27/09/2020

Psaume de la vierge folle

Dans les ténèbres extérieures
C’est là qu’il y aura des pleurs
Matthieu 21, 13

I

Notre Seigneur viendra ce soir
‑ Sortez, mes sœurs, partez, mes sœurs -
Notre Seigneur viendra ce soir
De très loin par les pays noirs.

J’ai pris ma lampe dans ma main
‑ Partez, mes sœurs, allez, mes sœurs ‑
J’ai pris ma lampe dans ma main
Pour l’accompagner en chemin

Depuis sept longs ans je la tiens
‑ Allez mes sœurs, marchez, mes sœurs -
Depuis sept longs ans je la tiens
Cachée au vent qui n’en sait rien.

Mais vous savez comme je suis
‑ Hélas ! mes sœurs, hélas ! mes sœurs ‑
Mais vous savez comme je suis,
Tremblante le jour et la nuit.

Tant j’ai voulu depuis sept ans
‑ Hélas ! mes sœurs, hélas ! mes sœurs -
Tant j’ai voulu depuis sept ans

Sauver ma lampe à chaque instant ;

Tant j’ai craint - si fragile à voir -

‑ Hélas ! mes sœurs, hélas ! mes sœurs ‑
Tant j’ai craint – si fragile à voir,
Si pâle ! – de la laisser choir ;

Tant je l’ai serrée à l’étroit

‑ Hélas ! mes sœurs, hélas ! mes sœurs ‑
Tant je l’ai serrée à l’étroit,
Trop, dans l’angoisse de mes doigts.

Vous savez bien comme je suis

‑ Hélas ! mes sœurs, hélas ! mes sœurs ‑
Vous savez bien comme je suis…
Je l’ai brisée et l’huile fuit.

. . . . . . . . . .

Que deviendrai-je ? J’ai perdu
‑ Mes sœurs, mes sœurs sages, mes sœurs -
Que deviendrai-je ? J’ai perdu
Ma lumière et le vent l’a su.

En vain je cherche, en vain je l’eus,

‑ Mes sœurs, mes sœurs claires, mes sœurs -
En vain je cherche, en vain je l’eus,
L’espérance… Je n’y vois plus.

Il fait grand nuit, il fait grand vent

‑ Mes sœurs, mes sœurs justes, mes sœurs -
Il fait grand nuit, il fait grand vent,
Je l’ai perdue, et nul n’en vend.

L’heure des noces a sonné
‑ Mes sœurs, mes sœurs saintes, mes sœurs -

L’heure des noces a sonné…
Personne ne m’en a donné.

 

II

Le Seigneur est venu ce soir

‑ Hélas ! mes sœurs, hélas ! mes sœurs ‑
Le Seigneur est venu ce soir…
J’avais les mains et le cœur noirs.

Il m’a laissée, il a franchi

‑ Hélas ! mes sœurs, hélas ! mes sœurs ‑
Il m’a laissée, il a franchi
Sans moi le seuil de son logis.

J’ai frappé… L’Epoux est dedans

‑ Hélas ! mes sœurs, hélas ! mes sœurs ‑
J’ai frappé… L’Epoux est dedans :
« Va-t’en ! Qui te connait ? Va-t’en ! »

J’ai heurté… La Joie est dedans

‑ Hélas ! mes sœurs, hélas ! mes sœurs ‑
J’ai heurté… La Joie est dedans
Et moi dehors au mal du temps.

Mais sur le seuil, mais sur le pas

‑ O mes sœurs joyeuses, mes sœurs -
Mais sur le seuil, mois sur le pas
De la porte qui n’ouvre pas,

Je reste ! Mon Maître est dedans

‑ Mes sœurs bienheureuses, mes sœurs -
Je reste ! Mon Maître est dedans,
Je l’attends, folle, je l’attends.

Fidèle en l’ombre comme un chien

‑ Mes sœurs glorieuses, mes sœurs -
Fidèle en l’ombre comme un chien
Qui veille et ne demande rien,

Derrière le mur sans espoir

‑ Mes sœurs lumineuses, mes sœurs -
Derrière le mur sans espoir
Je le regarde sans le voir.

Sans délivrance, sans raison,
‑ Mes sœurs radieuses, mes sœurs -

Sans délivrance, sans raison
Je l’aime hors de la maison.

Vous savez bien comme je suis

‑ Hélas ! mes sœurs, hélas ! mes sœurs ‑
Vous savez bien comme je suis :
Sans pieds pour m’éloigner de Lui.

Je l’attendrai jusqu’à la fin

‑ Mes sœurs, où courrais-je, mes sœurs ? -
Je l’attendrai jusqu’à la fin
Des noces et du lendemain.

Je l’attendrai jusqu’à la mort

‑ Mes sœurs, où mourrais-je, mes sœurs ? -
Je l’attendrai jusqu’à la mort
Et plus loin, et plus tard encor,

Comme un cri pâle l’attendrait

‑ Mes sœurs, ou cirerais-je, mes sœurs ? -
Comme un cri pâle l’attendrait
Dans le brouillard du temps d’après.  

Sans gîte aux portes du festin
‑ Je reste, mes sœurs, ô mes sœurs ‑

Sans gîte aux portes du festin
Et, triste comme un cierge éteint

Dont la fumée aux pieds de Dieu

‑ Mes sœurs, mes sœurs, mes fières sœurs -
Dont la fumée au pieds de Dieu
Monte et vague sans feu ni lieu,

Je pleure et j’élève vers Lui
 Hélas ! mes sœurs, hélas ! mes sœurs ‑
Je pleure et j’élève vers Lui
Mes folles mains pleines de nuit.

Marie Noël, Chants et psaumes d'automne, Stock, Paris 1947

25/09/2020

Le Christ Jésus en forme d'esclave (26ème dimanche du temps)

Paul insère dans la lettre aux Philippiens un texte que les spécialistes repèrent comme plus ancien, sans doute connu par nombre des croyants de l’époque. Nous écoutons ce portrait du Christ Jésus le dimanche des Rameaux. La lecture continue des épitres nous donne de l’entendre dans son contexte.

Ce que l’on appelle l’hymne aux Philippiens paraît décrire le chemin du « Christ Jésus », depuis l’éternité du Père jusqu’à sa mort en croix et son retour dans la gloire du Père. Descente et remontée.

Est-il historiquement possible de lire le texte ainsi ? Comment pourrions-nous nous-mêmes imiter le mouvement d’incarnation : « Ayez entre vous les mêmes dispositions qui sont dans le Christ Jésus » ? Faut-il supposer que Paul et ses auditeurs pensent à la préexistence du Christ ? Aucun indice littéraire ne permet de l’affirmer. L’incarnation serait-elle affaire de dispositions, de comportement ?

« C’est divin ! » « Tu as été divine, ce soir ». Ainsi parlons-nous ; un vin, une interprétation musicale, une personne, toujours des situations où l’on se délecte, où l’on jouit de la vie. On exprime ainsi l’excellence, une perfection qui fait goûter la vie. Non pas profiter de la vie, s’en servir, mais la déguster, fruition disait le vieux français. Que Jésus, le Christ Jésus, soit divin en ce sens, n’est peut-être pas dogmatiquement suffisant. Cela n’en a pourtant pas moins de sens. Il fait goûter la vie comme bonne, jouissive.

 L’homme qui « passait en faisant le bien », qui avait « une telle sagesse », l’homme dont le centurion a vu « comment il avait expiré » présente une perfection qui n’est ni morale ni idéale, mais qui donne saveur à la vie. Pourtant il fut et demeure méconnu voire contesté.

Comment est-il possible qu’un tel homme ait été ignoré, conduit à la mort ignominieuse de la croix au point de « n’avoir plus figure humaine » ? Il ne l’a pas ramené. Il n'a rien fait valoir, il ne s'est pas comporté en avare par rapport à ses qualités ou sa manière de vivre. Elles ne lui appartenaient pas parce qu’il vivait comme offert. Il est l’homme pour les autres. Il a choisi la forme d’esclave, serviteur.

Il ne peut vivre qu’incognito, serviteur. Il est « l’incognito du Père ». Il se donne parce que c’est ce qu’il est. C’est ainsi qu’il envisage la vie, devant et avec Dieu, avec et au milieu des hommes. Par lui, la vie n’est pas seulement vallée de larmes, mais jardin des délices. Son nom ‑ un nom qui est une vie, une manière de vivre avec sagacité, une sagesse pratique ‑ est un chant à la gloire du Père, parce que l’univers entier jouit par lui de la vie en abondance.

Paul invite les baptisés à emprunter ce chemin : « Ayez entre vous les mêmes dispositions », sentiments, comportez-vous comme, ayez la même astuce pour vous comporter que le Christ Jésus. Ne pas la ramener, s’oublier jusqu’à se vider de tout ce qu’on est. Vivre en forme d’esclave. Quand ainsi on se vide quitte à s’écraser ou être écrasé, il est possible à l’univers de reconnaître le Père.

Qui cependant revendique la forme d’esclave, vivre sous forme d’esclave ? C’est l’inverse qui se passe dès le jardin des commencements. L’homme et la femme, à la ressemblance de Dieu, prennent le fruit, s’en servent pour « être comme des dieux ». Le portrait de Jésus donné en exemple aux Philippiens n’est pas une exhortation à la vie morale. Il est chemin d’une source où la vie se puise bonne avec et pour les autres.

Tu veux connaître Dieu ? Sers. Tu veux parler de Dieu, l’annoncer ? Sers. Tu veux un monde où il fasse « bon pour les frères de vivre ensemble et d’être unis » ? Sers !

C’est la vocation de l’humanité d’être fraternité. Jésus est le nom qui ouvre la fraternité universelle, et c’est la gloire de Dieu. Nous célébrons la journée des migrants et réfugiés, il y a urgence : Ayons la même sagacité que le Christ Jésus, lui, divin, vécut dans la forme du serviteur.

 

 

 

Seigneur, nous voici devant toi. Dans le silence de nos cœurs, dans le silence de notre assemblée, nous te confions tous ceux qui ont quitté leur pays pour échapper à une mort certaine, pour fuir la guerre et la violence ou tout simplement pour accéder à une vie meilleure.
Sur le trajet, certains sont morts, notamment noyés en Méditerranée. D’autres sont victimes des passeurs ou réduits en esclavage comme en Lybie. Privés de liberté et de dignité, ils s’entassent dans des camps, en Grèce, à la porte de l’Europe. Des camps ont pris feu il y a peu. Les pays européens laissent l’Italie, Malte et la Grèce se débrouiller ou payent la Turquie qui pourtant devient toujours plus un adversaire et de l’Europe et de la démocratie.
Parmi nous certains sont disposés à accueillir ces personnes venues d’ailleurs. D’autres pensent au contraire qu’il faut encore durcir les lois et réduire les possibilités d’accueil.
Nous voici en silence devant toi, en te confiant ces femmes, ces enfants, ces hommes qui ne sont pas seulement des migrants, mais des frères et sœurs que tu nous as donnés, toi, le Père de tous.

11/09/2020

Notre faute et celles des frères (24ème dimanche du temps)

Le péché de l’autre, ses manquements à mon égard ou à l’égard d’autrui, sont insupportables, intolérables. Comment l’autre peut-il ainsi être en dette et ne pas s’en inquiéter ? Ne convient-il pas de dénoncer semblable situation ?

On voit toujours plus la faute des autres que la nôtre. Notre faute, nous avons la fâcheuse tendance, tout en la connaissant, à ne pas la voir, à l’oublier. Forcément, nous ne pourrions pas dormir. L’oubli permet de vivre sans la culpabilité. Mais comment ne pas entendre l’implacable interpellation : que celui qui n’a jamais péché lance la première pierre !

La parabole que venons d’entendre (Mt 18, 21-35) est un procès à charge contre le débiteur qui a déjà oublié qu’il était en sursis. Mais l’histoire est insensée. Qui sont ces mouchards qui rapportent tout à un maître intraitable ? Qui est ce maître qui peut se montrer aussi impitoyable que généreux ? Ces incohérences ou exagérations écartent toute interprétation en dehors d’une seule : Toi qui as été lésé, toi à qui l’on doit, comment se fait-il que tu oublies que tu dois, que d’autres t’ont remis ta dette, aussi exorbitante fût-elle ?

Comme si ce qui était en jeu, c’était de se croire juste parce que nous avons été justifiés. Comme si, d’écouter la Parole et de nous savoir exaucés par elle, oblitérait notre misère. Et de fait, l’agneau de Dieu enlève le péché du monde. La parabole nous invite à saisir la faute de l’autre comme le révélateur de la nôtre. Puisque nous voyons si bien en quoi l’autre est en faute, que ne nous en servons-nous pas pour connaître notre faute !

Luther avait ainsi écrit que chacun était simul justus et peccador, en même temps juste et pécheur. Dans la théologie de polémique suscitée par l’ébranlement de la Réforme pour l’ensemble des chrétiens du XVIe siècle, une telle formule ne pouvait être acceptée par les catholiques. Laissons-là la polémique. La déclaration conjointe sur la justification nous y encourage, signée en 1999 entre les catholiques et les luthériens, puis avec les méthodistes, les réformés et enfin les anglicans.

Il faut arrêter les grands principes et regarder les choses non telles qu’elles devraient être mais telles qu’elles sont. Nous sommes pécheurs. Et si quelque chose remet en cause la vérité de la justification par le Christ, ce n’est pas une expression ‑ par exemple simul justus et peccator ‑ mais le fait scandaleux que les disciples de Jésus ‑ nous ‑ soyons des pécheurs.

Notre parabole pourrait être une pédagogie de la sainteté. Tu ne pourras te penser juste, même justifié par le Christ, si tu oublies non seulement ce que tu as fait mais ce que tu fais encore. Ta justice n’est pas tienne, elle t’est offerte. C’est parce que tu te connais pécheur, pécheur pardonné, que tu peux te connaître créature nouvelle, restaurée par le Christ.

Lundi dernier, discussion à la prison, avec un jeune que je ne connais pas. Lui comme moi, attendions. On attend beaucoup à la prison. De mère catholique et de père musulman, il est, lui, musulman. Il m’invite à organiser une rencontre entre détenus chrétiens et détenus musulmans. La conversation tourne, sans véritable ordre. Quand on est chrétien, me dit-il, à propos de je ne sais plus quoi, on ne peut agir ainsi. Certes. Je lui dis que je ne vais pas lui faire plaisir, qu’il n’est pas obligé de m’écouter. « Si, si, vas-y. » Il avait déjà compris. Quand on est musulman, quand on est chrétien, on n’est pas en prison.

Eh bien si, il y a des chrétiens, et d’autres, en prison. Pire, si j’ose dire. Il n’y a parmi nous, rassemblés dans cette église, que des gens retenus par le péché. Nous sommes tous, nous qui sommes dans cette église, retenus par le péché. Et voilà ce que cette parabole exprime, comme dénonciation du pharisaïsme, comme humble reconnaissance des faits.

Tous, baptisés dans le Christ, nous avons été rendus justes. Mais ne nous payons pas de mots. Nous ne pouvons oublier le don dont nous sommes les bénéficiaires, l’amour de Dieu qui efface tous les crimes. Que la faute des autres, que nous voyons si bien, nous rappelle la nôtre. Notre action de grâce, notre eucharistie, n’en sera que plus grande, notamment pour les dettes remises, pour le pardon qui nous rend à la justice, non originelle, mais toujours nouvelle.

 

 

Père des miséricordes, apprends aux disciples de ton fils de savoir pardonner comme tu leur as pardonné en leur donnant ta vie.

Père des miséricordes, ôte le cœur de pierre de l’humanité et donne-lui un cœur de chair afin que la réconciliation soit la règle de tous les échanges dans chaque société et entre tous les pays.

Père des miséricordes, alors que les enfants de la paroisse se préparent à communier pour la première fois, que chacun d’entre nous ne cesse de puiser la vie nouvelle que tu nous offres à la coupe versée pour la rémission des péchés.