31/12/2011

Pour quelques vœux ou prières (31 décembre)


On attribue à Rabbi Levy Itshak de Berdichev (1740-1809) l’histoire suivante :

C’était un jour de Kippour. Un jeune garçon gardait les oies qu’on lui avait confiées. Tandis qu’il s’adonnait à sa tâche, il récitait à haute voix les lettres de l’alphabet. Et il ajoutait : « Ô mon Dieu, tu sais que je ne sais pas lires parce que ne suis pas allé à l’école. Je ne sais pas prier. Tout ce que je peux faire, c’est lancer verts toi les lettres qui forment les mots de la prière, et je suis convaincu que toi, ô mon Dieu, tu sauras les mettre dans le bon ordre et former les mots qui expriment les souhaits qui emplissent mon cœur ; je suis convaincu aussi que toi, ô mon Dieu, tu sais mieux que moi ce que je désire. Puisses-tu m’accorder, ô mon Dieu, ce qui sera bon pour moi, pour ma famille, pour ma communauté, et pour tout Israël ». Et il ajoutait : « Tout ce que je sais faire, c’est garder des oies. Si toi, ô mon Dieu, tu avais des oies à garder, je serais honoré de pouvoir te témoigner mon amour en les gardant… et je serais tellement heureux de le faire que je le ferais sans demander à être payé. » (Rapporté par le Rabbin Daniel Gottlieb sur un site internet à son nom.)

24/12/2011

Avec Noël, il n'y a plus de séparation entre l'humain et le divin


J’ai lu ces derniers jours les conférences que le jeune théologien Ratzinger avait données, année après année, sur chacune des quatre sessions conciliaires. Ces textes viennent d’être traduits en français et offrent une bonne manière de se préparer à célébrer les cinquante ans de l’ouverture du second concile du Vatican, le 12 octobre 1962.
Le Père Ratzinger discerne deux phases dans le concile. « On pourrait appeler la première phase, écrit-il, celle de l’incarnation. On redécouvre dans l’incarnation un aspect central du christianisme, et on en fait le point de départ de toute la construction théologique. » Alors que nous célébrons la venu dans la chair du fils de Dieu, son incarnation, nous ne pouvons pas ne pas être attentifs à ces lignes.
« Le Dieu des chrétiens, le Dieu fait homme, n’est pas un Dieu de l’autre monde, écrit encore le théologien, mais précisément un Dieu de ce monde-ci. Le Royaume des cieux annoncé par le Christ est en vérité une action de Dieu qui concerne ce monde, et non un lieu au-delà de lui. »
Cela nous paraît aujourd’hui une évidence, mais les siècles d’opposition entre le monde moderne et l’Eglise avaient pu le faire oublier. Le concile dépasse le conflit en méditant sur l’incarnation, entrée de Dieu dans le monde, habitation de Dieu dans le monde.
« Cette prise de conscience, poursuit Joseph Ratzinger, a conduit à un christianisme humain, vital, ouvert au monde, en un mot, ce que l’on a pris l’habitude d’appeler un christianisme incarné : un christianisme qui ne se perd pas dans les mortifications, la fuite du monde et l’attente de l’au-delà, mais qui s’ouvre avec sympathie au monde et s’insère dans la vie d’aujourd’hui, se réjouit de tout ce qui est beau, noble et grand, et y découvre la trace des valeurs chrétiennes qui, elles-mêmes, doivent de nouveau prendre chair et se réaliser comme une responsabilité à l’égard de notre époque. »
A cet optimisme aurait succédé d’après notre auteur une deuxième phase qu’il dit critique et qu’il appelle « eschatologique ». L’incarnation n’aurait pas tout dit de la foi. La croix est jugement du monde. Ce monde n’est pas le paradis et l’évangile de la croix est signe de contradiction et dénonce le monde dans son injustice. Le futur Pape se fait le partisan de cette critique. Il interprète les violentes secousses que connaît l’Eglise comme une conséquence de l’optimisme conciliaire et de cette théologie de l’incarnation.
Il fait alors remarquer ce que nous ne pouvons que confesser ce soir. La croix est source de l’incarnation. Noël est conséquence du mystère pascal, de la mort et de la résurrection. La naissance de Jésus vient en quelque sorte après sa mort, aussi curieux que cela puisse paraître. Sans Pâques, Noel est impossible. « Le thème de l’incarnation est même déjà une théologie de la croix, car l’incarnation signifie déjà que Dieu se livre lui-même. »
Mais l’articulation comme inversion du temps entre Noel et Pâques se transforme subrepticement en une opposition entre théologie de la croix et théologie de l’incarnation. Le jeune théologien semble ne pas voir ou ne pas vouloir voir le problème. Derrière la faute logique se cache ce que le concile avait précisément en vue, quand bien même il n’a pas su réponde au défi, l’annonce de l’évangile dans un monde sans Dieu.
Il ne s’agit pas de choisir entre deux théologies, de la crèche ou de la croix, mais de repositionner la foi dans le monde moderne, un monde qui ne se définit plus religieusement. Ce n’est plus l’Eglise qui s’oppose au monde moderne ‑ elle n’en a plus les moyens et risque plutôt de finir dans un sectarisme identitaire. Même pour nombre de chrétiens, ce monde n’a pas besoin de Dieu pour se comprendre. Nous avons changé de monde. On peut regretter le monde religieux, mais il n’est plus. Si nous ne savons faire entendre l’évangile dans le monde d’aujourd’hui, il ne résonnera nulle part car il n’y a pas d’autre monde.
Or avec l’incarnation, avec le Dieu fait homme, la distinction entre l’humain et le divin n’a plus de sens. La confusion n’en a pas davantage. Fêter Noel, c’est mettre en crise, critiquer, la séparation bien pratique du monde de Dieu et du monde de l’homme. Avec l’incarnation, ne se reconnaît plus ce qui est humain et divin, et l’inhumain de la loi du plus fort est scandale. Le jugement dernier de Mt 25 illustre cela : Chaque fois que vous l’avez fait ou pas à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait ou pas fait.
Il ne s’agit pas de se réfugier par une naïveté coupable dans les valeurs mondaines. La Croix constitue toujours le jugement du monde. Mais en aucun cas, elle ne légitime un repli identitaire. Il ne s’agit pas d’évacuer le jugement. J’attends le jugement, le non définitif de Dieu au mal et je ne l’ai jamais autant attendu depuis que je connais les abus de pouvoir de la hiérarchie ecclésiastique, absolutisme inadmissible. Les lourdes décisions que ces hommes prennent sans écouter personne leur vaudront, je ne peux que l’espérer, un jugement. Je ne l’ai jamais autant attendu que depuis que j’ai vu la pauvreté et l’injustice à Madagascar, que depuis que j’ai compris ce qu’est l’horreur du crime.
Mais si Dieu se fait homme, c’est pour justifier ce monde, non lui donner raison, mais le rendre juste. Si Dieu se fait homme, non pour condamner, mais en aimant jusqu’à l’extrême, comme à la croix, c’est en ne retenant rien du rang qui l’égalait à Dieu.
Ne nous importe pas, avec Noel, de savoir ce qui est chrétien, même si dans la venue du Fils en la chair, le jugement est plus proche que jamais. Ne nous importe avec Noel que la vie de l’humanité. « Je suis venu, dit Jésus, pour que les hommes aient la vie et qu’il l’aient en abondance. » Nous importe la dénonciation de l’injustice pour que les hommes vivent.
Fêter Noel, c’est oser croire que la vie aura le dernier mot. C’est donc exactement fêter la mort et la résurrection du Seigneur.

21/12/2011

Benoît XVI et les victimes de prêtres pédophiles

Pourquoi Benoît XVI ne parvient-il pas à stopper les demandes de reconnaissance des victimes d’acte de pédophilie commis par des prêtres ? Les raisons sont multiples et sans doute pas toujours honnêtes. Il y a là en effet une bonne manière de mettre l’Eglise à terre, dans les média ou financièrement, en réclamant toujours plus. Les victimes se débrouillent comme elles peuvent avec la haine de l’Eglise qu’elles éprouvent parfois, trahies qu’elles ont été par des membres de cette Eglise. Mais les victimes sont aussi instrumentalisées y compris par ceux qui prétendent les défendre, en réalité exclusivement engagés à détruire l’Eglise.
Les victimes peuvent aussi trouver finalement confortable un statut de victime, jamais assez reconnu, qui donnerait droit à tout. Comme si la rémission passait par cette forme de rachat, de marcher : puisque j’ai tant souffert, désormais plus rien ne peut m’être refusé.
Quand on aura écarté, si c’est possible, toutes ces raisons fallacieuses ou pathologiques, restera que les victimes n’auront pas leur compte par l’actuelle attitude du Pape, malgré tout ce qu’il a déjà fait. Pourquoi ?
Premièrement, aux yeux des victimes mêmes, le drame vécu demeure incompréhensible, et ce d’autant plus qu’il est souvent compris comme drame que bien des années après les faits. Pourquoi trente ans, cinquante ans après les faits, la douleur apparaît au point de devenir insupportable et demeure dès lors présente ? Pourquoi le mal demeure-t-il efficace ? On se remet d’une douleur, voire d’une amputation. On a mal sur le moment et de moins en moins au fils du temps. Il semble que l’on ne se remette pas d’un viol, surtout si l’on a été victime enfant. C’est la double peine, pour ne pas dire la peine perpétuelle, sans cesse renouvelée. Non seulement il y eut viol mais il y a encore l’efficience inextinguible du viol. L’histoire de la victime est l’histoire de l’efficience du mal. Sa vie rejoue sous forme d’échec à la relation ce qui a été une fois pour toute cassé. Il n’est pas montré que l’analyse permette d’en sortir ; au mieux permet-elle d’apprendre que ce n’est pas vrai, l’histoire de la victime n’est pas l’histoire de l’efficience du mal. Mais si déjà un mal de dents empêche de penser à quoi que ce soit, on imagine que le travail analytique n’est pas petit à apprendre à voir autre chose que ce mal incurable.
Deuxièmement, les victimes veulent non pas seulement savoir que le Pape a rencontré des victimes, mais voir le Pape tomber sous le coup des blessures. Il ne s’agit pas de voyeurisme ou de plaisir à voir souffrir. Il s’agit de fidélité à l’évangile. Le Christ tombe en portant la croix. C’est trop lourd tout ce mal. Les mots ne suffisent pas. Rien ne suffit, c’est pourquoi la seule limite dans la requête consiste à ce qu’il n’y ait pas possibilité de demander plus parce qu’il n’y a pas possibilité de faire plus. Reconnaître malgré tout ce que l’on a fait que l’on ne peut rien faire. Manifester que l’on est allé au bout, à l’extrême de ce qu’il était possible de faire. Tomber sous le poids du fardeau. Manifester l’impuissance.
Qui s’étonnerait de voir le Pape traversant les allées sinistres d’un camp de concentration, ployant sous le poids de l’horreur ? Qui trouverait à redire à ce que le Pape visite des femmes violées ou des rescapés défigurés au Rwanda ou ailleurs ? En ce qui concerne la pédophilie, craignant une publicité malsaine, l’entretien avec les victimes se fait hors micros et caméras. Mais notre Eglise a été entraînée par certains de ces ministres dans une humiliation que le Pape ne sait pas encore porter.
L’Eglise a autre chose à faire que de s’auto flageller. Ce serait encore un comportement narcissique. Mais le Pape, évidemment innocent des ces crimes, lui-même mis à terre par l’horreur (ce qui ne l’empêche pas pourtant de s’adresser encore au bourreau, du moins tant que celui-ci lui en laisse la possibilité), c’est l’évangile vécu jusqu’à l’extrême, Jésus inconditionnellement du côté des victimes jusqu’à ne plus pouvoir rien faire et à en mourir. Sa vie est dénonciation du mal, jugement. Sa vie nouvelle est issue pour lui et pour tous ceux que leurs frères ont massacrés, plus encore, entrée dans la justice et la paix.

17/12/2011

Quelle parole nous bouleversera ? (4ème dimanche de l'Avent)

A cette parole elle fut toute bouleversée.

Une parole de Dieu nous a-t-elle déjà bouleversés ? Quelle parole de Dieu serait susceptible de nous bouleverser ? De la réponse à ces questions pourrait dépendre notre foi, ou du moins la réponse à ces question pourrait constituer un thermomètre de notre foi.

Les textes de ce jour rapportent une même parole qui a bouleversé un homme, David, et une femme, Marie. Quelle est cette parole ? Dieu vient habiter chez les hommes.

Est-ce une bonne nouvelle que Dieu habite chez nous ? Sommes-nous bouleversés à l’entendre ? Si non, peut-être ferions-nous mieux de partir tout de suite. Qu’avons-nous à faire ici si nous n’avons rien à faire de l’habitation de Dieu chez nous ?

Si nous ne sommes pas bouleversés, il se pourrait que nous soyons des blasés. En d’autres termes, nous ne serions plus vierges. Plus qu’une histoire anatomique, la virginité, y compris après la naissance d’un enfant, ne dit-elle pas la capacité à se laisser sans cesse étonner, bouleverser ? A part les obsédés sexuels, personne ne pense que la virginité de Marie est une histoire d’hymen ! Et comment cela pourrait-il l’être si cette virginité est confessée avant, pendant et après la grossesse ?

La virginité dit la capacité à entendre l’inouï, forcément bouleversant. La virginité de la parturiente dit la présence de Dieu dans l’humanité. Elle ne renseigne pas sur une femme et sa vie intime. C’est indécent ! Elle dit la nouveauté, bonne, d’une parole inouïe : Dieu habite chez les hommes.

Alors David entre dans sa chapelle, si je peux dire, et vient rendre grâce, faire eucharistie. Alors il comprend qui il est, tout aussi bouleversant, le bien-aimé de Dieu. Lorsque la parole entre dans nos vies et les féconde, terres vierges, qui s’ingénient à l’étonnement, à l’écoute, ces vies se font action de grâce, eucharistie, réponse : Voici la servante du Seigneur.

Que Dieu se présente et l’homme est serviteur. Faut-il s’en réjouir ? Que gagnons-nous à être asservis ? Servir le Seigneur signifie servir le frère. Et celui qui s’estimerait diminuer à servir les autres montrerait précisément qu’il est blasé, qu’en dehors de lui, il n’y a rien ni personne qui l’intéresse, qu’il est un vieux tas de chair usée, jusqu’à la corde, plus capable de rien.

Dieu avec nous, cela signifie nous avec les autres. Dieu avec nous signifie nous au service des autres. Et qui d’entre nous pourrait ne pas être bouleversé en voyant ce qu’il y a à faire pour le service des autres, dans le secours ou plus quotidiennement dans la présence aimante et bienfaisante ?

Dieu avec nous. Dieu à tes côtés. Dieu à nos côtés. Comment ne serions-nous pas bouleversés ? Pensez-y !

Et pourtant, dira-t-on, l’on voudrait bien être étonné, bouleversé. Mais si c’est pour constater la vanité, la vacuité de cette parole, on sera déçu, pire, on se sentira trompé, floué. Pourquoi se laisser bouleverser si cela n’a pas de sens un Dieu avec nous ? Et où le voyez-vous ce Dieu avec vous ?

Nulle part. Si l’on vous dit, il est ici, n’y allez pas ! Il est là, n’y courrez pas ! (Lc 17,23) La présence de Dieu chez les hommes, on peut très bien ne pas la voir. L’homme est depuis toujours habité par Dieu, qu’il le sache ou non. L’homme, c’est l’habitat de Dieu, depuis toujours. C’est tellement commun, qu’il n’y a rien d’étonnant ou de bouleversant. C’est tellement cela l’homme, la demeure de Dieu, que l’on peut ne pas parler de Dieu pour parler de l’homme.

Depuis les origines du monde, l’Esprit féconde la terre comme le sein d’une vierge, préparant le jour où enfin il naîtrait, homme au milieu des hommes. Si la naissance du Fils ne change rien, c’est parce que sa présence n’est pas nouvelle ; vient seulement, à ceux qui ne la connaissaient pas, cette bonne nouvelle de ce que depuis toujours, Dieu habite chez les hommes. Et pareille nouvelle nous bouleverse, comme une déclaration d’amour, comme une espérance insoupçonnée, victoire de la vie.

Il s’agit seulement d’être bouleversé par la grandeur qui habite l’homme au point d’être sa propre grandeur. Dieu est la grandeur de l’homme.

Comment ne serions-nous pas bouleversés, comment cela ne changerait-il pas tout pour nous, à entendre cette parole : Dieu habite chez les hommes ? On comprend qu’à cette parole la nouvelle Eve, Mère des vivants, humanité restaurée, fut toute bouleversée.

Textes du 4ème dimanche de l’Avent B : 2 Sa 7 ; Rm 16, 25-27 ; Lc 1 26-38

10/12/2011

Noël : Naissance ou Mort et résurrection de Jésus ? (3ème dim. Avent)

L’évangile présente le témoignage du Baptiste. Jésus a alors une trentaine d’années. Nous sommes bien loin de Noel, bien plus proches de la passion. C’est d’ailleurs ce qui rend si délicate la compréhension du prologue de l’évangile de Jean. « Et le verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » doit-il s’entendre de ce que l’on appelle l’incarnation ? Et cette incarnation est-elle la nativité du Seigneur ?

Ces questions sont d’autant plus légitimes que lorsque les écrits du nouveau testament utilisent le psaume deuxième : « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré », c’est majoritairement pour parler de la résurrection de Jésus, certes naissance, mais à une vie nouvelle. N’oublions pas en outre que l’on ne s’est mis à célébrer noël qu’au 4ème siècle. Ce qui est premier, central, et même unique dans la célébration de la foi, c’est la mort et la résurrection du Seigneur.

Et voilà ce dont parle le Baptiste : quelqu’un qui, contrairement à lui, ne baptisera pas dans l’eau. On ne dit pas de quel baptême il s’agit. Dans l’évangile de Jean, le baptême renvoie toujours au Baptiste, même si Jésus aussi baptise. Toutes les mentions se situent au début de l’évangile. Le baptême ne désigne pas la mort et la résurrection de Jésus. Il désigne un moment de la vie de Jésus, sa phase baptiste. Le vocabulaire baptiste est introduit pour être mieux abandonné, pour mieux inviter à passer à autre chose.

En effet, il semble que Jésus ait d’abord été un disciple de Jean, avec une compréhension originale du judaïsme, une compréhension éloignée de Jérusalem, du temple et des sacrifices, une compréhension qui, à la suite des prophètes, comprend le véritable sacrifice comme conversion du cœur. Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé.

L’évangéliste fait passer le relais à Jésus par le Baptiste lui-même. C’est lui qui, assez explicitement, orientent ses disciples vers Jésus, indique le chemin, validant ce que l’on pourrait appeler une dissidence de Jésus.

La conversion prêchée par le Baptiste dans un bain qui lave et restaure ne va pas assez loin. La démarche de conversion des hommes et une chose, le don de la vie en est une autre. C’est pour ce don de la vie que Jésus est venu, pour que le monde vive. « Dieu a envoyé son fils dans le monde, non pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde ait la vie. » « Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. »

Toutes ces remarques, loin de noël, loin de la stratégie de cousinage inventée par Luc, loin de la naïveté à laquelle nous réduisons l’incarnation pour être plus sûr de ne pas y croire, loin de ce que nous apprenons dans les catéchismes, ces remarques qui nous éloignent du Baptiste, quel but poursuivent-elles ? Le découpage de notre texte ne favorise guère d’autre possibilité que de se rabattre sur le verset final : « Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas. »

Cette phrase peut-elle ne concerner que ceux qui interrogent le Baptiste ou demeure-t-elle d’actualité ? Qui connaît celui qui se tient au milieu de nous ? Sans doute, l’évangéliste dirait-il que le trajet de son texte mène à la connaissance de celui qui se tient au milieu de nous. Mais alors, si la connaissance est celle de disciples, elle n’est pas une question d’identité, ou du moins pas de celle de celui qui est au milieu, éventuellement de ceux au milieu desquels il se tient, nous. Elle est plutôt, la question, pour nous disciples, celle que l’on pourrait traduire ainsi : De qui tenez-vous ? Par qui tenez-vous ? Comment vivez-vous ? Celui qui est se tient au milieu n’est connaissable que pour autant qu’il est reconnu comme celui qui fait vivre, celui qui nous fait nous tenir.

Alors effectivement, il est question de naissance, ou de vie et de mort, c’est la même chose. Déserter la conversion en tant qu’elle pourrait nous occuper, nous distraire comme dirait Pascal. Déserter les occupations même très bonnes pour choisir de reconnaître, choisir d’accueillir celui qui se tient au milieu de nous et ainsi tenter de le connaître, c’est-à-dire de vivre.

Même si nous frôlons le discours gnostique, nous en sommes loin. Connaître Jésus Christ et celui qui l’a envoyé, c’est cela la vie, ainsi que le dit la prière de Jésus à la fin de l’évangile de Jean. Une connaissance qui donne la vie, mais une connaissance qui n’est pas un savoir. Une connaissance qui n’est pas une réponse de catéchisme. « Il ne suffit pas de me dire : Seigneur, Seigneur ! pour entrer dans le Royaume des cieux » dit Matthieu. Il ne sert à rien de ce point de vue de diffuser Youcat ou autre pour une nouvelle évangélisation. Connaître celui qui se tient au milieu de nous c’est l’accueillir.

Le Baptiste indique le chemin, reste à se mettre en route et à demeurer en chemin.


Textes du 3ème dimanche de l'Avent B : Is 61, 1-2, 10-11; 1 Th 5, 16-24; Jn 1, 6-8, 19-28

06/12/2011

La parole de Dieu (50 ans Vatican II n°4)

1. Parole de Dieu, Ecritures, tradition

Qu’est-ce que la parole de Dieu ? Le livre des Ecritures en porte la trace ainsi que l’Eglise en prière le confesse à chaque acclamation de l’évangile. Au ministre qui lève le livre, l’assemblée répond en exprimant sa foi : Louange à toi Seigneur Jésus. Elle ne répond pas quelque chose du genre : oui, louons cette parole mais elle se tourne vers Jésus et s’adresse à lui, le Verbe de Dieu, sa parole. Le petit dialogue liturgique montre bien que le texte n’est pas la parole de Dieu mais ce qui « communique » cette parole (§ 21). Et, si la règle de la prière est règle de la foi, alors la conception chrétienne des Ecritures n’est en rien fondamentaliste. Les Ecritures ne sont pas dictées par Dieu, elles ne sont pas des oracles et les écrivains sacrés sont de vrais auteurs, avec toute la liberté et la créativité que cela suppose[1].

Beaucoup demandent, et déjà Saint Augustin il y a quinze siècles, comment la violence de ces textes et leur particularisme (enracinement dans une culture grandement étrangère) s’accordent avec une parole prétendue divine. Leur interprétation est nécessaire (§ 12). A la suite des tout premiers chrétiens, le premier testament est notamment compris comme une prophétie de ce qui arrive en Jésus (Cf. Lc 24,7, 2 Co 3, § 16). Les méthodes contemporaines et profanes (histoire, théories du récit, etc.) offrent d’indispensables outils de lecture (§ 12 )[2].

Les Ecritures sont lues en Eglise. C’est ce que l’on appelle la transmission ou tradition de cette parole (§ 8), le savoir faire et la vie de la communauté à chaque époque et partout qui permet de passer de la lettre morte à la parole qui fait vivre aujourd’hui. C’est dans la tradition que les Ecritures sont reçues et transmises pour être le pain de vie (§ 21) ; c’est en elle aussi qu’elles ont été produites. De façon seconde, ce que l’Eglise par son écoute et sa mise en pratique des Ecritures au long des siècles a fixé de leur sens dans des rites et des dogmes s’appelle aussi tradition, qui n’est plus alors le fait de transmettre mais ce qui est transmis. La tradition pourtant n’est jamais une source de la vérité à côté des Ecritures, mais leur milieu et leur vie. Il n’y a qu’une seule source, les Ecritures, sola scriptura. Malgré les nombreuses mentions de l’Esprit Saint ou de l’inspiration, Dei Verbum n’explicite pas le lien entre Esprit et parole de Dieu, ce qui fixe certes de trop Parole et tradition dans une lettre.

Qui dit interprétation dit pluralité des sens voire conflit des interprétations. Les évêques sont les garants d’une interprétation fidèle. « Pourtant, ce magistère n’est pas au-dessus de la parole de Dieu, mais il la sert, n’enseignant que ce qui lui fut transmis, puisque par mandat de Dieu, avec l’assistance de l’Esprit saint, il écoute cette parole avec amour, la garde saintement et l’expose avec fidélité. » (§ 10)[3] Contrairement au § 10-3, d’une nouveauté non traditionnelle, le magistère ne constitue pas une troisième instance à côté des Ecritures et de la tradition.[4]

Le schéma préparatoire de Dei Verbum s’entêtait dans la polémique anti-protestante, valorisant la tradition pour en faire la seconde source de la révélation. On a pu considérer qu’avec le rejet de ce schéma en fin de première session (20 11 1962) s’achevait l’âge de la Contre-Réforme. Le texte totalement retravaillé est voté à la fin du concile, le 18 11 1965.

2. La révélation, vérités éternelles, monde moderne

Contrairement à une opinion reçue, encore perceptible dans le texte, la révélation n’est pas un contenu de vérités, abstraites et immuables, qui s’imposerait d’autorité, révélé qu’il est par Dieu, ni des connaissances surnaturelles[5] que la raison ne saurait atteindre par elle-même. La révélation c’est Dieu lui-même qui se donne à connaître dans l’histoire, comme dans une conversation amicale, pour que les hommes aient la vie[6]. Dieu ne s’adresse pas à l’homme pour l’informer sur ce qu’il est, mais pour l’associer par amour à sa vie divine.

Ainsi est retracée l’histoire du salut (§ 3-4). La tentative d’abandon du vocabulaire technique de la théologie et l’adoption du style biblique, liturgique et patristique modifie la manière de croire et de faire de la théologie et a donc une portée dogmatique. C’est que les Ecritures sont comme l’âme de la théologie (§ 24). Les traités théologiques ne peuvent pas être séparés les uns des autres comme si l’Eglise ou la révélation n’avaient pas de rapport avec le Christ, comme si pastorale et dogmatique ou théologie et spiritualité s’opposaient, etc. Une « concentration christologique » rapporte toute affirmation de foi à Jésus. « Dites au monde que la divine révélation c’est le Christ ! » (Cf. § 2). Jésus est l’évangile de Dieu[7] par ses paroles et aussi par toute sa vie (§ 17). A partir du XVIIe siècle l’histoire (et la science) conteste la vérité des Ecritures et de la foi, l’Eglise se crispe dans un anhistoricisme selon lequel si vérité il y a, elle ne peut qu’être toujours la même, éternelle, tout comme Dieu qui est la vérité. Le concile sort enfin de ce conflit entre histoire et dogme, entre foi et modernité.

Reste que le style biblique risque d’apparaître mythologique si l’on ne permet pas à une culture technico-scientifique (même très vulgairement) d’accéder à une intelligence symbolique. Qu’est-ce que cela veut dire, un Dieu qui parle, un Dieu qui intervient dans l’histoire des hommes ? Dei Verbum ne marque pas la différence de genres littéraires entre son propre exposé et le texte biblique, enfermant du coup ce dernier dans un premier degré ou une naïveté qui ne sont plus acceptables. Or dire que Dieu parle, c’est surtout dire qu’il ne parle pas… comme nous parlons ; car dans toute analogie, en théologie, il y a toujours plus de dissemblance que de ressemblance. Dieu demeure inconnu même quand il se révèle. Dieu, que les religions et l’athéisme connaissent si bien, demeure l’inconnu que quête le croyant. La révélation doit comporter une critique de la révélation pour demeurer chrétienne.

Dei Verbum amorce pour l’Eglise, officiellement du moins, une lecture de l’évangile dans une culture sécularisée, c’est-à-dire non religieuse, où Dieu n’est pas évident. La nouveauté dogmatique de Vatican II réside dans cette amorce. On ne peut plus parler anhistoriquement de la vérité chrétienne ni l’annoncer sans tenir compte de ceux à qui l’on s’adresse. La pastoralité est la clé de la dogmatique. Ceci est un acquis proprement dogmatique. Certains parlent d’une « sécularisation interne » du catholicisme ; l’évangile exprime bien sûr la foi mais dans une culture non-religieuse. D’autres parlent de « la sortie du catholicisme » par l’Eglise catholique, le catholicisme étant cette forme très centralisée que prend l’Eglise après la Réforme et qui n’existe pleinement qu’à partir du XIXe voire avec le code de 1917. Cela effraie de nombreux chrétiens et suscitent des réflexes identitaires. C’est peut-être au contraire la chance de l’Eglise et de l’accueil de la parole de Dieu.

3. Pour aller plus loin

En quoi ces lignes aident à mieux comprendre les Ecritures ?

Que penser de la diversité de sens des Ecritures ? Comment articuler les différents sens, notamment sens historiques et sens théologiques ?

Que signifie que Dieu parle ? Que penser de la distinction Ecritures / Parole de Dieu ?

Comment penser ensemble vérité et histoire ?

Pour quoi penser ensemble vérité, révélation et salut ?



[1] « En vue de composer ces livres sacrés, Dieu a choisi des hommes auxquels il eut recours dans le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que, lui-même agissant en eux et par eux, ils missent par écrit, en vrais auteurs, tout ce qui était conforme à son désir, et cela seulement. » (§ 11). Ce texte ne parvient pas à concilier la théorie traditionnelle selon laquelle Dieu est l’auteur des Ecritures (c’est lui qui par amour se dévoile et fait alliance) et la théorie, historienne, qui reconnaît l’autonomie des auteurs.

[2] Pie XII l’avait reconnu pour la première fois en 1943 dans son encyclique Divino afflante Sprititu.

[3] Lorsqu’on ordonne un évêque, on tient le livre des Ecritures ouvert sur ses épaules.

[4] « On s’est mis d'accord, avec quelques corrections, sur un texte que je ne trouve pas bon. [...] En particulier le n° 5 du projet me paraît mauvais : la tradition y est présentée comme confiée au MAGISTERE, non à l'Eglise. [...] Cela ne collera sans doute pas non plus avec le schéma De Ecclesia » (Y. Congar)

[5] Le mot surnaturel est volontairement écarté ; son absence marque un changement de théologie.

[6] « Il a plu à Dieu, dans sa bonté et sa sagesse, de se révéler lui-même et de faire connaître le mystère de sa volonté (Cf. Ep 1,19) grâce auquel les hommes, par le Christ, le Verbe fait chair, accèdent dans l’Esprit Saint au Père et sont rendus participants de la nature divine (Cf. Ep 2,18 ; 2 P 1,4). Ainsi, par cette révélation, le Dieu invisible (Cf. Col 1,15 ; 1 Tm 1,17) s’adresse aux hommes dans son amour ainsi qu’à des amis (cf. Ex 33,11 ; Jn 15,14-15), s’entretient avec eux (Bar 3,38) pour les inviter à la communion avec lui et les y recevoir » (§°2)

[7] Expression de Paul VI dans son exhortation apostolique de 1975 Evangilii nuntiani § 7.

28/11/2011

Nous ne savons pas prier comme il faut. (Pour une théologie de la prière)

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« Priez sans cesse, rendez grâce en toute circonstance, car c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus. » (1 Th 517-18)
« Chantez à Dieu dans vos cœurs votre reconnaissance, par des psaumes, de hymnes et des chants inspirés par l’Esprit. » (Col 316b)
« Que l’Esprit suscite votre prière sous toutes ses formes, vos requêtes, en toute circonstances ; employez vos veilles à une infatigable intercession pour tous les saints, pour moi aussi. » (Ep 618-19)
« Seigneur ouvre mes lèvres et ma bouche annoncera ta louange. » (Ps 5017) La prière se fait demande de savoir louer, de pouvoir prier.

Des manières d’un autre âge ?
Nous ne sommes pas des débutants. Je veux dire, il y a quelques temps que nous prions. Il y a quelques temps que nous adressons à Dieu nos demandes. Force est de reconnaître que cela ne marche guère, que cela ne marche pas.
Ne vous affolez pas. Reconnaître que la prière ne marche pas est un bon chemin pour soutenir notre prière. Mais, avec nombre d’hommes et de femmes de notre temps, nous disons notre expérience ainsi : la prière, ça ne marche pas. Je ne sais si vous avez remarqué comment dans les équipes liturgiques la rédaction de la prière universelle est délicate. Demander dimanche après dimanche la paix, alors que l’on sait bien qu’elle ne se construira pas, au moins à moyen terme. Dans notre Eglise même, combien ont prié pour que la division ne soit plus ? Combien ont prié pour qu’il n’y ait plus de nouvelles divisions ?
Fils de notre siècle, nous sommes marqués non plus d’abord par les manières de parler d’un monde religieux où Dieu ne fait pas problème. Les vieux récits bibliques ne nous sont plus accessibles au premier degré. Nous nous garderons bien de les disqualifier comme des positivistes, convaincus que nous serions de notre prétendue supériorité sur les civilisations premières. Pour entendre ces récits, il nous faut encore nous y livrer, leur faire confiance, dans une naïveté que l’on dira seconde, après la traversée de la positivité des sciences et des techniques. Certes, nous gardons aussi en nous, anthropologie fondamentale ou analytique, des mouvements archaïques. J’aime comment, sans porter de jugement moral, ces quelques lignes disent cela :
« Maintenant, il n’y a plus qu’à prier. » Il y a un stade du malheur, même si l’on est athée, où on ne peut plus que prier, ou se dissoudre entièrement. Je ne crois pas en Dieu mais je prie pour les enfants, pour qu’ils restent en vie longtemps après moi, et je mendie des prières à ma vieille tante Louise qui va tous les soirs à la messe. » H. Guibert, A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Folio, Paris 1992, p. 228
Mais s’il faut expliquer les vieux mythes, alors seule cette naïveté seconde permettra de tenir ensemble notre intelligence contemporaine et leur écoute.
« Nous ne pouvons croire qu’en interprétant. C’est la modalité “moderne” de la croyance dans les symboles ; expression de la détresse de la modernité et remède à cette détresse. […] Je crois que l’être peut encore me parler, non plus sans doute dans la forme pré-critique de la croyance immédiate, mais comme le second immédiat visé par l’herméneutique. Cette seconde naïveté peut être l’équivalent post-critique de la hiérophanie pré-critique. » P. Ricœur, Le conflit des interprétations, Seuil, Paris 1969, p. 294.

Autonomie des réalités terrestres
Ce monde post-critique pourrait être assez bien dit par l’autonomie des réalités terrestres. La nature et les sociétés se développent selon un mouvement duquel Dieu est absent, non qu’il n’aurait rien avoir avec elles, ce qui nierait la création, mais que dans le cours des choses, il n’intervient pas parce qu’elles possèdent leurs propres lois.
Si par autonomie des réalités terrestres nous entendons que les choses créées et les sociétés ont des lois et des valeurs propres que l’homme doit peu à peu apprendre à discerner, à mettre en œuvre et à ordonner, il est absolument légitime de réclamer cette autonomie : non seulement elle est demandée par les hommes de notre temps, mais encore elle correspond à la volonté du Créateur. C’est en vertu de leur condition même de créature que toutes choses ont été établies avec leur consistance, leur vérité et leur bonté propres, avec leurs lois et leurs ordres propres, que l’homme doit respecter en reconnaissant les méthodes propres à chacune des sciences et à chacun des arts. C’est pourquoi la recherche méthodique dans toutes les disciplines, si elle est menée de manière vraiment scientifique et suivant les normes de la morale, ne sera jamais réellement en conflit avec la foi, parce que les réalités profanes et celles de la foi tirent leur origine du même Dieu. Bien plus, celui qui s’efforce, avec humilité et constance, de pénétrer les secrets de la réalité, est comme conduit, même s’il n’en a pas conscience, par la main de Dieu, qui soutient toutes les réalités et les fait être ce qu’elles sont. C’est pourquoi, qu’il soit permis de déplorer certaines attitudes d’esprit qui ont existé parfois parmi les chrétiens eux-mêmes, en raison d’une perception insuffisante de la légitime autonomie de la science et qui, à la suite des conflits et des controverses suscités par là, ont amené beaucoup d’esprits à penser que la science et la foi s’opposent entre elles.
Mais si par autonomie des réalités temporelles on entend que les choses créées ne dépendent pas de Dieu et que l’homme peut en disposer sans les rapporter au Créateur, tout homme qui reconnaît Dieu perçoit combien fausses sont des conceptions de ce genre. En effet, la créateur s’évanouit sans son Créateur. Du reste, tous les croyants, de quelque religion qu’ils soient, ont toujours perçu la voix et la manifestation de Dieu dans le langage des créatures. En outre, la créature elle-même est entourée d’opacité si Dieu est oublié. (Gaudium et spes n°36)

Nous ne savons pas prier
Si notre prière est prière de savoir prier et que nous ne sommes pas exaucés comment pourrons-nous prier ? Et si nous regardions ce non exaucement en face. Et s’il nous révélait quelque chose de la prière.
Je sais bien, Paul le dit : Nous ne savons pas prier comme il faut. « L’Esprit vient en aide à notre faiblesse car nous ne savons pas prier comme il faut. » (Rm 826). Paul ne fait ici que reproduire l’attitude des disciples. « Apprends-nous à prier. » (Lc 111)
Si notre prière n’est pas exaucée, serait-ce que nous prions mal ? Que nous ne demandons pas ce qui est bon pour nous ? Mais la paix que nous demandons, la foi que nous demandons, et la charité...
Ainsi donc, comme un fonctionnaire tatillon Dieu refuserait-il un formulaire mal rempli ? Mais quel Dieu pourrait ainsi laisser mourir des milliers d’enfants sous prétexte que le formulaire serait mal rempli ? Aucun d’entre nous ne parviendrait à le remplir correctement ?
« Si vous qui êtes mauvais savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-il L’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent. Ou bien à ceux qui le prient » (Lc 1113)
Ce n’est pas la bonne piste. L’évangile lui-même le dit. Combien plus le Père céleste donnera-t-il de bonnes choses. Pas besoin d’être bon d’abord pour être exaucé. Pas besoin de sacrifice pour être exaucé. « Si j’offre un sacrifice, tu n’en veux pas, tu n’acceptes pas d’holocauste » (Ps 5018). Seule compte la bonté du Père.

Un magicien injuste ou un Dieu impuissant
Mais justement, parlons-en de la bonté du Père. Certains en bénéficieraient à Lourdes ou par l’intermédiaire de quelques défunts en attente de béatification ou de canonisation auquel le miracle qu’ils font ouvre la gloire des autels. Outre le ridicule de la procédure, son ineptie (car si quelqu’un est guéri sans que l’on sache expliquer comment, cela ne prouve absolument que Dieu où l’un des bienheureux soient les responsables de cette guérison), elle ne fait qu’en rajouter à l’horreur. Telle personne est guérie, et tant mieux pour elle, mais combien de milliers d’enfants meurent chaque jour ?
Si Dieu n’agit pas, ce n’est pas que nous prions mal. Si Dieu n’agit pas, ce n’est pas qu’il ne le veut pas, sans quoi ce Dieu serait l’injustice même, non crédible. Si Dieu n’agit pas, c’est qu’il ne le peut pas. H. Jonas a expliqué cela magistralement dans Le concept de Dieu après Auschwitz, Rivages Poche, Paris 1994, p. 34
« Pendant toutes les années qu’a durée la furie d’Auschwitz, Dieu s’est tu. Les miracles qui se produisirent vinrent seulement d’êtres humains ; ce furent les actions de ces justes, isolés, inconnus parmi les nations, qui ne reculèrent pas même devant l’ultime sacrifice pour sauver Israël, pour adoucir son sort, voire, s’il ne pouvait en être autrement, le partager à cette occasion. Je parlerai d’eux à nouveau ultérieurement. Mais Dieu, lui, s’est tu. Et moi, je dis maintenant : s’il n’est pas intervenu, ce n’est point qu’il ne le voulait pas, mais parce qu’il ne le pouvait pas. »
Déjà Platon, préférait que Dieu fût bon plutôt que tout-puissant (République 379c) :
« Dieu, puisqu’il est bon, n’est pas la cause de tout, comme on le dit communément ; il n’est cause que d’une toute partie des choses qui arrivent aux hommes, et il n’est pour rien dans la plus grande partie, car nos biens sont en fort petit nombre en comparaison de nos maux. Pour les biens, nul autre que lui n’en est l’auteur ; mais pour les maux, il faut en chercher la cuase ailleurs qu’en Dieu. »
Dans le non exaucement de la prière, ce n’est ni Dieu ni nous qui sommes en jeu. C’est la conception de la prière exaucée qui n’est pas la bonne. Je voudrais que le critère de l’exaucement soit le fait que ça marche. Ne confondrions-nous pas prière et magie ? Qu’attendons-nous de Dieu pour qu’il nous exauce ? Qu’il se comporte comme un grand magicien ? A moins que nous ne réduisions la prière à un vulgaire appareil électroménager qui donne satisfaction pour autant qu’il fonctionne. Ne se pourrait-il pas plutôt que la prière relève de la relation, comme un amour ? Que voudrait-on dire en posant la question l’amour, ça marche ou ça ne marche pas ?

De l’outil à la jouissance
Il faut le dire, la prière, cela ne sert à rien. C’est comme l’amour, c’est comme Dieu ou les amis. « Mon Dieu, mes amis ». (J. Pohier, Dieu fracture, p. 31) Et c’est justement là que réside sa dignité. L’utilité qui aujourd’hui est la valeur suprême n’est en fait que la servilité de l’outil. Les Anciens savaient que la philosophie, celle qui mène à la contemplation de Dieu, ne pouvait servir à rien. Qu’elle était son propre but, à nul autre asservie.
Augustin oppose en son De doctrina christiana utor et fruor, user et jouir. Nous n’usons pas de Dieu. Il est le terme de la quête, de la fruitio, de la jouissance. Nous reviendrons plus bas à cette érotique de la prière.
La préface commune 4 le dit encore à sa manière.
« Tu n’as pas besoin de notre louange et pourtant, c’est toi qui nous inspires de te rendre grâce. Nos chants n’ajoutent rien à ce que tu es, mais ils nous rapprochent de toi, par le Christ notre Seigneur. »
On croit entendre Irénée de Lyon :
« Ce n’est pas qu’il ait besoin de notre sacrifice, mais celui qui offre est lui-même glorifié du fait qu’il offre, si son présent est accepté. » (AH, 4, 18, 1)

Les mots dans la prière, exciter le désir
La prière change la logique, la loi du discours. Elle nous détourne de ce que nous avions prévu. Nous pensions renseigner Dieu, et voilà que c’est nous qui sommes enseignés.
« Il n’est pas nécessaire que nous présentions nos prières à Dieu pour lui manifester nos manques et nos désirs, mais pour considérer nous-mêmes qu’en eux il faut recourir au secours divin ». (Thomas d’Aquin, Somme Théologique iia iiae 83 2 ad 1um.)
« La prière n’est pas offerte à Dieu pour le fléchir, mais pour que nous excitions en nous la confiance à demander. » (Ib., art 9 ad 5um)
Nous le savons bien, nous ne sommes pas dans un marchandage avec Dieu. Nous nous tenons devant lui, prêtres que nous sommes par notre baptême.
Augustin le dit aussi, que saint Thomas avait lu. Dieu veut que notre désir s’excite dans la prière, et notre désir, la seule chose que je cherche, c’est d’habiter la maison du Seigneur. Notre désir, la seule chose, c’est la vie bienheureuse, qu’il est lui-même et qu’il ne cesse de donner, puisqu’il nous a aimés jusqu’au bout, puisqu’il s’est livré.
« Le désir prie toujours même quand la langue se tait. [J’ose dire, même quand la langue ne parle pas bien, n’exprime pas bien, ou que nous dormons, ou que nous sommes occupés à autre chose]. Si tu désires toujours, toujours tu pries. Quand est-ce que sommeille la prière ? Lorsque le désir se refroidit ». (Augustin, Sermon 80, 7)
Il faudrait oser une érotique de la prière. C’est ainsi du moins que parle Augustin. Que notre désir s’excite dans la prière, que notre amour, un amour qui nous prend tout entier, grandisse. C’est ainsi aussi que vit et prie Thérèse de Jésus.
Relisons de larges extraits de ce texte d’Augustin, la lettre à Proba, de 412, connu de la tradition, les citations de Thomas l’attestent par exemple, aujourd’hui encore à l’office des lectures, et qui pourtant fait toujours le même effet, incroyable, d’une chose inouïe.
La prière nous fait demander la seule chose qui nous puissions désirer, la vie bienheureuse. Et quel est l’homme qui ne désire pas le bonheur ? Peu importe les mots dans la prière. Quoi que nous disions, c’est le désir de la vie avec Dieu qui s’excite dans la prière. Les mots ne sont pas là pour fléchir le Seigneur ou pour le renseigner. Ils sont le moyen de désirer le bonheur au cœur même de nos préoccupations, soucis, joies et peines.

La lettre à Proba d’Augustin
Ecoute maintenant quel doit être l’objet de la prière : voilà surtout la question que tu as cru bon de me poser, émue que tu es par le mot de l’apôtre : Nous ne savons pas prier comme il faut (Rm 8,26) et tu as craint que ne pas prier pour ce qu’il faut ne te soit plus nuisible que ne pas prier du tout. La réponse peut être brève : demande la vie bienheureuse. Cette vie, tout le monde veut l’avoir. […] Peut-être vas-tu demander ce qu’est justement la vie bienheureuse. A chercher ce qu’elle est, bien des philosophes ont usé leur talent et leurs loisirs, sans la découvrir cependant. […]
A quoi bon nous disperser de tous côtés et chercher ce que nous devons demander dans la prière ? Disons plutôt avec le psaume : La seule chose que je demande au Seigneur, celle que je cherche, c’est d’habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, pour savourer la douceur du Seigneur et fréquenter son temple. […]
Pour nous faire obtenir cette vie bienheureuse, celui qui est en personne la Vie véritable nous a enseigné à prier. Non pas avec un flot de paroles comme si nous devions être exaucés du fait de notre bavardage : en effet, comme dit le Seigneur lui-même, nous prions celui qui sait, avant que nous le lui demandions, ce qui nous est nécessaire. […]
Il sait ce qui nous est nécessaire avant que nous le lui demandions ? Alors, pourquoi nous exhorte-t-il à la prière continuelle ? Cela pourrait nous étonner, mais nous devons comprendre que Dieu notre Seigneur ne veut pas être informé de notre désir, qu’il ne peut ignorer. Mais il veut que notre désir s’excite par la prière, afin que nous soyons capables d’accueillir ce qu’il s’apprête à nous donner. Car cela est très grand, tandis que nous sommes petits et de pauvre capacité ! C’est pourquoi on nous dit : Ouvrez tout grand votre cœur.
C’est dans la foi, l’espérance et l’amour, par la continuité du désir, que nous prions toujours. Mais nous adressons aussi nos demandes à Dieu par des paroles, à intervalles déterminés selon les heures et les époques : c’est pour nous avertir nous-mêmes par ces signes concrets, pour faire connaître à nous-mêmes combien nous avons progressé dans ce désir, afin de nous stimuler nous-mêmes à l’accroître encore. Un sentiment plus vif est suivi d’un progrès plus marqué. Ainsi, l’ordre de l’Apôtre : Priez sans cesse, signifie tout simplement : La vie bienheureuse, qui n’est autre que la vie éternelle auprès de Celui qui est seul à pouvoir la donner, désirez-la sans cesse.
Désirons toujours la vie bienheureuse auprès du Seigneur Dieu, et prions toujours. Mais les soucis étrangers et les affaires affaiblissent jusqu’au désir de prier ; c’est pourquoi, à heures fixes, nous les écartons pour ramener notre esprit à l’affaire de l’oraison. Les mots de la prière nous rappellent au but de notre désir, de peur que l’attiédissement n’aboutisse à la froideur et à l’extinction totale, si la flamme n’est pas ranimée assez fréquemment.
C’est pourquoi, lorsque l’Apôtre dit : Faites connaître vos demandes auprès de Dieu, on ne doit pas l’entendre en ce sens qu’on les fait connaître à Dieu, car il les connaissait avant même qu’elles existent ; mais qu’elles doivent demeurer connues de nous auprès de Dieu par la patience, et non auprès des hommes par l’indiscrétion. […]
Cela étant, il n’est pas défendu ni inutile de prier longtemps, lorsqu’on en a le loisir, c’est-à-dire lorsque cela n’empêche pas d’autres occupations bonnes et nécessaires, bien que, en accomplissant celles-ci, on doive toujours prier, comme je l’ai dit, par le désir. Car si l’on prie un peu longtemps, ce n’est pas, comme certains le pensent, une prière de bavardage. Parler abondamment est une chose, aimer longuement en est une autre. Car il est écrit du Seigneur lui-même qu’il passa la nuit en prière et qu’il priait avec plus d’insistance : faisait-il alors autre chose que nous donner l’exemple en priant dans le temps au moment voulu, lui qui, avec le Père, exauce dans l’éternité ? […]
Les paroles nous sont nécessaires, à nous, afin de nous rappeler et de nous faire voir ce que nous devons demander. Ne croyons pas que ce soit afin de renseigner le Seigneur ou de le fléchir.

La prière exaucée
Ce que je dis dans la prière, ce sont mes joies et mes espoirs, mes soucis et les angoisses. Gaudium et spes. C’est ce que je confie à l’ami. Et si je ne les lui confiais pas, ces joies en serait-elles encore ? Qu’est la joie d’une naissance qu’à personne on ne peut annoncer ? La déréliction d’une mère. Qu’est la peine qu’avec personne je ne peux partager ? La fosse qui m’engloutit.
Ainsi Dieu exauce et exhausse. Il ne fait rien. Il ne change rien. Ça ne change rien, mais ça change tout. Il est l’ami qui ne laisse pas ses amis connaître la fosse (Ps 1610). Nous remontons de la tombe, exhaussés, arrhe de la résurrection, de la Pâque.
Exciter le désir de Dieu. Entretenir en nous cette relation vivante avec celui par qui je suis. Nous nous adressons à lui avant même de le connaître, car c’est à lui parler que nous le connaissons. Nous nous adressons à lui avant même de savoir s’il est, parce que ce n’est pas la question et que lorsque l’on entre dans la relation, l’existence n’est évidemment pas la question. Ce n’est pas 1 Dieu existe, 2 je peux le prier. C’est 1, je lance le cri parce que seul je ne peux venir au seul bonheur que je cherche. 1 ce bonheur est offert, parce que la vie avec lui c’est déjà la vie qui me permettait de crier vers lui. La vie éternelle est déjà commencée parce que déjà nous pouvons vivre avec Dieu.
Vivre avec Dieu. Mais c’est quoi, concrètement ?. Je vous appelle mes amis. Vivre avec Dieu, ça doit être faire comme avec les amis. Parler des choses qui comptent. Nos joies, nos soucis, nos peines. Arrêtons d’amuser le Seigneur avec des trucs qui ne nous touchent pas. Arrêtons de lui parler de la pluie et du beau temps. Parlons-lui de nos soucis, joies et peines.
Et c’est encore la prière qui nous décentre. C’est elle qui nous apprend à faire de ce qui se passe à l’autre bout du monde un souci ou une joie. La différence entre la prière d’intercession et la lecture du journal à l’office, c’est cela. Ce que je dis au Seigneur, dans la confiance, dans la foi, c’est ce qui est pour moi joie, peine souci.
Je peux aussi partager le souci des autres, parce que ce qu’un ami m’a confié devient à son tour mon souci.
Ce n’est pas l’invitation à se faire du souci, bien sûr. L’évangile nous en garde. A chaque jour suffit sa peine. Voyez les lys des champs. C’est l’invitation à élargir ma vie à l’humanité, parce que rien de ce qui est humain n’échappe à la confiance amicale ou filiale.
Toute prière, de demande ou d’action de grâce, de louange ou de pardon dit donc une seule et même chose, le désir de Dieu, la quête de Dieu. Parce que cette quête n’est pas anhistorique, ce qui ne se peut si les quêteurs sont hommes, elle se dit dans les joies et les espoirs, les angoisses ou soucis et les peines.
Pour nous rappeler de ce que nous devons demander, la vie bienheureuse, le bonheur, la vie avec Dieu, il faut faire part de ses soucis et ses joies. Il faut à l’ami faire entendre son rire ou sa plainte.
La différence entre Plotin et Augustin, c’est qu’Augustin discute avec son Dieu, est à la tu et à la toi. Les hommes de l’Antiquité nous prenaient pour des fous. Ces chrétiens, comme des grenouilles autour d’une mare s’imaginent louer leur Dieu en croassant. Et oui, elle est là notre foi. Même si la vie de l’homme c’est peu de chose, et la nôtre en particulier, c’est un bien dont nous apprécions toute la valeur quand nous nous apprenons aimés de Dieu.
Notre prière peut être est mal formulée. Peu importe si c’est mon souci que je confie.
Nous savons que nous ne savons pas prier. Mais ce n’est pas que nous n’aurions pas appris, et que dès que ce sera fait, ça ira mieux. Même à la fin, on ne sait pas prier. Seule la prière sait qu’elle ne sait pas prier, comme seule la foi sait qu’elle ne croit pas. Seigneur, je crois, viens au secours de mon incroyance (Mc 924). « La prière sait qu’elle ne sait pas prier mais elle ne l’apprend qu’en priant, elle ne le sait qu’aussi longtemps qu’elle prie, comme tout ce qui tient de la rencontre. » (J.-L. Chrétien, « La parole blessée, phénoménologie de la prière »,Phénoménologie et théologie, Criterion, Paris 1992, p. 58)
On attribue à Rabbi Levy Itshak de Berdichev (1740-1809) l’histoire suivante :

C’était un jour de Kippour. Un jeune garçon gardait les oies qu’on lui avait confiées. Tandis qu’il s’adonnait à sa tâche, il récitait à haute voix les lettres de l’alphabet. Et il ajoutait : « ö mon Dieu, tu dais que je ne sais pas lire parce que ne suis pas allé à l’école. Je ne sais pas prier. Tout ce que je peux faire, c’est lancer verts toi les lettres qui forment les mots de la prière, et je suis convaincu que toi, ô mon Dieu, tu sauras les mettre dans le bon ordre et former les mots qui expriment les souhaits qui emplissent mon cœur ; je suis convaincu aussi que toi, ô mon Dieu, tu sais mieux que moi ce que je désire. Puisses-tu m’accorder, ô mon Dieu, ce qui sera bon pour moi, pour ma famille, pour ma communauté, et pour tout Israël ». Et il ajoutait : « Tout ce que je sais faire, c’est garder des oies. Si toi, ô mon Dieu, tu avais des oies à garder, je serais honoré de pouvoir te témoigner mon amour en les gardant… et je serais tellement heureux de le faire que je le ferais sans demander à être payé. » (Rapporté par le Rabbin Daniel Gottlieb sur un site internet à son nom.)

Prier c’est répondre
« Toute prière confesse Dieu comme donateur. » Et c’est bien cela que nous faisons lorsque nous demandons. Demander à Dieu, n’est-ce pas confesser qu’il est la source, qu’il est celui qui fait vivre, c’est-à-dire ce que nous disons par le terme de créateur. Confesser le Dieu créateur, ce n’est pas expliquer pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien. Confesser le Dieu créateur, c’est reconnaître qu’il vit en nous celui qui nous fait vivre, qu’il y a de l’origine en nous, et que cette origine est le don qui nous livre à nous-mêmes.
« Toute prière confesse Dieu comme donateur, en nous dépossédant de notre égocentrisme. On dit parfois qu’il y a de mauvaises prières parce qu’intéressées. Mais l’égocentrisme de la prière ne réside pas dans ce que nous demandons, mais dans le décentrement. Sommes-nous au centre, ou laissons-nous Dieu occuper le centre de nos vies ? » (J.-L. Chrétien, Ib., p. 49)
On pourrait dire autrement. La prière est, quelque soit sa forme, réponse ? Nous venons toujours trop tard. Dieu le premier nous a aimés (1 Jn 410). Trop tard parce que nous sommes convaincus d’avoir commencé. Et d’ailleurs, dans le silence assourdissant de l’absence de Dieu ou dans le vacarme intenable de la souffrance, n’est pas notre cri qui déchire la nuit ?
Nous ne connaissons que Dieu nous appelle que dans la réponse que nous lui adressons. La prière comme dit Rahner, n’est pas un dialogue, au sens où nous entendrions Dieu nous parler, nous raconter des choses. Il ne nous commande jamais de fonder une congrégation religieuse ou d’entrer au séminaire, de nous marier ou de faire de l’humanitaire. Il nous commande une seule chose et d’une seule manière : il nous appelle à la joie, à sa vie.
La prière comme réponse et responsabilité. Lévinas et Ricœur, Jean-Louis Chrétien à de nombreuses reprises, Michel de Certeau, Rahner ; ils ont trouvé dans les lignes de Heidegger, philosophie de la finitude, des mots pour leur foi. Comment s’en étonner si leur Dieu est le philanthrope ?
La prière est réponse, même quand elle est demande, puisqu’elle est le chemin qui me fait découvrir mon Dieu comme le donateur, le créateur. La prière est réponse, Me voici. Et Me voici signifie envoie-moi car il appela les Douze et les envoya. La prière ce n’est pas pour nous, au sens où c’est toujours aussi les autres qui en sont le cœur, même si je parle que de moi. (Cf. Thomas iia iiae 83 7 ad 2) la prière pour soi est même la condition de la prière pour autrui, de même qu’il est impossible d’aimer l’autre si l’on ne s’aime pas. Moins on se supporte, moins on s’aime, plus on a d’ennemis.
La prière a toujours son origine dans la blessure d’une joie ou d’une détresse, c’est toujours un déchirement qui fait ouvrir les lèvres. La prière, c’est aussi la blessure de ne pas être au milieu, rêve infantile. Elle est l’écoute de l’appel qui me précède et me rend possible moi même pour autant que je réponds, me rend possible comme répondant.
La prière, parce qu’elle est réponse, m’empêche d’être la source. Alors je peux rencontrer les autres.
Toute prière est ainsi action de grâce, eucharistique dont nos eucharisties sont la métonymie.

Priez sans cesse
Pour prier sans cesse, faut-il prier toujours, prier plus ? La quantité est rarement synonyme de qualité. Or c’est de ce qu’est la prière que nous parlons. Non pas le rabâchage dénoncé par Jésus. Ne rabâchez pas comme les païens. Le Père sait ce dont vous avez besoin avant que vous ne le lui demandiez. (Mt 67-8)
Quitter Dieu pour Dieu. Le conseil de Vincent de Paul aux filles de la charité qui sont à l’oraison alors qu’un pauvre sonne à la porte. Rencontrer Dieu non là où je décide qu’il est, au tabernacle ou dans l’urgence humanitaire. Mener une vie responsable, c’est-à-dire précisément une vie qui soit réponse, responsoriale.
Où que tu sois, quoi que tu fasses, tu peux alors prier. Dans la parabole du jugement dernier, en Mt 25, il est dit selon la formule lapidaire de J.-B. Metz : « Et ils s’étonnaient et lui demandaient : “Seigneur, quand t’avons-nous donc vu souffrant ?” … Et il leur répondit : “En vérité, je vous le dis, ce que vous avez fait ou ce que vous n’avez pas fait au moindre d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait ou ne l’avez pas fait”. »
Nous ne savons pas prier, nous ne savons jamais ce que nous faisons non plus. Et ce n’est pas grave. C’est seulement que nous sommes en dette celle de la vie, l’Esprit qui donne la vie, l’Esprit qui prie en nous et pour nous. Cela ne nous rend pas irresponsables, au contraire. Mais ce que nous faisons n’a jamais le sens obvie de ce que la description en dit. Il s’y joue toujours et plus et autre chose. Nous ne pouvons pas plus réduire l’action au fait que le langage au dit. Ceci a été clairement illustré par le sens des paroles dans la prière.
La vie responsable, c’est celle qui répond à l’appel du frère. Qu’on le sache ou non, elle répond aussi à l’appel de Dieu que l’on découvre précisément dans la réponse. La vie responsable au service du frère est la prière comme réponse. Il n’y a plus de terre sainte en christianisme, parce que toute terre est le lieu où Dieu plante sa tente. Il n’y a plus de chapelle pour prier, parce que toute rencontre avec le frère est le lieu de la réponse. Non que le service dispenserait de s’arrêter sur la montagne pour prier (Mc 6,46). Mais que sous des formes différentes, c’est toujours la même vie, comprise comme réponse.

Se tenir devant Dieu
Alors si les mots disent autres choses, si le service est réponse comme le silence de la chambre ou le chant du chœur, notre prière est un se tenir devant Dieu.
Pourquoi prier ? D’abord, tout simplement, pour être. Toute existence, sortant des mains de Dieu, est célébration.
Pourquoi prier ? Parce que nous ne sommes pas des orphelins perdus dans la solitude du monde. Quelqu’un vient vers nous et nous parle et sollicite notre amitié. Devant l’infini devenu le petit enfant de la crèche, et bientôt le crucifié, le cœur ne peut pas ne pas tressaillir. « Voici, je suis à votre porte et je frappe. » Dieu est ce mendiant auquel nous acceptons d’ouvrir par la prière.
Le difficile, c’est que Dieu n’est pas seulement un « Dieu proche », c’est aussi un « Dieu lointain », un « Dieu caché », qui n’attire pas l’attention, qui bien souvent ne se laisse ni éprouver ni sentir. Tout se passe comme s’il n’existait aucunement. Nous faudra-t-il pour autant quitter tout chemin de la prière ? Adresser une prière à un inconnu, parler à ce qui se cache, invoquer un absent, nous tourner vers quelqu’un que nous ne pouvons suivre ! Jésus lui-même a fait cette expérience. Pourtant, il nous a transmis le « Notre Père », en étroite relation avec des expériences écrasantes : l’opposition, la méconnaissance, les tourments, l’abandon, la mort.
Pourquoi prier ? Parce qu’à partir de l’eucharistie, qui est le cœur du monde et doit devenir notre propre cœur, notre asphyxie se déchire, une respiration plus profonde s’ouvre en nous, le souffle de la vie et de l’amour nous remplit et nous entraîne vers les « profondeurs de Dieu ». Alors rien ni personne ne peut plus nous être étranger. Pourquoi prier ? Pour se savoir aimé et ainsi devenir capables d’aimer.
Alors se pose la question : comment prier ?
Il faut d’abord, je crois, avoir la force de tailler, dans notre emploi du temps, des rendez-vous avec le silence, des moments, un moment chaque jour, que nous réservons à la prière. Savoir nous arrêter, savoir nous faire, comme dit Isaïe, un cœur écoutant.
La méthode varie selon chacun : « durer » devant un tabernacle, et faire nôtre la prière eucharistique de Jésus à son Père, dans la puissance et la tendresse de l’Esprit ; laisser couler en nous les Psaumes ou l’Évangile, et soudain, quand une expression nous saisit, nous arrêter, nous laisser glisser dans les eaux profondes de la Présence ; réviser notre vie, avec l’agenda du jour, à l’écoute des appels de Dieu, à l’écoute des appels des hommes nos frères, en qui Dieu vient à nous tout le long du chemin ; ou simplement apprendre à faire silence, à purifier notre cœur pour qu’il se pacifie.
Chacun de nous, s’il devient prière, fera, par sa seule action de présence, pressentir aux autres que la vie a un sens, et que la bêtise, la haine, la violence, la mort n’auront pas le dernier mot.
Aujourd’hui plus qu’hier, quand tant d’âmes meurent d’asphyxie, la prière est l’indispensable oxygène requis pour que l’énergie divine dont parle saint Paul irrigue nos activités et nos efforts au service de cette Bonne Nouvelle qui n’en finira jamais d’éclairer la vie des hommes « jusqu’à ce qu’il vienne ».
(Mgr. Guy Riobé, inédit, donné par « Magnificat », mai 2001.)
Se tenir devant Dieu dans le silence ou dans la prière chorale. Se tenir devant Dieu dans la brûlure du désir ou la détresse de l’abandon, la nuit dont Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte-Face voulait qu’elle ne fût point ce qui lui interdirait de croire. Même dans la nuit totale, elle voulait croire à défaut de le pouvoir croire.
« Aux jours si joyeux du temps pascal, Jésus m’a fait sentir qu’il y a des âmes qui n’ont pas la foi, qui par l’abus des grâces perdent ce précieux trésor, source des seules joies pures et véritables. Il permit que mon âme fût envahie par les plus épaisses ténèbres et que la pensée du Ciel si douce pour moi ne soit plus qu’un sujet de combat et de tourment… Cette épreuve ne devait pas durer quelques jours, quelques semaines, elle ne devait s’éteindre qu’à l’heure fixée par le Bon Dieu et… cette heure n’est pas encore venue. […] Il me semble que les ténèbres, empruntant la voix des pécheurs, me disent en se moquant de moi : “Tu rêves la lumière. […] Avance, avance, réjouis-toi de la mort qui te donnera, non ce que tu espères, mais une nuit plus profonde encore, la nuit du néant.” […] Je ne veux pas en écrire plus long, je craindrais de blasphémer… j’ai peur même d’en avoir trop dit… […] Il [Jésus] sait bien que tout en n’ayant pas la jouissance de la foi, je tâche au moins d’en faire les œuvres. Je crois avoir fait plus d’actes de foi depuis un an que pendant toute ma vie. » Thérèse de Lisieux, Manuscrits autobiographiques, Manuscrit C, Juin 1897, Le Livre de vie, Office central de Lisieux, 1957, pp. 245-248.
Il arrive comme le dit Thérèse, en précurseur étonnant, que la situation du chrétien rejoint la position de l’athée au point de se confondre avec elle. Un monde sans Dieu, non un monde athée, mais un monde où Dieu n’est plus évident ne dissout pas la foi. Il la réduit en ce qu’elle serait connaissance et l’élargit pour autant qu’elle est quête. Et la foi y gagne sans aucun doute en authenticité. Le croyant est celui qui cherche Dieu plus que celui qui connaît Dieu. Les psaumes pourraient fournir de nombreuses confirmations de cela.
Il y a le cri que Jésus reprend sur la croix : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Parole de croyant qui jamais n’aurait dit Pourquoi Dieu m’a-t-il abandonné. Parole de croyant qui est prière. Et même cette question doit être réponse.
Le plus incroyable au regard de ce que nous venons de dire est le Psaume 42. S’y mêlent la recherche, la quête ou soif de l’âme qui languit vers Dieu ; la question qui résonne de toute part, chaque jour, et par deux fois : où est-il ton Dieu ; les larmes de l’abandon qui dure ; la volonté de croire dite exprimée par l’ordre que l’orant se donne d’espérer ; enfin l’action de grâce, réponse au don de la vie qui sera renouvelé.
Comme languit une biche après les eaux vives,
ainsi languit mon âme vers toi, mon Dieu.
Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant ;
quand irai-je et verrai-je la face de Dieu ?
Mes larmes, c’est là mon pain, le jour, la nuit,
moi qui tout le jour entends dire Où est-il, ton Dieu ?
Oui, je me souviens, et mon âme sur moi s’épanche,
je m’avançais sous le toit du Très-Grand, vers la maison de Dieu,
parmi les cris de joie, l’action de grâces, la rumeur de la fête.
Qu’as-tu, mon âme, à défaillir et à gémir sur moi ?
Espère en Dieu : à nouveau je lui rendrai grâce, le salut de ma face et mon Dieu ! Mon âme est sur moi défaillante,
alors je me souviens de toi depuis la terre du Jourdain et des Hermons,
de toi, humble montagne.
L’abîme appelant l’abîme au bruit de tes écluses,
la masse de tes flots et de tes vagues a passé sur moi.
Le jour, Yahvé mande sa grâce
et même pendant la nuit le chant qu’elle m’inspire est une prière à mon Dieu
Je dirai à Dieu mon Rocher pourquoi m’oublies-tu ? [vivant.
Pourquoi m’en aller en deuil, accablé par l’ennemi ?
Touché à mort dans mes os,
mes adversaires m’insultent en me redisant tout le jour Où est-il, ton Dieu ?
Qu’as-tu, mon âme, à défaillir et à gémir sur moi ?
Espère en Dieu : à nouveau je lui rendrai grâce, le salut de ma face et mon Dieu !
Karl Rahner, écrivait : « le chrétien de demain sera mystique ou ne sera pas ».

Le cri
La prière réside dans le fait de confier à Dieu, joies et espoirs, angoisses et souffrances, avons-nous d’abord dit. On convoque, si l’on peut dire, Dieu aux lieux de nos vies et c’est ainsi que nous répondons à son appel la vie, à sa vie. La prière comme réponse, la prière eucharistique, tel était notre second moment. Puis il s’est agit d’une attitude, d’un se tenir devant Dieu ou devant le frère. Me voici. A travers ces trois temps, c’est comme si la prière n’était plus qu’une épure, le seule désir, voir le seul cri, volonté de croire.
Et c’est peut-être jusqu’ici qu’il faut parvenir. La prière comme un cri. Et nous lirons que l’exaucement est ici ce que nous en disions déjà plus haut la présence de Dieu, même sous les traits de l’absence, qui ne change rien et pourtant change tout. Je retiens quelques lignes de J.-B. Metz, Memoria passionis, Cerf, Paris, pp. 97-101
La prière comme cri, bien sûr ! Mais celui-ci n’est-il pas un cri dans le vide, un cri qui n’aboutit jamais, mais reste dans le désert ? Non ! Comment, non ? Parce que ce cri est l’expression du fait qu’il faut arriver (voir Mc 11,24). Le cri vers Dieu exprime d’une certaine façon qu’on est [98] proche de lui. C’est l’expression du fait que Dieu s’est rendu si proche, justement dans sa plaine divinité, c’est-à-dire dans son incompréhensibilité et son ineffabilité, qu’il est arrivé si près que je ne puis l’exprimer qu’en criant vers lui. En ce sens, le cri serait lui-même le premier acte de son exaucement. C’est dans ce cri, et justement en lui, que Dieu est « là », que sa présence se réalise. Il est le mode sous lequel sa divinité vient chez moi dans sa divinité, sa façon de se rendre proche, sa transcendance dans son absence et son éloignement. C’est dans ce cri sans voix de la prière que s’ouvre l’espace de Dieu, que survient sa proximité, une proximité qui n’est pas seulement celle d’une personne vis-à-vis d’une autre, car elle n’a pas d’équivalence dans des rapports interhumains, de sorte qu’elle ne trouve son expression primaire ni dans le langage de l’accord ni dans celui de la conversation : « Si comprehendis, non est Deus », si tu comprends, ce n’est pas Dieu. […]
Dieu rend-il heureux ? Rend-il heureux au sens d’un bonheur libre de tout désir et de toute souffrance ? D’un bonheur qui se suffit à lui-même, qui n’appartient qu’à lui-même ? La foi telle que l’inspire la Bible apporte-t-elle une réconciliation tranquille avec soi-même ? Un savoir sur nous-mêmes que ne vient troubler aucun regret ? J’en doute.
Pourquoi alors Dieu ? Pourquoi notre prière ? Oui, pourquoi « prier Dieu pour Dieu » ? Mais pour quel Dieu ? Pour un Dieu qui nous convienne ? Ou le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, qui est aussi celui de Jésus ? Le Dieu qui, dans quelque circonstance que ce soit, répond à nos appels, celui dont la transcendance nous épargne la souffrance, ce Dieu n’existe pas. C’est ce que nous ne devons pas oublier dans nos conditions de vie post-moderne où « tout va très bien », où notre fantaisie fait foin de l’abîme qui sépare le ciel de la terre, l’au-delà de l’ici-bas, la vie de la mort, et où même des théologiens se laissent piéger par les anthropomorphismes inévitables de nos discours sur Dieu en se mettant à parler comme s’ils avaient trouvé la Trinité dans les cartes. Nous avons constamment à compter avec un Dieu qui ne s’adapte pas, qui ne répond ni à nos délires théologiques de toute-puissance, ni à nos rêves psychologiques de pleine réalisation de soi, avec un Dieu qui ne nous accorde même pas une simple vie intérieure déliée de toute crainte, de tout désir, un Dieu qui suscite en nous, non pas simplement la jubilation, mais aussi les cris, qui nous réduit finalement à nous taire.

La prière de la communauté ecclésiale
Je termine par là où j’aurais dû commencer. La prière personnelle est toujours prière communautaire car nous sommes tous fils, ensemble. Car ensemble nous répondons au Père qui nous fait frères, car c’est dans le Fils que nous sommes fils.
C’est le Fils qui de toute éternité se tient devant le Père et répond à son amour. Le Fils qui a épousée l’humanité qui devient, dans la mort et la résurrection, de chair biologique, son corps de ressuscité. la prière la plus solitaire est toujours prière ecclésiale.
Nous ne prions pas individuellement, parce que nous n’existons pas individuellement. C’est le Christ le seul orant, celui qui est perpétuellement tourné vers le Père et habité par l’Esprit. Prier, c’est s’associer à la prière du Christ, et cela nous le pouvons parce qu’ensemble, nous sommes son corps. Et son Esprit prie en nous. Prier, c’est ainsi entrer dans la vie même de Dieu, recevoir avec le Fils le don de la vie et la remettre au Père dans la joie et la force de l’Esprit.
« L’Esprit vient au secours de notre faiblesse ; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut ; mais l’Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables. » (Rm 826)