont rien de descriptif et là où nous en sommes, on n’a pas encore vu Jésus. C’est mieux que Molière. Luc retarde l’entrée du personnage principal pour qu’on l’attende davantage Avec ce début de chapitre 3, on parle de lui, on exprime son attente, une attente dont l’issue imminente rend le retard intenable.
Est-ce vrai ? Tout homme verra-t-il le salut de Dieu ?
Et nous, l’avons-nous vu ? Le voyons-nous ce salut ?
Si vous le cherchez, un indice. Il est là où l’on meurt. J’ai vu la misère de mon peuple dit Dieu à Moïse. Jésus est pris aux entrailles devant ces foules qui sont comme des brebis sans berger. Si tu veux voir le Sauveur, ouvre les yeux sur la détresse de tes frères. Là, tu le verras. Tout homme qui court au secours de son frère, assurément, voit le salut de Dieu.

01/12/2012

Jésus... et ses membres

" Tout est tiré de la règle commune à savoir l'Evangile, et l'homme ne sera pas sauvé sauf un, à savoir le Christ Jésus, avec ses membres."

Sentence d'Etienne de Muret (+ 1124) dans le Livre sur la doctrine ou Livre des sentences. (Cité par J. Dalarun, Gouverner c'est servir, Alma, Paris 2012, p.177).

Pas de règle sinon l'Evangile.
Pas de sauvés, sinon Jésus. On veut ajouter des points de suspension, sinon Jésus... et ses membres.
Tout est dit de l'Eglise... par un ermite.

Le paradis c'est maintenant ou jamais (1er dim avent)


Avec l’évangile de Luc que nous lisons aujourd’hui (Lc 21, 25-28.34-36), le temps de l’avent ne tourne pas nos pas vers Noël, mais vers la fin des temps. Commencer l’année liturgique avec cet évangile c’est désigner la fin des temps. Commencer l’année, c’est être projeté dans l’apocalypse.
Ainsi que le chante la préface, le temps de l’avent n’est pas tant l’attente de la venue de Jésus, c’est déjà fait, « il est déjà venu », que l’attente de son retour « il viendra de nouveau ». Nous n’allons tout de même pas nous préparer à la naissance de quelqu’un mort il y a 2000 ans !
Ou, pour le dire autrement, ce qui se joue en cette naissance, ou plutôt en cette mort, c’est la fin des temps. Depuis ce vendredi du calvaire, le temps a touché à son terme. Il a atteint son point culminant et jamais plus ne pourra le quitter. Dieu habite chez les hommes jusqu’à épouser leur mort. L’éternité de Dieu entre dans le temps et l’achève.
Cela ne signifie pas que le temps se serait arrêté, cela va de soi, nous le constatons. La fin des temps en Jésus n’est pas la fuite dans un autre temps, le discrédit de ce monde, mais la transformation de ce monde et de son temps. Il n’y a pas d’arrière monde chrétien, de paradis pour demain. Le Paradis, c’était en Eden, là où se lève le soleil, au commencement.
Avec la mort de Jésus, le Paradis c’est ici et maintenant, parce que c’est ici et maintenant que Dieu s’offre pour que nous puissions vivre avec lui. S’il y a un sens à parler de Paradis, n’est-ce pas précisément à dire la vie de l’homme avec Dieu, la vie de l’homme divinisé par la fréquentation de son Dieu ? Or cela, pour les disciples de Jésus n’est pas une autre vie, après la mort, mais la vie même que nous vivons ici et maintenant.
J’en conviens, cela ne saute pas aux yeux. Mais ce n’est pas une raison pour projeter, dans un lendemain dont nous ne savons rien, les espoirs perdus et les soifs de vengeance ou du moins de revanche.
L’affirmation chrétienne de la vie éternelle qui n’est pas vie après la mort, mais vie avec Dieu, ici et maintenant, vie divinisée déjà commencée, est risquée. Puisque l’aujourd’hui n’a pas substantiellement changé ‑ on continue de mourir, d’opprimer et de tuer – la divinisation pourrait n’apparaître que comme une fumisterie. Est-ce pour cela que nous préférons faire de l’avent l’attente d’un événement vieux de 2000 ans ? Cela au moins ne risque pas d’être contesté !
 Si rien ne change avec la fin du monde inaugurée par la mort de Jésus, alors, cette fin du monde est-elle effective ? L’Evangile qui l’annonce a-t-il quelque intérêt ? Il se pourrait que la sécularisation ait trop bien retenu l’annonce chrétienne et son échec, les deux en même temps. En retenant l’échec, elle ne porte plus crédit à l’annonce elle-même, à la divinisation de l’aujourd’hui. Et il n’est pas certain qu’on puisse le lui reprocher. En retenant l’importance de l’ici et maintenant comme lieu du destin de l’homme, elle a entériné qu’il n’y avait pas d’autre monde, que ce monde était l’unique champ de réalisation de l’homme.
Autant dire l’urgence prophétique à maintenir l’avent comme attente de la fin des temps et ne pas perdre de temps, ne pas se distraire à attendre une naissance bien trop vieille pour qu’on puisse encore l’espérer. Car si nous rendons sensée cette attente de la fin, quand bien même nous proclamons, dans les actes et les paroles, que nous vivons déjà en cette fin, alors, nous continuerons à proclamer qu’il n’y a pas d’autres lieux que la vie de ce monde pour la sainteté, pour la divinisation de l’homme, sans recourber la vocation humaine à un appel seulement intramondain, se fît-il entendre de façon transcendante par rapport à nos existences singulières, par la voix de la conscience, le décryptage d’un sens de l’humanité ou l’impératif des droits de l’homme.
Il ne nous reste pour attester de l’évangile qu’à accueillir la divinisation. Et c’est sans doute cela Noël, il s’est fait cela-même que nous sommes, homme, pour faire de nous cela-même qu’il est, Dieu. Si l’Esprit habite en nous, cela finira bien par se voir. Par notre attente d’un monde définitivement réconcilié, d’un monde qui a déjà atteint sa fin ‑ la réconciliation de tous, avec et par Dieu – nous voulons être les prophètes que même ce qu’il y a de meilleur en l’homme ne suffit pas à dire la vocation de l’homme, car cette vocation est divine, la vie même de Dieu.